N’en déplaise aux encenseurs des moocs parant ces dispositifs de toutes les vertus, revendiquant la paternité d’une révolution de la formation et de l’éducation, ces dispositifs, qu’ils soient instructionnistes ou connectivistes présentent des défauts qui ne sont pas sans lien avec l’ignorance des différentes formes de formation à distance qui les ont précédés et qui, aujourd’hui, coexistent avec eux.
Pas de grand soir
Pas de grand soir
La révolution proclamée est soit une large imposture soit la marque d’un manque de mémoire voire de l’ignorance. Pour ceux qui douteraient de cette affirmation, je ne saurais trop conseiller, en préambule, de visionner la conférence de Thierry Karsenti « Mooc : révolution ou simple effet de mode ? »
L’imposture est opportune aux nouveaux entrants. Elle leur permet d’apparaitre comme des inventeurs, de gagner à bon compte en image de marque et en part de marché. Avant eux, c’était l’archaïsme et sans eux il n’y aurait point de salut. Ils se présentent volontiers comme des bousculeurs, et il est bien nécessaire d’être bousculé régulièrement. Ils bousculent, mais en partie seulement car pour parvenir à leurs fins les bousculeurs, les révolutionnaires, affichent clairement leurs buts. Or, il est remarquable que les principaux initiateurs de moocs soient peuloquaces sur les leurs. S’agit-il d’abolir l’institution universitaire ? Ce serait bien étonnant puisqu’ils en sont issus et qu’ils en vivent. S’agit-il de trouver un nouveau modèle économique pour les universités ? La faiblesse des analyses sur ce point permet à certains de reconnaitre leur doxa économique dans la métaphore de « la ruée vers l’or ». S’agit-il de mettre l’accent sur la validation des savoir-faire plus que des connaissances ? Le remplacement des diplômes par les badges (payants) est une réponse un peu courte pour transformer les universités en nouveaux constructeurs de compétences, somme de savoir, de savoir-faire et de savoir-être. S’agit-il de réduire l’échec à l’université ? L’absence de stratégie en faveur de la réussite pour tous qui prévaut dans les moocs démontre le contraire.
Certains buts semblent effectivement peu avouables : sélectionner les étudiants, attirer les cerveaux, gagner en influence et marginaliser les autres acteurs considérés comme concurrents, favoriser quelques enseignants au détriment des autres… le but ultime étant de rentabiliser l’activité éducative.
Quels seraient donc des buts utiles et qui pourraient être revendiqués, sans honte, par les moocs ? Deux exemples.
- Les besoins de formation sont massifs et s’internationalisent. Les universités dans leur forme actuelle ne sont pas en mesure de répondre positivement à l’ensemble de ces besoins. Il faut donc trouver d’autres formules permettant de rejoindre les apprenants potentiels. La mise à distance des parcours de formation constitue une réponse possible et certainement incontournable, mais elle a besoin davantage de coopération entre les institutions que de concurrence débridée, de politiques coordonnées nationalement et internationalement que d’initiatives égotiques.
- L’échec universitaire en première année est massif. Les universités dans leur forme actuelle n’ont pas trouvé, su mettre en place en place, des stratégies efficaces pour lutter contre cet échec. Il est reconnu que l’échec des étudiants tient à leur manque de préparation méthodologique aux études supérieures, à des lacunes dans l’exercice de leur autonomie et souvent à un manque de connaissances prérequises. Il pourrait donc être utile d’initier des moocs préparant les futurs étudiants à rassembler ces conditions nécessaires à leur réussite. Les besoins en la matière étant transversaux aux universités, leur collaboration permettrait d’atteindre la masse critique nécessaire aux investissements dans un mooc. Cela nécessiterait aussi que les initiateurs des moocs, bien loin des pratiques actuelles, s’intéressent aux étudiants en difficulté et non à ceux qui réussissent indépendamment des dispositifs dans lesquels ils évoluent.
Ce qui est surprenant, voire troublant et, avouons-le, parfois un peu rageant, c’est de constater que les initiateurs des moocs, ignorent presque tout, du moins ne se réfèrent pas à l’histoire, plus que centenaire, de la formation à distance. Pourtant, une des promesses initiales de celle-ci était bien de faciliter l’accès au savoir au plus grand nombre. L’ancêtre du CNED a été créé pour assurer la continuité du service public de l’éducation alors que de nombreux élèves étaient en exode lors de la seconde guerre mondiale. L’Open University de Grande Bretagne, mis en place en 1969, l’a été pour tourner le dos à l’élitisme du système universitaire britannique. La formation de plusieurs milliers d’étudiants à distance par la Télé-université du Québec, chaque année depuis plus de trente ans, a pourtant doté cette institution d’une réelle expertise pour rejoindre des publics éloignés. Depuis une dizaine d’années, les licences et masters en FOAD offerts par de nombreuses universités permettent à des étudiants éloignés de se former.
Un intérêt plus soutenu pour ces pratiques passées et actuelles permettraient au initiateurs des moocs de ne pas reproduire certaines erreurs. La plus importante de celles-ci étant de renvoyer l’apprenant à lui-même ou aux seuls échanges avec ses pairs en ne concevant et ne diffusant pas de réels services tutoraux.
Besoin de temps
Ce qui précède attire davantage l’attention sur les aspects inaboutis des moocs que sur leurs potentialités. Cela paraîtra peut-être injuste aux plus convaincus des moocs. Pour ma part, je suis persuadé que les insuffisances des moocs sont redevables à leur jeunesse et à leur prétention à la révolution faisant table rase de ce qui les a précédés.
L’histoire récente du e-learning a montré que les effets de mode, même en éducation, passent. Les normes étaient un sujet incontournable de tout prosateur ou conférencier du e-learning au début des années 2000. De nombreuses questions et orientations en la matière restent pourtant pendantes mais c’est passé de mode. Il y a trois ans, ne pas promouvoir les serious-games était presque une faute professionnelle, du moins le signe tangible de son inadaptation au temps numérique. Si aujourd’hui des serious-games sont développés, ils ont été éjectés de l’actualité. Qu’en sera-t-il des moocs dans deux ans ?
Il faut donc du temps pour y voir plus clair mais également pour que les moocs arrivent à maturité. Pour ce faire, le temps ne suffira pas. Il est indispensable que les initiateurs de moocs, au-delà des retours d’expériences qui ont tous les atours d’une promotion médiatique tous azimuts, engagent une réelle réflexion en s’ouvrant au dialogue avec leurs prédécesseurs en formation à distance et à l’altérité du monde éducatif.
A minima, plusieurs actions me semblent devoir être réalisées de manière prioritaire par les acteurs des moocs :
- Abandonner la prétention de la révolution
- Tirer les lecons de l’histoire de la formation à distance
- Affirmer des valeurs et des buts positifs en substituant la collaboration à la compétition
- Identifier sa plus-value sociétale
- Enoncer son modèle économique
- Trouver des solutions pour lutter contre l’abandon massif
- Prendre en compte tous les aspects, et non pas seulement la gratuité, qui rendent accessibles une formation
- Considérer les moocs comme une modalité à associer à d’autres au sein des dispositifs de formation
C’est parce que les moocs ne sont pas sans histoire qu’ils ont peut-être un avenir.
Initialement publié sur mon site le 1er novembre 2013
Dernière modification le jeudi, 16 octobre 2014