Cinq mesures sont proposées dans ce cadre dont les deux premières concernent directement l’école :
- L’entrée du numérique dans les enseignements scolaires ;
- Une politique ambitieuse de formation des enseignants aux usages du numérique avec notamment la formation de 150 000 enseignants en deux ans.
Mais revenons à ce qui concerne la jeunesse et l’éducation.
On retrouvera rassemblées sur cette page l’ensemble des propositions qui concernent ces domaines.
Mesure n° 1 : l’entrée du numérique dans les enseignements scolaires
« Le numérique modifie profondément notre relation au savoir et à la connaissance et interroge, par là même, la place et le rôle de l’institution scolaire. »
Même dans les précédents constats faits à l’occasion, voir deux de mes derniers billets sur ce sujet¹, on n’a jamais rien lu de si clair et fort. C’est à lire et relire, à faire lire et relire par tous les cadres et tous les professeurs.
Malheureusement, vous le verrez en lisant la suite, j’ai l’impression que la belle et si forte déclaration d’intention est bien vite oubliée.
On n’apprend rien de vraiment nouveau mais l’ensemble les propositions déjà faites sont précisées et réaffirmées avec force. Quelques commentaires pourtant :
- Ce qui concerne les jeunes et l’éducation fait partie d’un plan global pour le numérique.
- « Le développement des connaissances, des compétences et de la culture nécessaires à l’exercice de la citoyenneté dans la société de l’information et de la communication est une partie intégrante du droit à l’éducation, dans un projet de loi qui sera présenté le 11 mars à la représentation nationale ». Nous verrons bien et en reparlerons.
- « Une formation à l’utilisation des instruments et ressources numériques sera dispensée de l’école primaire au lycée. Elle s’insérera dans les programmes d’enseignement et pourra faire l’objet d’enseignements spécifiques ». Comment ? Qui portera ces enseignements ? Mystère. Ne s’agit-il que de se former à « utiliser » des instruments et ressources ? Soyons clair : cette vision réductrice et utilitariste de la culture numérique me navre. Elle n’est pas à la hauteur des enjeux et de la dimension paradigmatique du numérique qui modifie la relation de l’école au savoir et aux connaissances. « Cette formation comportera notamment une dimension d’éducation aux médias visant à apprendre aux élèves à porter un regard critique sur les contenus des différents médias, en particulier numériques… ». Les médias sont tous numériques. Par ailleurs, s’il très important d’exercer son sens critique, son autonomie et sa responsabilité, il convient aussi de ne pas rester complètement accroché aux concepts vieillissants — archaïques ? — d’un autre millénaire qui font de la propriété intellectuelle, qui doit nécessairement évoluer, et de la vie privée, dont les contours sont à redessiner, des valeurs intangibles. Il y a belle lurette que les jeunes n’y comprennent rien. Il faut les écouter. On ne fera pas du numérique une chance pour la jeunesse si on ne l’entend pas.
- Une fois de plus, allégeance est faite au lobby de l’informatique et on lui promet d’engager « une réflexion sur la place que doit prendre la science informatique ». Faute d’obtenir dans l’enseignement supérieur la place qu’elle mérite sans doute, la « science informatique » cherche à trouver place dans les enseignements déjà saturés du second degré. Si les mathématiques prennent en charge l’algorithmique et la cryptologie, si les enseignements technologiques prennent en charge les aspects matériels et logiciels de l’informatique, je n’y vois aucun inconvénient mais, surtout, qu’on ne nous fasse pas croire que ces enseignements-là et l’option de spécialité en classe terminale constituent à eux seuls l’unique réponse aux formidables défis du numérique !
Mesure n° 2 : une politique ambitieuse de formation des enseignants aux usages du numérique, avec notamment la formation de 150 000 enseignants en deux ans
La réponse usuelle qui est faite par les professeurs à propos du numérique et de sa faible intégration dans les pratiques pédagogiques est celle-ci : « Nous ne sommes pas formés ! ». C’est définitif, péremptoire et cela n’admet ni réplique ni contestation.
C’est généralement faux.
Mais vrai, parfois. Je m’explique :
- Il est vrai de dire que les jeunes enseignants, à l’exception notable de quelques disciplines, frais émoulus des mastères de formation, en IUFM ou pas, ne sont, pour l’essentiel, pas formés. Certifiés à la va-vite avec un C2i2e bâclé et attribué à la sauvette, ils n’ont que très rarement été confrontés à des moments de pédagogie avec ou par le numérique, malgré leur bonne culture générale autodidacte à ce sujet.
- Il est vrai de dire que la formation continue a, depuis de longues années, dans certaines académies, été sacrifiée au nom d’objectifs économiques sordides, en particulier dans le domaine des Tice, du numérique et de l’éducation aux médias.
Que propose cette nouvelle feuille de route à ce sujet ?
« Le développement du numérique à l’École repose sur la maîtrise par les enseignants des outils et ressources numériques et surtout sur leur formation à leur intégration dans les pratiques pédagogiques. »
C’est en partie faux, à nouveau. Ce n’est certainement pas une condition suffisante. Il faut aussi changer les programmes, les méthodes, les modalités de l’enseignement, modifier profondément la posture et la culture numérique de ceux, notamment les plus jeunes, qui en disposent, faire acquérir, et ce n’est pas une mince affaire, cette culture numérique à l’encadrement.
L’acquisition d’une supposée maîtrise de techniques et de ressources et de leur intégration dans les pratiques peut venir après, mais c’est largement secondaire.
« La diffusion du numérique dans l’École passe donc par une évolution de la formation initiale et continue des enseignants. Il est également crucial de mieux former l’encadrement, les formateurs académiques et les référents numériques des établissements pour assurer l’accompagnement des enseignants dans son utilisation dans leurs pratiques quotidiennes. »
Oui. Plus qu’une évolution, il convient de changer profondément de scénario et de revisiter de fond en comble l’ensemble de la formation, à commencer par celle des cadres et des formateurs. Quant aux fameux référents numériques, les ouvriers spécialisés de l’accompagnement pédagogique numérique de proximité, corvéables à merci, indemnisés si faiblement, il convient non seulement de les former — c’est bien le moins qu’on leur doit — mais encore de leur donner un statut leur permettant d’être indemnisés à la hauteur du travail considérable qu’ils fournissent.
« L’objectif du Gouvernement est que l’ensemble des nouveaux enseignants soient formés “au” et “par” le numérique dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) dès la rentrée 2013, et que les enseignants du premier et du second degré soient massivement formés dans le cadre de leur formation continue aux apports du numérique dans leurs pratiques pédagogiques. »
Sans rien changer au fond, c’est juste un vœu pieux, pas du tout à la hauteur des enjeux.
Le reste, qui détaille les modalités de mise en œuvre de ces formations, est du même acabit : vous allez voir ce que vous allez voir, on va faire du massif, en ligne, « au » et « par » le numérique, mais on ne touche à rien d’autre.
Surtout. Il ne faut pas déranger.
Et la jeunesse attendra.
[1] Mes billets précédents sur le sujet :
Deux autres articles sur le sujet, à lire :
Réactions à la feuille de route gouvernementale sur le numérique, sur le blog de Guy Pastre.
Michel Guillou @michelguillou
Dernière modification le lundi, 24 novembre 2014