Las ! En guise de vision, on a droit, dans un article particulièrement opaque et mal écrit, à un joli florilège de réflexions de comptoir, celles de quelqu’un qui s’autorise à donner son avis sur un sujet qu’il ne maîtrise pas juste parce qu’on lui pose la question, juste parce qu’il est là où il est… juste parce qu’il fait partie d’une élite qui doit savoir.
C’est consternant. Un florilège vous dis-je. Tout y passe, des questions stupides, des statistiques sorties d’on ne sait où, des syllogismes, de l’allégeance aux doxas du moment à la confusion permanente et entretenue entre informatique et numérique… Un représentant magnifique de ces élites débranchées qui s’autorisent à penser et à dire des trucs !
Pour terminer sur ce triste billet, on peut noter que les propos qui y sont tenus sont à rapprocher du solutionnisme digital ambiant — j’emploie à dessein le barbarisme préféré des startoupeurs qui ont des solutions pour tout et un avis à des lustres des véritables problèmes, surtout en matière d’éducation.
La formation des enseignants, où en est-on ?
Un chantier prioritaire : former au numérique
Ainsi commence le juste constat fait, sur le site du ministère consacré à la refondation à venir, qui engage à donner à l’école « une grande ambition pour le numérique » : Un élève qui passe cette année son baccalauréat aura, durant sa scolarité, … Lire la suite de Un chantier prioritaire : former au numérique
Parce que, autant vous le dire, je suis comme notre aristocrate précédent, très favorable à ce qu’on forme les enseignants au numérique. Si si. Je l’ai déjà dit, voir ci-dessous, même si, aujourd’hui, je ne dirais pas tout à fait les choses de la même manière…Lire la suite de
Que faut-il retenir pourtant de ce premier jet de 2013 ? Quelles sont les constantes, trois après ?
Quelques constats :
- l’école, les enseignements, les apprentissages, les programmes, les disciplines, les professeurs sont, en matière de numérique, déjà largement à la traîne de la société, à la remorque aussi des pratiques personnelles des jeunes ;
- les professeurs constituent sans doute un des groupes socio-professionnels les plus outillés, à domicile, en matériel numérique et les plus avertis ; leurs pratiques personnelles sont variées et souvent excellentes ;
- la formation initiale qui a été dispensée, depuis des années, aux jeunes professeurs est très insuffisante, en matière de numérique ; c’est un euphémisme ;
- la formation académique continue qui a été proposée ensuite aux professeurs manque à la fois de bras, de moyens financiers et d’adéquation aux besoins ; cette formation reste très majoritairement technophile voire technolâtre, même et y compris dans les formations strictement disciplinaires ;
- la formation massive et systématique de l’encadrement aux enjeux du numérique n’a toujours pas été mise en œuvre ;
- l’engagement dans la formation ou l’innovation n’est pas valorisé.
Depuis que s’est-il passé ?
On a débloqué des fonds, depuis deux ans, sous l’impulsion des directeurs successifs de la DNE, pour offrir trois jours par an de formation aux professeurs du second degré. Fort bien. Mais des contraintes très nombreuses empêchent la participation des professeurs :
- les réticences à l’égard « du numérique » restent fortes dans les salles de professeurs et les corps d’encadrement et d’inspection, quand ce n’est pas dans les organismes académiques en charge de la formation ;
- ces formations au numérique sont entrées en concurrence temporelle et financière avec les formations prévues pour promouvoir, à marche forcée parfois, la réforme du collège ;
- les formations ne sont en aucun cas obligatoires ;
- quoique programmées, de nombreuses sessions de formations n’ont pu avoir lieu, faute… de formateurs en assez grand nombre ;
- de nombreux chefs d’établissement n’ont pas relayé l’information ou n’ont pas accepté le départ de certains professeurs en formation pour ne pas rompre la continuité du service éducatif ;
- la culture de la formation en ligne n’est pas du tout commune et partagée ;
- le paysage est différent d’une académie à l’autre mais, dans de nombreux cas, les frais de déplacement ne sont pas remboursés.
Voilà pour les questions pratiques.
Des formateurs de formateurs, où ça ? Pour quoi faire ?
C’est la question essentielle qui est posée à ceux qui, en académie ou au ministère, mettent en œuvre la formation des enseignants. Qui sont les formateurs ? Et, surtout, à supposer qu’on ait trouvé une réponse à la question précédente, qui les a formés ? Qui sont les formateurs capables de prendre en charge la formation des formateurs ? Et qui a formé ces formateurs-là ?
La très grande majorité de ceux que je connais sont professeurs ou l’ont été récemment et sont donc des pairs de leur public. On les a choisis pour leurs compétences, celles qu’ils ont acquises en formation avec d’autres formateurs ou qu’ils ont développées par eux-mêmes. Ces compétences sont, pour l’essentiel, techniques. Sous mon clavier, ce n’est pas un reproche : ces formations techniques trouvent leur utilité et leur justification dans le fait qu’elles sont généralement très adéquates à une demande d’être opérationnel à court terme avec les outils disponibles. On le voit bien avec l’arrivée perturbante de nouveaux logiciels ou matériels. Par ailleurs, les formateurs aiment se rassurer à prendre en charge ces formations qui ressemblent à celles qu’ils ont eux-mêmes reçues de ceux qui les ont formés.
C’est donc intéressant, gratifiant, adéquat mais c’est très insuffisant. L’acculturation numérique, l’acquisition d’une culture numérique globale nécessaire aujourd’hui à la compréhension des enjeux, dont l’émergence de nouvelles modalités d’enseigner et de nouvelles manières d’être et d’exercer, ne peuvent se satisfaire de la simple maîtrise technique de l’outillage, ni même de sa mise en œuvre dans une séquence pédagogique. Il est nécessaire aujourd’hui de prendre du recul, d’ouvrir davantage les yeux, de croiser les regards, de partager les doutes, de susciter l’enthousiasme, d’exercer sa raison et de déjouer les peurs.
C’est d’abord nécessaire avant tout pour celles et ceux qui forment les formateurs, en formation initiale comme continue. Et c’est aussi indispensable pour les formations elles-mêmes. Il suffit de parcourir les catalogues de formations au numérique dans les volets dédiés des plans de formation des ESPE, dans les catalogues des académies comme dans celui de M@gistère pour se convaincre que, de ce point de vue, on est très loin du compte. Mais alors très loin.
Très peu d’entre les formateurs proviennent d’autres corps ou de l’encadrement administratif ou pédagogique. Ce dernier, fortement et presque exclusivement mobilisé depuis toujours au pilotage des établissements ou à l’animation disciplinaire, manque beaucoup du recul nécessaire qui seul autorise la vision globale qui traverse le paysage des métiers, des missions et des enseignements disciplinaires. Bien sûr, cette observation souffre de notables et heureuses exceptions mais, d’une manière générale, les cadres, s’ils sont nombreux à faire montre de grandes compétences professionnelles, celles qu’ils ont acquises en formation, font de piètres formateurs de la culture numérique.
La question de savoir qui forme les formateurs reste donc ouverte. Et ce n’est pas l’accélération impressionnante des transformations numériques de la société, qui touche aussi l’école et ses acteurs, qui risque d’arranger les choses : trouver et mobiliser de bons formateurs, capables, comme je le disais, d’ouvrir les yeux, va s’avérer de plus en plus difficile. Et trouver ceux qui sont capables de les former quasi impossible.
Changer la formation, une obligation
C’est un tweet de mon camarade québécois François Guite qui m’a mis la puce à l’oreille :
Ceux qui attendent que l’institution s’occupe de leur formation s’exposent à la robotisation.
— Francois Guite (@FrancoisGuite) October 28, 2016
À quoi bon, en effet, massifier la formation, mobiliser des équipes, inscrire des professeurs sur des plateformes de formation en ligne, si l’engagement personnel des apprenants est absent ? C’est vrai aussi que cet engagement n’est pas spécialement valorisé, mais aujourd’hui, en 2016, il n’est décidément plus possible d’attendre quoi que ce soit de qui que ce soit, l’institution la première. Chacun doit se prendre en main et produire les efforts nécessaires pour acquérir la culture numérique de ce temps, histoire de partager un peu des valeurs de cette dernière avec ceux avec lesquels on travaille, les élèves les premiers — là je pressens que je fâche certains lecteurs, tant pis !
Comment prendre en main sa propre formation ?
Au-delà des catalogues académiques habituels, il existe des plateformes de formation en ligne, à commencer par M@gistère et tous les MOOC proposés sur la plateforme nationale FUN. Un professeur qui s’engage dans sa propre formation et acculturation doit aussi exercer une veille méthodique en ligne, sur les réseaux sociaux, dans les associations disciplinaires ou pédagogiques, dans les médias spécialisés, sur les blogues qui s’intéressent au sujet… C’est la moindre des choses.
Mais se former, ce n’est pas seulement veiller, c’est aussi partager sa veille et se constituer un microcosme de collègues qui produisent et échangent des informations diverses. Se former, c’est aussi participer, quand c’est possible, à des rassemblements, des rencontres, des colloques, des ateliers collaboratifs, des séminaires…
Et puis, il y a les apprentissages informels mis en œuvre dans des formations informelles, dans la famille, avec les amis, les collègues ou même les élèves…
La question de la formation telle qu’elle est mise en œuvre depuis des décennies est donc clairement posée : aujourd’hui, plus que jamais, on ne peut plus faire comme avant. Il devient nécessaire d’innover, dans ce domaine comme dans d’autres, et de trouver les modalités adéquates aux besoins réels des enseignants, qui se rapprochent plus d’une mise en adéquation avec leur temps et de la compréhension des enjeux que de la simple maîtrise supposée de quelques outils.
Ce constat de l’obligation à changer, à ne plus faire comme avant, parce que non, ce n’était pas mieux avant, celle que nous impose le paradigme numérique, est partagé par un des pionniers du numérique, un professeur qui a aussi goûté à la formation et qui a depuis repris ses élèves et qui m’écrivait récemment :
« Ça fait plus de trente ans maintenant que j’ai les doigts dans le numérique que je crois avoir conjugué à peu près à toutes les sauces dans la classe ou hors de la classe. Mais dans les structures actuelles (la classe et ses murs + 55 minutes + programmes + interdiction d’utiliser les téléphones mobiles au collège + réseaux pourris + pas de wifi + plein de TNI/TBI partout mais pour quoi faire +++ …), je ne vois décidément plus trop bien en quoi le numérique pourrait transcender ma pratique pédagogique.
C’est toutes les modalités qu’il faudrait pouvoir faire bouger à la fois pour qu’on puisse modifier substantiellement les formes de l’enseignement dans lesquelles le numérique trouverait sa place et son utilité tout naturellement. Avec un élève moins asservi, avec des libres parcours, des unités de valeur, que sais-je encore. Mais il y a décidément trop de corsets matériels et psychologiques… »
Oh la belle colère !
Trop de corsets ? Tout faire bouger à la fois ? Moins asservir les élèves ? J’ai la curieuse impression d’avoir déjà lu tout ça ailleurs… Mais où ?
Michel Guillou @michelguillou
« Formation : du solutionnisme simpliste des élites supposées au désarroi des pionniers » in Culture numérique, 7 novembre 2016, https://www.culture-numerique.fr/?p=5488
Dernière modification le jeudi, 05 janvier 2017