« Innover, ce n’est pas mettre des cataplasmes sur son enseignement quand les modalités de ce dernier sont profondément changées par le numérique omniprésent — je pense en particulier à la copie numérique des œuvres, à leur utilisation et reproduction collective, au plagiat, au copier-coller, au travail collectif et collaboratif…Qui innove à ce sujet ? Où est l’innovation ? »
Les réponses qui sont généralement données pour répondre à ces nouveaux défis ne sont pas innovantes, elles sont juste radicalement et profondément réactionnaires. Je me trompe peut-être car je ne suis pas, loin de là, au courant de tout ce qui se passe dans l’enseignement secondaire et supérieur en France, notamment, mais ce que j’en ai lu récemment me fait frémir.
Il y aurait tant à dire sur l’incapacité chronique de la société, en général, à prendre en compte, de manière résolue et surtout raisonnée, les difficultés nés de la facilité avec laquelle on peut faire des copies numériques des œuvres, des livres, des images, de la musique… et leur trouver une ou des solutions en visant à permettre à la fois la juste rémunération des auteurs et des artistes et l’accès plus facile de tous à la culture. Je ne m’étends pas là-dessus, d’autres disent ça tellement mieux que moi et je risquerais de m’échauffer…
Il y aurait tant à dire aussi sur l’incapacité chronique de l’école et de l’université à prendre en compte, là aussi de manière raisonnée, les nouvelles formes de travail collectif, coopératif ou collaboratif. Ce n’est certes pas nouveau mais c’est d’autant plus difficile à résoudre maintenant, à l’heure d’un numérique facilitateur, que tout a été mis en œuvre, depuis de longues décennies, pour renforcer la compétition et l’évaluation individuelles. On s’attardera là-dessus une autre fois.
Non, ce billet se bornera à tenter de dire quelques mots d’un problème qui agite les microcosmes scolaires et, surtout, universitaires : le copier-coller et, en particulier, car il touche aussi au droit des auteurs, le plagiat.
Et pourtant, on pouvait s’en douter et, comment dire ?… prévoir… à la lumière d’autres conséquences collatérales déjà observées de la collision cataclysmique de la société, de l’économie, de l’école et de l’université avec le numérique. Nombreux sont maintenant les problèmes nés des pratiques innovantes mais aussi iconoclastes voire transgressives des élèves ou des étudiants que l’école n’a pas su résoudre autrement que par l’indifférence, d’abord, la répression et la réglementation ensuite, la censure parfois… Mais par l’éducation, la raison et le bon sens jamais. On peut évoquer les blogues, les réseaux sociaux, les téléphones et les « smartphones », les baladeurs, les médias sociaux, les tablettes, les pratiques sociales en général…
Concernant le plagiat, je n’en ai vraiment pris conscience, pour la première fois, qu’il y a presque deux ans déjà, C’était à l’occasion d’un colloque consacré au numérique où j’étais invité, dans les murs du Centre de culture numérique — quelle belle appellation ! — de l’université de Strasbourg. Un atelier était consacré à ce sujet et, en particulier, aux moyens techniques logiciels dont on pouvait alors disposer pour le combattre. Ce jour-là, j’ai vu beaucoup de douleur dans les yeux des professeurs présents mais je n’ai pas vraiment compris. Pas du tout. Pas encore.
J’ai bien lu, de ci, de là, des témoignages d’enseignants qui se plaignaient de copier-coller intempestifs et sauvages à partir de Wikipedia. Mais cette encyclopédie libre en ligne est tellement honnie, de manière incompréhensible pour moi, que je n’ai pas pris garde à l’ampleur du désarroi et du phénomène.
Il a fallu, pour que mon attention soit à nouveau sollicitée, qu’on me fasse copie, tout récemment, des décisions prises et annoncées, sur une liste de diffusion qui leur est réservée, par des professeurs de lettres de lycées qui disaient renoncer à donner des devoirs à la maison, se plaignant que, lorsque le devoir n’était pas fait par un parent, le travail rendu n’était qu’un gigantesque copier-coller plagiaire de ce qui a déjà été fait par d’autres et qui est disponible en ligne, librement ou moyennant quelques euros.
Pour répondre à cela, il y a eu d’abord cette réflexion d’Alain Boissinot, président du Conseil supérieur des programmes, sur laquelle je reviendrai.
Et puis, il y a eu, tout récemment, cet article du Monde.
« “Fléau”, “phénomène récurrent”, “plaie”, “combat incessant”… la tentation du copier-coller empoisonne la vie des universités. »
On y apprend de drôles de choses :
« Les guillemets s’imposent lorsque l’on reproduit un texte mot pour mot, mais il faut aussi nommer l’auteur et l’ouvrage dont sont tirés une idée, un raisonnement. Des règles connues, certes, mais que les professeurs d’université doivent sans cesse répéter ! »
Sans cesse répéter ? L’exercice est difficile, en effet, pour un professeur. J’entends bien que la découverte, devoir après devoir, de passages entiers écrits par d’autres est un moment particulièrement pénible et lassant. J’entends bien que la transgression répétée des consignes n’est pas un encouragement à répéter ces dernières. Mais comment faire autrement que de répéter et répéter encore, d’expliquer et répéter encore ? C’est le propre d’une bonne pédagogie.
Et puis, au fond, les objectifs d’apprentissage et les consignes données sont-elles bien en accord avec la manière dont aujourd’hui les élèves et les étudiants accèdent aux connaissances ? Ne convient-il pas de changer les contenus d’enseignement et donc les objectifs, de les expliciter, de les négocier surtout, et de les expliciter encore de telle manière à lever les ambiguïtés et changer les méthodes ?
C’est un peu ce qu’exprime aussi Alain Boissinot quand il dit :
« Il est clair que la notion de contrôle de connaissances n’a plus la même signification lorsque les connaissances sont, à condition de savoir un tout petit peu s’y prendre, aisément disponibles en ligne. »
Puis :
« … un enseignement conçu d’abord comme transmission de connaissances puis ensuite comme contrôle de l’acquisition de ces connaissances, il est effectivement remis en cause… »
« Alors tout cela modifiera sans doute les facettes de nos disciplines, je ne crois pas que ça soit du tout un déclin, je crois qu’au contraire, ça leur permet d’aller au cœur de pratiques plus intéressantes et plus riches que les pratiques traditionnelles. En tout cas, c’est notre responsabilité que d’essayer d’imaginer ces nouvelles pratiques d’enseignement. »
J’ai l’impression, pour ma part, à essayer d’observer un peu comme l’école et l’université règlent ces problèmes qu’elles s’y prennent bien mal et que l’imagination, comme les y invite Alain Boissinot, n’est pas à l’ordre du jour.
Bien au contraire.
Quelles sont les réponses faites aujourd’hui à ce sujet ?
Dans les collèges et les lycées, nombreux sont ceux des professeurs de toutes disciplines, à l’exemple de leurs collègues de lettres dans l’exemple ci-dessus, qui renoncent à donner quelque travail personnel que ce soit à leurs élèves de crainte d’y trouver des passages entiers de ce qui vient d’ailleurs. Le renoncement donc, pour commencer.
Curieux, ce renversement de démarche quand d’autres tentent d’inverser le dispositif des classes en demandant au contraire un travail personnel plus important à la maison !
À l’université, nous l’avons vu, se sont développées et continuent de se développer des mesures techniques. On use de logiciels de plus en plus performants qui fouillent le web et même les ressources privées pour y déceler les copier-coller indésirables. La répression prend alors le relais dans l’espoir que se modifient peu à peu les pratiques étudiantes. C’est donc une réponse technique ensuite.
Conscients que cette seule mesure technique ne peut être la seule réponse à un problème hautement sociétal ou éducatif — ils ont dû me lire car c’est une phrase que je ne cesse de répéter ! —, les enseignants universitaires ont, çà et là, engagé une autre réflexion.
Ainsi, par exemple, à Sciences Po Bordeaux, a été élaborée une charte anti-plagiat. Il s’agit, comme d’habitude avec la multiplication des chartes d’usage, d’un parfait abus de langage. Jamais négociée puisque cette charte accumule rappels à la loi et mesures de répression, ce n’est qu’un règlement de plus. Un règlement particulièrement drastique en l’occurrence, qui fait le constat, par les mesures successives de sanctions énumérées, d’un échec éducatif total :
« Le plagiat est une fraude grave relevant du conseil de discipline de l’IEP qui pourra prononcer une des sanctions suivantes :
Avertissement.
Zéro à l’évaluation en cause, avec possibilité de rattrapage.
Zéro à l’évaluation en cause, sans possibilité de rattrapage.
Zéro au module d’enseignement concerné [par ex. : cours, séminaire, conférence…].
Suspension de l’IEP pour une année.
Exclusion définitive de l’IEP.
Exclusion de tout établissement de l’enseignement supérieur pour un an.
Exclusion définitive de tout établissement de l’enseignement supérieur. »
Avertissement.
Zéro à l’évaluation en cause, avec possibilité de rattrapage.
Zéro à l’évaluation en cause, sans possibilité de rattrapage.
Zéro au module d’enseignement concerné [par ex. : cours, séminaire, conférence…].
Suspension de l’IEP pour une année.
Exclusion définitive de l’IEP.
Exclusion de tout établissement de l’enseignement supérieur pour un an.
Exclusion définitive de tout établissement de l’enseignement supérieur. »
À l’université de Pau, on est certes moins radical mais tout aussi répressif. Un formulaire d’engagement anti-plagiat est proposé à chaque étudiant qui doit le signer. Il s’agit là d’un document qui a au moins plus forte valeur éducative qu’un règlement qui ne dit pas son nom.
Mais, que ce soit la charte bordelaise ou le formulaire palois, on sent trop bien la patte des juristes de l’université et pas assez celle des éducateurs. C’est donc et enfin le rappel à la loi et la répression.
Il faut être très clair : renoncement, réponse technique, rappel à la loi et répression sont des mauvaises réponses à un vrai problème.
La première raison tient dans les limites de l’exercice. Renoncer à évaluer le travail individuel fait en dehors de la classe, c’est s’aliéner des possibilités d’évaluation à commencer par l’incapacité d’évaluer l’accès à l’autonomie. La réponse technique a aussi ses propres limites, comme le souligne cet autre article du Monde, car, au-delà du coût parfois exorbitant de ces solutions applicatives, il n’y a jamais aucune certitude concernant le plagiat et chaque professeur passe beaucoup, beaucoup de temps à vérifier l’invérifiable et les reformulations fréquentes et approximatives. Et puis, comme d’habitude avec les solutions techniques, c’est tellement plaisant de les contourner et de défier à la fois le logiciel et l’autorité. Enfin, il apparaît bien inutile de sans cesse rappeler une loi qui est transgressée à loisir par certains écrivains, certains journalistes, certains professeurs d’université eux-mêmes, car dans tous ces domaines les exemples de plagiat sont légion. On voit bien quel effet a le rappel à la loi sur les pratiques de téléchargement illégal chez les jeunes notamment.Enfin, l’énumération des sanctions prévues en cas de transgression est presque risible : on passe, comme à Pau, sans intermédiaire du simple blâme à l’exclusion de l’université ! Sans compter que certaines écoles ou universités privées, notamment de l’autre côté de l’Atlantique, où tout s’achète, devoirs comme diplômes, et qui ne vivent que du soutien financier de leurs élèves ou étudiants, ont pour le plagiat un regard tout à fait différent et bien plus complaisant…
La deuxième raison est l’absence de réflexion éducative. Les deux documents en référence listent sans rien oublier tous les cas de plagiat mais il ne s’agit en aucun cas d’une réflexion ou d’un travail qui aurait pour but d’en limiter les effets. Même si, à Bordeaux, la signature de la charte par les étudiants est précédée de deux heures de cours à ce sujet, c’est bien évidemment insuffisant.
Enfin, qu’est-ce exactement qu’une pensée originale ? Est-il possible de s’affranchir aujourd’hui, quand on est auteur, journaliste, blogueur ou thésard, étudiant ou élève, de ce que les autres ont écrit sur le sujet avant de donner son avis. Et même quand on prend la juste et respectable précaution de citer entre guillemets, le reste du discours est-il complètement exempt de références externes, d’éléments de langage appartenant à autrui, d’idées qui viennent d’ailleurs ? Et ces involontaires « citations » non référencées sont-elles des contrefaçons ? Sont-elles la marque de l’immoralité ? De l’illégalité ?
Pour ma part, quand j’écris, ce billet ou un autre, je m’oblige — je n’ai pas besoin de me forcer — à mettre les citations que j’utilise en italique et entre guillemets. Mais le reste de mon propos n’est-il pas, de manière inconsciente, la stricte copie de ce que j’ai vu ou lu ailleurs ? Comment en être certain ? Comment échapper à ce risque ?
Les juges eux-mêmes, pourtant rompus à ce genre d’exercice, se disent parfois bien dans la peine, lorsque on sollicite leur avis à l’occasion d’une action en justice, de dire ce qui constitue un plagiat, une contrefaçon, une simple imitation, une copie exacte…..
En matière d’enseignement scolaire et universitaire, la bonne méthode, pour échapper aux pièges évoqués plus haut, n’est-elle pas de changer radicalement les programmes, donc les contenus d’enseignement et donc les objectifs d’apprentissage comme le suggère le président du Conseil supérieur des programmes. ?
Il en va d’ailleurs des devoirs à la maison ou des mémoires ou thèses universitaires comme de tous les examens, diplôme national du brevet ou baccalauréat, il deviendra difficile voire impossible, à force de renoncement, de réponses techniques inadaptées, de rappels à la loi ou de sanctions, d’empêcher la fraude ou la triche.
Il n’y a pas d’autre solution alors que de changer tout, de fond en comble. Innover et imaginer. Le plus tôt sera le mieux. Car le numérique est passé par là…
Michel Guillou @michelguillou http://www.neottia.net/
Dernière modification le mercredi, 22 octobre 2014