L’EPI exerce en effet à cette fin un lobbying forcené, faisant le siège des bureaux du ministère et des élus, occupant une place de choix dans tous les colloques, squattant les cercles de réflexion, écrivant article sur article dans des médias complaisants…
J’ai assisté récemment à une journée de réflexion d’un célèbre « think-tank » où, dans ses conclusions, apparaissent mot pour mot les propositions de l’EPI alors que les débats avaient fait apparaître un consensus largement défavorable ! C’est à cela qu’on reconnaît un vrai lobby !
Les efforts de cette association ont été partiellement récompensés, d’abord par le ralliement d’un quarteron d’universitaires informaticiens, enseignants d’une filière qui semble se tarir, puis par la création de l’enseignement de spécialité « Informatique et sciences du numérique », réservé aux seuls élèves de Terminale scientifique, où il est, voir les programmes, essentiellement question d’algorithmique et nullement question d’autres sciences du numérique que l’informatique.
Car le tour de passe-passe est là, dans l’ambiguïté créée par l’essor et la place prépondérante pris par le numérique dans la société. Ces messieurs les lobbyistes cherchent à nous démontrer, comme le lapin sort du chapeau, que numérique et informatique, c’est pareil, en omettant surtout d’évoquer les aspects profondément culturels et sociétaux du premier.
Hier encore, on pouvait lire sur un média en ligne les arguments et syllogismes plaintifs et particulièrement maladroits d’un trio d’universitaires informaticiens et mathématiciens.
J’avais promis que ce billet serait court. Je vais donc tenter, en quelques lignes, de résumer mon sentiment à ce propos :
Au collège et au lycée, l’enseignement de l’informatique ne semble pas utile, au-delà des enseignements de technologie au collège. Si l’enseignement optionnel peut persister en classe terminale, pas seulement en S d’ailleurs, il trouverait avantage à élargir pour de bon ses programmes à une initiation à toutes les sciences du numérique (automatismes, imagerie, graphisme et design, sécurité, cryptographie, modélisation, robotique, cybernétique, etc.) et pas seulement à l’informatique.
Convient-il d’enseigner le numérique ?
La réponse est oui mais c’est une question beaucoup plus compliquée.
Je le dis et répète, le numérique se comprend maintenant dans ses multiples facettes culturelles et sociétales. De ce point de vue, il a vocation à irriguer, à nourrir à terme tous les champs disciplinaires qui s’enrichiraient d’ailleurs des passerelles transversales ainsi dressées.
Cela dit, les professeurs sont très nombreux à n’être pas sensibilisés encore à des usages professionnels du numérique ni même à disposer eux-mêmes de la culture nécessaire à son enseignement. Seuls, peut-être, les professeurs documentalistes disposent des compétences techniques, culturelles et informationnelles pour pouvoir enseigner le numérique. J’ai déjà proposé qu’ils se saisissent de ce chantier.
Le plus tôt sera le mieux.
Qu’est-ce que ça veut dire, enseigner le numérique ?
L’école a pour mission de former de jeunes citoyens autonomes et responsables. Dans cette perspective, il convient de les former à une responsabilité numérique — plus d’ailleurs que d’enseigner une identité numérique, j’y reviendrai plus tard — afin de pouvoir appréhender et comprendre tous les enjeux du numérique, économiques, sociétaux, culturels, techniques, philosophiques, éthiques… Concernant l’informatique, par exemple, il semble important d’évoquer, toujours dans le but d’acquérir une citoyenneté numérique, ce qui concerne les formats, les licences et la compréhension des éléments du code.
Vous trouverez ci-dessous la conclusion d’un échange sur Twitter. Je suis en plein accord avec la réponse que me fait ce professeur documentaliste :
@michelguillou @rthibert @gtouze @lcedelle Les élèves ont plus besoin de comprendre les enjeux que de faire de l’informatique pure et dure.
— Hélène Duvialard(@hduvialard) 25 janvier 2013
L’EPI rapporte, dans son bulletin, la réponse faite à ce sujet à un sénateur en 1997 par la ministre déléguée chargée de l’enseignement scolaire :
« Y aurait-il une valeur ajoutée à faire de l’informatique une discipline à part entière du secondaire ? Nous ne le pensons pas. Il en va, bien sûr, différemment dans l’enseignement supérieur, où l’on dispose d’enseignants-chercheurs en informatique. Dans le secondaire, la création d’une discipline spécifique pourrait même avoir un effet contraire au but visé, en dessaisissant les autres enseignants de l’informatique et en figeant celle-ci dans le carcan de programmes immuables… »
C’est tellement évident. Pourquoi y revenir ?
Michel Guillou @michelguillou http://www.neottia.net/
Crédit photo : Axel Schwenke via photopin cc