« Internet est une aventure technique, mais c’est aussi une aventure culturelle ! » (Dominique Cardon, sociologue français, auteur de La démocratie internet. Promesses et limites, Seuil, 2010).
Et si, au coeur de cette révolution virtuelle, on remplaçait la plainte par la réflexion ? C’est là le défi que s’est lancé l’Instituto de Gobernanza Democrática, présidé par le philosophe Daniel Innerarity. Les 19 et 20 décembre derniers se tenait à Vitoria, en Espagne, un Congrès International sur le thème « Internet et le futur de la démocratie ». Une vingtaine d’intellectuels de domaines variés, sociologues, journalistes, professeurs, philosophes, écrivains, sont venus des Etats-Unis, de France, et d’Espagne débattre autour d’une table sur la naissance de cette « démocratie individuelle »...
Le web a fragmenté l’espace public
Tout d’abord, Internet n’est pas un espace public comme les autres.
Le numérique a introduit de nouveaux repères et surtout de nouveaux critères qui ne sont plus les critères hérités. Intervenant au congrès, Milad Doueihi, titulaire de la chaire de recherche sur les cultures numériques à l’Université Laval de Québec et auteur américain de La Grande Conversion Numérique (2009), a redéfini le terme de fragmentation, de façon positive : « Attention de ne pas prendre ce mot dans le sens romantique ! Le sens romantique voudrait que le fragment soit le reste d’une unité et d’une cohésion qui s’est divisée... mais le fragment est aussi un style de pensée très spécifique et puissant qu’il ne faut pas considérer comme une faille, mais plutôt comme une forme de reconfiguration qui redéfinit la façon dont on va apprécier, sans pour autant perdre cohésion et cohérence. A travers cette fragmentation, on est en train de construire un nouveau modèle de confiance sociale. Et c’est ainsi le lien social lui-même qui est train d’être redéfini. Le peuple est concerné. Ce qui fait retour, c’est la vraie diversité politique et linguistique qui est, pour moi, chose tout à fait positive. »
Mais à travers la fragmentation de la scène sociale, c’est surtout le triomphe d’un individualisme qui s’est développé.
L’individu ne regarde que l’information qu’il s’est choisi et ce principe de sélection transforme éminemment nos sociétés. Sous les traits de l’internaute et du lecteur se dessinent en réalité la « figure de l’individu pur » et sa capacité à toucher le monde entier sans intermédiaire. Intervenant central dans le débat, Bernard Poulet, rédacteur en chef de L’Expansion, Paris, a exprimé un besoin de ressaisir la communauté, sinon quoi Internet - à cause de réseaux tels que Facebook ou Twitter - pourrait devenir un « contre espace public ».
Dans la diversité de tels réseaux sociaux, les élites, pessimistes, ont vu émerger une parole sauvage.
« La vérité, c’est que cette parole a toujours existé : avec Internet, elle a trouvé un support de forme d’expressivité politique. D’ailleurs, certaines personnes socialisent beaucoup mieux sur internet que dans la rue, et se sentent plus sûres d’elles dans l’espace électronique que dans l’espace réel », précise Dominique Cardon. Paradoxalement avec Internet, nous sommes aujourd’hui dans un espace à la fois globalisé et de repliement individuel.
Il est temps de s’adapter à ce tournant !
C’est une réalité, les internautes ‘zappent’, entre la situation en Irak, celle en Afghanistan, Fukushima, le traité constitutionnel européen, la crise économique et financière : chaque débat est ‘un moment d’émotion vite passé’, et le manque de discussion de fond laisse des traces. Les journalistes sont ceux qui vivent quotidiennement ce processus de changement. Ils sont aussi les premiers à subir l’impact négatif, économique, de cette révolution. Il est aujourd’hui plus que nécessaire de réfléchir aux divers moyens de s’adapter à ce tournant.
Xavier Vidal Folch, rédacteur en chef de El Pais, Barcelone, a exprimé sa ferme préoccupation en évoquant le rôle et la responsabilité des journalistes : « on doit vraiment digérer... et surtout diriger ! Les journalistes sont un peu comme des alchimistes qui cherchent la formule clé pour la cohabitation démocratique de ce nouveau monde. » Certes, les médias ne sont pas le pouvoir, mais ils en ont un, qui est essentiel. Bernard Poulet a insisté sur le risque majeur de la profession aujourd’hui : considérer l’instantanéité comme une valeur. L’instantanéité pousse à tout uniformiser et condamne ainsi une autre et vraie valeur cette fois : celle de la réflexion. « Il ne s’agit pas d’une mince préoccupation ; cette confusion a provoqué de nombreuses erreurs ». Non seulement l’arrivée d’Internet n’a pas ajouté grand chose à la qualité de discussion entre les lecteurs à l’égard de sujets de réflexion tels que l’actualité, mais elle représente un danger du fait du flux anarchique d’informations.
« Autrefois » on filtrait, puis on publiait - c’était précisément le métier des journalistes. Aujourd’hui, on publie, et les internautes filtrent. C’est un peu la démocratie de quiconque, incarnée, par exemple, par l’Encyclopédie libre Wikipédia qui regroupe la diversité des connaissances des internautes du monde entier.
« Mais on ne fait de collectif qu’avec de l’hétérogène » : pour le sociologue Dominique Cardon, la société Internet serait presque un idéal démocratique. « Internet ne cherche plus à unifier un mode de pensée mais, au contraire, affermit les individualités. Sur le web on ne vote pas, à proprement parler, et il n’y a pas un seul représentant élu à la majorité. Non : on délibère, en collectif. C’est un procédé extrêmement libéral, donc extrêmement individuel. » Ainsi la révolution Internet n’est pas seulement celle d’un tournant digital et technique, mais celle de nouvelles valeurs.
Le futur d’internet et sa gouvernance
Paul Mathias, ex-directeur de programme au Collège international de philosophie, a évoqué de façon négative l’actuelle gouvernance d’Internet à travers l’exemple de Facebook...http://www.aqui.fr/politiques/vu-de-vitoria-internet-et-le-futur-de-la-democratie-sur-le-web-on-ne-vote-pas-on-delibere,6037.html">LIRE LA SUITE-