Il ne sert à rien de chambouler les programmes en permanence, sans préparation, sans prise en compte des réalités et sans accompagnement des enseignants. Le système éducatif s’en trouve bloqué… Par contre, il est un élément fondamental à introduire et à « travailler » à l’école : la personne qu’est avant tout chaque élève et son implication dans les apprentissages.
Les enseignants font leurs cours ou du moins tentent de le faire !
Toute leur attention est centrée sur les programmes, les contenus de leur discipline et les évaluations pour noter les élèves. La culture dominante de l’enseignant est ainsi faite actuellement. Les élèves d’une part, les conséquences institutionnelle ou sociétale de leur activité d’autre part sont aux « abonnés absents », sauf pour quelques enseignants militants !
Cette conception du métier est le produit d’une formation limitée et décalée, de tactiques de recrutement qui privilégie l’académisme et d’une gestion de carrière au travers d’une inspection très présente et souvent non pertinente. Rien en fait ne les prépare au métier qu’ils font et la formation continue ne « joue » pas son rôle d’accompagnement… Pendant ce temps, 150 000 élèves, soit 18 % d’une classe d’âge, sortent de l’école chaque année sans aucun diplôme, dont 30 000 pratiquement analphabètes. Comment peut-on demeurer aveugle à ces dysfonctionnements ?
Pourquoi ne s’interroge-t-on pas plus sur l’impact des pratiques en cours ? On ne peut en rester à prétendre que les élèves qui n’apprennent pas ou si peu sont des « paresseux », des « fainéants » ou des « ignares »[1].
D’autant plus qu’on constate au cours de la scolarité, une forte perte du désir d’apprendre. Les enfants curieux, qui se posent en permanence des questions à l’école maternelle, se retrouvent en fin de collège complètement amorphes, en attente du temps qui passe pour les meilleurs d’entre eux. Comment se fait-il qu’un nombre limité d’enseignants tentent de remédier à cet état de fait ? Et que le système éducatif commence seulement à en prendre conscience, sans pouvoir y remédier.
Pendant ce temps, chez les meilleurs élèves, le stress se développe. La faute à la concurrence dès la maternelle ( !) pour l’accès aux classes préparatoires, à la compétition latente entre élèves dès le primaire ou/et la peur de ne pas répondre aux attentes des parents, ou plus largement pour d’autres, à un sentiment de ne pas y arriver, d’être traités de «nuls » ou de « débiles » par des enseignants (parfois).
Face aux dogmes autoritaires qui reviennent à la mode, il est essentiel de rappeler que le « bon » maître, s’il ne doit pas renoncer à son autorité, sait néanmoins ne pas en abuser ! Certains enseignants confondent domination, distance, voire mépris avec exigence, rigueur et efforts nécessaires pour apprendre. Le processus de l’apprendre est suffisamment perturbant en soi, il n’est pas nécessaire d’y ajouter des stress gratuits. Au contraire, tout doit être fait à l’école pour dédramatiser la situation et accompagner chaque jeune. Le « bon » enseignant n’est-il pas à la fois compréhensible et compréhensif, exigent et bienveillant ?
Des élèves… malades
Pendant que les professeurs continuent à enseigner, un « bon » quart des enfants âgés de 11 à 15 ans deviennnent « malades de l’école » en France. Certains jeunes ont même beaucoup de difficultés à se présenter en classe. En plus des lamentations virulentes, ils présentent des résistances à fréquenter ce lieu ; certains allant jusqu’à un refus total d’y aller ou d’y rester. Nombre d’enfants, d’adolescents, vont montrer alors divers malaises : nausées, maux de tête, étourdissements, pleurs, crise de colère, agressivité et surtout maux de ventre.
Les causes de cette souffrance sont multiples : la crainte d’être évalué, d’être mal jugé, de se sentir inférieur devant les amis et/ou un groupe, peuvent être des éléments qui déclenchent ce type d’angoisse. Certains sont pris d’attaques de panique parce qu’ils ne supportent pas le regard des autres posés sur leurs difficultés.
Difficile d’accepter que l’école, lieu de socialisation de l’enfant par excellence, mais aussi des apprentissages, puisse rendre certains de ses écoliers aussi malheureux.
Ce peut-être un jeune qui a subi ou assisté à une humiliation devant ses camarades ; il a pu être agressé sur le chemin de l’école ou avoir subi des menaces.
Ce peut-être un jeune précoce qui ne trouve pas sa soif d’apprendre rassasié par les cours : il s’ennuie, il rêve ou il s’agite. Intuitif, débordé par des afflux d’émotions quand incompris ou mis en difficulté, certains de ses enfants vont «surréagir », surtout s’ils ne trouvent pas d’harmonie avec ses collègues de classe ou si le cadre n’est pas «compréhensif», ou si les enseignants ne sont pas en mesure d’accueillir et contenir ses débordements. Pas évident à mettre en place dans une classe de 30 enfants ; les conséquences sont multiples : renfermement sur soi, décrochage scolaire, fort sentiment d’injustice, perte de confiance ou d’estime de soi.
Certes on peut se rassurer, on considérant qu’il y a pire ailleurs. 202 élèves et étudiants se sont donnés la mort en Corée du sud : 140 étaient à l'université, 56 au collège et même 6 à l'école primaire. En France, les suicides sont plutôt dus au harcèlement par les autres élèves et aux échecs chez les enfants précoces.
Pour d’autres, tout est dans l’ennui ; des cours qui ne correspondent pas à leur attente, à leurs questions. Des contenus enseignés désincarnés qui ne font pas sens ; des profs qui ne font pas « vivre les savoirs ». L'ennui à l'école, n'est pas nouveau, mais dans le contexte actuel et pas travaillé, il devient totalement insupportable. L’élève craque, « pète un plomb » comme ils disent.
Une institution fermée
Cette institution restant fermée sur ces maux, tous ces jeunes trouvent alors refuge dans la médecine, la psychiatrie… et autres thérapies qui y découvrent un nouveau marché… Le cas le plus significatif est les enfants dits « précoces ». Faute de savoir les repérer et d’anticiper leurs blocages, les « dys » (dyslexie, dyspraxie, dysphasie...) se multiplient chez eux traités plus ou moins efficacement par divers spécialistes. L’hyperactivité quant à elle est psychiatrisée. Le traitement qui peut être utile dans les cas extrêmes est en passe d’être généralisé, au lieu d’envisager l’école autrement. Il n’est pas neutre, il se nomme Ritaline. Son principe actif, la méthylphénidate, une amphétamine, n’est pas sans risques directs et indirects. Entre 2005 et 2011, plus de 400 effets indésirables ont été notifiés aux centres de pharmacovigilance français : baisse de l’appétit, augmentation de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle diastolique et des retards de croissance. En sus, on constate une augmentation de l’émotivité, l’irritabilité, l’anxiété, accompagné d’une humeur maussade, des difficultés d’endormissement, une diminution de la spontanéité et de la réciprocité sociale et une aggravation des tics et des tocs.
Ce qu’on nomme « pathologies » ne sont en fait que les conséquences des pratiques pédagogiques en place. Les dys pourraient être pris en charge directement dans la classe, de même pour les hyperactifs. Tout est affaire de formation du personnel et dépend d’une autre organisation de l’école pour anticiper dès la maternelle sur les dys-fonctionnements de ces enfants. Combien de mal-vivre[2], voire de stigmatisations, pourraient être ainsi évités ?
« Travailler » la personne
Les questions de gouvernance et de l’organisation de l’école sont des questions en soi que nous traitons par ailleurs. A court terme, pour le bénéfice des élèves, l’école pourrait déjà faire un grand pas si elle ne se limitait plus aux seuls contenus disciplinaires. Pourquoi ne mettrait-elle pas à son programme « l’éducation de la personne », et pour commencer une approche exigeante de l’estime de soi et de la confiance en soi. Celle-ci ne résulte pas spontanément d’un travail scolaire comme on le suppose habituellement. Elle demande des apprentissages spécifiques.
Un tel plan n’aurait pas pour seul intérêt les élèves qui n’entrent pas dans ses normes[3]. Tous les enfants pourraient en bénéficier ; la réussite d’une année scolaire, ne réside-t-elle pas dans une juste adéquation entre des outils d’apprentissage, une concentration, une bonne hygiène de vie, de moments de détente d’une part et une formidable confiance en soi d’autre part ? Déjà le désir d’apprendre en dépend fortement.
L'estime de soi qui prend appui sur une confiance en soi est une qualité de base pour toute personne. Elle correspond à la valeur que chacun s'accorde, à partir de la conscience de ses ressources et de ses manques, de sa capacité à surmonter les obstacles, à rectifier ses erreurs et à trouver des solutions pour agir. C'est un potentiel personnel qui se construit où l’école pourrait avoir un rôle fondamental à jouer. L’acquisition de l’estime de soi met en jeu des dimensions affectives, cognitives et relationnelles. Le jeune prend ainsi progressivement conscience de sa capacité à se mobiliser pour s’engager dans ce risque d’apprendre et pour devenir un élève capable d’apprendre parmi les autres.
Cette estime de soi, cette confiance en soi s’élaborent selon des modalités aujourd’hui bien repérées, à savoir que l’élève soit « auteur » de ses stratégies et que les expériences de vie soient suffisamment variées, vécues dans différents domaines et en interactions pour faire émerger du sens chez lui.
Quelques approches peuvent ainsi être mises en avant pour accompagner le développement de ce potentiel chez les élèves.
1. Faire le point : lui faire prendre conscience de ses ressources et de ses qualités.
La confiance en soi dépend du degré de conscience de ses qualités. Chacun possède des ressources et des capacités. Seulement faute de connaissance de soi et surtout du savoir-faire nécessaire, on ne sait pas utiliser ce gigantesque potentiel et l’élève peut ne voir que ses défauts… ceux qui le font rater ! Dans un premier temps, il peut lister tout ce qu’il sait faire, mieux ce qu’il sait réussir, et pas seulement sur le plan de l’école. Par exemple :
- « je sais danser en hip-hop »,
- « je sais dribbler »,
- « je sais coder », etc..
Il peut se concentrer sur ses succès, ses réussites, prendre conscience qu’il peut réussir. Il les note sur un petit carnet. Il peut regarder les échecs qu’il a su surmonter. Les échecs peuvent être très riches en apprentissage, si on sait en tirer son parti. « Je n’ai pas réussi ma présentation orale ». La raison n’est-elle pas à chercher dans le faible travail fourni, plutôt que dans son manque de confiance en soi ? A contrario, « j’ai réussi à obtenir la ceinture marron au judo ». « Comment je m’y suis pris, sur quelle qualité j’ai pris appui ». Quels exercices j’ai mis en place pour y parvenir ? ».
Tout commence par l’expression de soi sous diverses formes. Pour approfondir cette prise de conscience, l’école peut organiser :
- des ateliers d’écriture
- des ateliers théâtre/théâtre interactif
- des ateliers d’art,
- des ateliers de modélisme
- des ateliers de numérique.
Dans ces activités, l’important n’est pas le contenu, mais l’occasion de faire parler le jeune sur lui-même, sur ce à quoi il tient, etc.. Le coaching en groupe est une autre situation privilégiée pour l'exploration de soi et l'apprentissage de comportements nouveaux. Pour y parvenir, l’école met en place des lieux de rencontres dans climat de confiance et de respect mutuel. Une large place est laissée pour comparer leurs ressentis, leurs expériences respectives et les conséquences au quotidien.
2. Positiver
Le jeune est accompagné à parler de manière positive de sa vie ainsi que de ses projets. Les pensées négatives érodent petit à petit la confiance en soi. Ce n’est pas en se traitant de « nul » à tout bout de champ que l’on pourra être confiant. Il faut essayer de stopper ces pensées négatives et s’entraîner à penser de façon positive et à s’encourager plutôt que de se descendre.
Pour commencer, il importe que l’élève se libère d’une certaine culpabilité : celle-ci est un véritable poison qui sape la confiance. S’il échoue un devoir, il essaie de comprendre pourquoi, ce n’est pas sa personne qui est mise en cause. Il peut prendre le temps de repérer, dans son enfance, les moments où il pu perdre confiance. Pourquoi ? Etait-ce un parent ? un prof. ? Et les moments où il a eu confiance…
3. Décider de petits objectifs
Pour commencer à se redonner confiance, le jeune commence par se donner de petits objectifs, facilement atteignables :
- « être capable d’apprendre une fiche en une heure »,
- « obtenir la moyenne dans une discipline appréciée ».
Il n’hésite pas à se récompenser ensuite. A chaque petit succès sur soi-même, il faut ne pas oublier de se féliciter, de se regarder dans la glace et se dire quelque chose comme “je suis fier que je sois arrivé”. La confiance en soi ne résulte pas seulement des résultats scolaires, mais surtout de la manière dont le jeune perçoit réussites et échecs et les implications qu’il en tire concernant ses capacités d’apprentissage ; autant d’éléments à prendre conscience et à travailler au quotidien.
4. Attention entourage :
Etre valorisé permet de gagner en confiance. Souvent, quand la confiance en soi est défaillante, on s'entoure mal. On recherche sans le savoir un entourage qui critique facilement. Une réflexion sur ses amis peut être mise ne place, pour repérer ceux qui l’acceptent tel quel et qui ne prendront pas plaisir à les rabaisser…
L’important est donc d’amener les élèves à se focaliser sur les progrès accomplis et sur les moyens qu’ils peuvent acquérir en vue de mieux maîtriser les tâches à réaliser, plutôt que sur l’appréciation de leur place par rapport aux autres. Il est possible de mettre en place des activités permettant une acquisition graduelle de ses compétences parallèlement à la motivation des élèves, même quand ceux-ci ont un niveau initial de compétences très bas.
Bien sûr, cela implique d’inviter les acteurs de l’éducation (professeurs, directeurs, inspecteurs,..), non à faire plus ou à endosser des rôles supplémentaires, mais à intervenir autrement pour accompagner au mieux les élèves. Tout est affaire de formation et d’une autre culture des métiers.
Pour en savoir plus
Sur l’apprendre à apprendre
- élèves
- Giordan, j’apprends à apprendre, Ecole, Playbac, 2006
- Giordan, j’apprends à apprendre, Collège, Playbac, 2006
- Saltet, A. Giordan, Coach Collège, Play bac, 2006
- formation prof.
- Giordan, J. Saltet, Apprendre à apprendre, Librio, 2007
- Giordan, J. Saltet, Apprendre à réviser, Librio, 2012, nlle ed 2015
- Giordan, J. Saltet, Apprendre à réussir, Librio, 2014
Sur l’apprendre
- Giordan, Apprendre ! Belin, 1998, nlle édition alpha 2016
- Giordan et G. De Vecchi, Les origines du savoir, Delachaux, Neuchatel, 1987, réédition Ovadia 2010
[1] En France, l’école reste fortement marquée par des écarts de réussite. Elle ne parvient pas à réduire le nombre d’élèves en échec, qui sont en grande majorité issus de milieux sociaux défavorisés. Malgré les discours, les annonces, elle est l’école la plus inégalitaire d’Europe.
[2] L’École serait-elle devenue une Institution de plus en plus caractérielle et pathogène. Tous les acteurs de la relation éducative : professeurs, chefs d’établissements et inspecteurs, et parents d’élèves pourquoi pas?, souffrent, s’interrogent sur le sens de leur pratique respective et dans le même temps se rendent parfois, mutuellement, la vie impossible. L’angoisse, le stress, le découragement sont omniprésents On constate même une contagion de l’angoisse, l’angoisse des uns alimentant celle des autres, en une chaîne perverse et ininterrompue et les burns-out se multiplient.
[3] Dans le même temps, la confiance en soi éloigne le besoin de recourir à la violence pour s’affirmer. Mais surtout elle évite l’anxiété et la déprime.
Dernière modification le jeudi, 05 janvier 2017