De violentes réactions
Je relève ici trois interventions dans le camp pourtant favorable à la future loi :
Interview de Philippe Watrelot : « Enfin, l’enseignement de l’entrepreneuriat à l’école pose une vraie difficulté. L’esprit d’entreprise figure dans les huit compétences clés définies par le Conseil de l’Europe. L’une des compétences du socle commun, « autonomie et initiative », reprend cette idée. Moi je n’ai rien contre l’esprit d’entreprise, mais aimer l’entreprise n’est pas une compétence. François Hollande se place ici dans le registre de l’émotion. » in, Entrepreneuriat : « Si François Hollande veut se mettre les enseignants à dos, c’est réussi ».
Claude Lelièvre dans un premier post en appelle à Jules Ferry : « Un Jules Ferry qui a déclaré le plus clairement du monde, et à plusieurs reprises , que la tentation d’aller dans ce sens traversait et traverserait notre société moderne, mais qu’il ne fallait surtout pas y céder… » et une partie de la citation de Jules Ferry reprise : « Dans une société démocratique, surtout, il est de la plus haute importance de ne pas livrer les études aux entreprises de l’industrialisme, aux caprices des intérêts à courte vue, aux courant impétueux et contradictoires d’un monde affairé, positif, tout aux soucis de l’heure présente » (Discours de Jules Ferry à la distribution des prix du concours général, le 4 août 1879). » in Hollande, Ferry, et le "monde affairé".
Dans un deuxième post, il rappelle que Jean-Pierre Chevènement en 1986 après la création du Bac pro avait demandé un rapport sur le thème « appendre pour entreprendre » chère à Jean-Pierre Chevènement ? Mais à sa lecture le ministre de l’Education nationale Jean-Pierre Chevènement fait savoir immédiatement qu’il n’est pas disposé à suivre les rapporteurs sur ce terrain : « Je ne veux pas faire de l’école un bazar […] . Je ne pense pas qu’il soit souhaitable d’y généraliser un enseignement de la communication qui ferait du ‘’savoir-faire’’ la finalité même de l’Ecole. L’Ecole n’a pas pour but la séduction généralisée. Elle ne doit pas refléter le mode de fonctionnement d’une société où l’apparence l’emporte largement sur le contenu, le plaire sur le faire, et l’image sur la réalité » ( « Le Monde » du 20 février 1986 ) » (in « Apprendre pour entreprendre » ?).
Et Testanière rappelle le cadre de la lutte pour l’intérêt général contre les intérêts particuliers : « Non, ce que propose M. Hollande, voulant donner des « gages » aux pigeons et au grand patronat, n’est autre que l’intrusion au sein de l’école des façons de penser de l’entreprise (et pas n’importe laquelle) et des intérêts du monde économique, ce qui constitue une régression.
L’Ecole de la République s’était mise en place en s’affranchissant de tous les intérêts locaux, clientélistes, cléricaux ou mercantiles. » (in Après la morale les professeurs devront enseigner « l’esprit d’entreprise » !)
Il y a donc là crime de lèse-majesté ! Cette idée est perçue comme une tentative d’effraction du sanctuaire de l’école républicaine.
L’éducation à l’entreprenariat en France
L’exploration de cette thématique de l’entreprenariat en France, montre que jusqu’à présent elle porte sur le niveau de l’enseignement supérieur. Deux exemples :
- Education à l’entreprenariat et développement de l’esprit d’entreprendre auprès des étudiants des écoles de managements : le cas de l’ESCPAU. Etude préliminaire par Jeanine Billet
- Un cadre d’analyse de l’enseignement de l’entrepreneuriat en France N° 03-69 Azzedine TOUNÉS
Un peu de distance
Si on ouvre la focale, l’UNESCO indique sur son site : « Encourager l’esprit d’entreprise et l’acquisition des compétences correspondantes dans les établissements du secondaire permet de faire davantage prendre conscience aux jeunes des opportunités de carrière et des moyens de contribuer au développement et à la prospérité de leurs communautés. Cela permet de réduire la vulnérabilité des jeunes ainsi que la marginalisation sociale et la pauvreté. », et propose un rapport : ON PROMOTING ENTREPRENEURSHIP EDUCATION IN SECONDARY SCHOOLS, BANGKOK, THAILAND 11 – 15 FEBRUARY 2008.
Quant à la Commission européenne, dans la prolongation de Lisbonne, et suite à l’Agenda d’Oslo (26 et 27 octobre 2006) pour la formation à l’entrepreneuriat en Europe , elle a fait un appel à propositions en 2012 (N° 28/G/ENT/CIP/12/E/N01C01, ainsi rédigé : « Le présent appel vise à soutenir la mise en œuvre du principe n° 1 du « Small Business Act » et de l’agenda d’Oslo pour l’éducation à l’entrepreneuriat en Europe. Le « Small Business Act » recommande de stimuler l’esprit d’innovation et d’entreprise chez les jeunes en faisant de l’entrepreneuriat un élément clé des programmes scolaires et en veillant à ce que l’importance de l’esprit d’entreprise soit correctement prise en considération dans la formation des enseignants. »
Le discours du président Hollande n’est donc pas une simple lubie, mais l’écho d’un projet politique européen. Le débat sera donc chaud et compliqué non seulement pour défendre la conception de l’école républicaine, mais aussi sans doute parce que cette intention est « européenne » !
Esprit d’entreprise ou d’entreprendre ?
Un tour sur Wikipédia permet de voir les différentes définitions et l’évolution de la conception de l’entreprenariat. Il s’agit d’une thématique assez complexe. On perçoit un glissement d’une conception purement référée au monde économique, à une conception plus large faisant le lien avec tout comportement à base de projet. Entreprendre est alors non seulement projeter, mais également mettre en œuvre pour réussir, et réussir ne se mesure pas qu’en terme financier ou part de marché.
Rappelons-nous l’un des enseignements de PISA repéré lors des résultats de la deuxième enquête : les élèves français ont peur. Ils ont peur de se tromper, peur de donner une réponse fausse. Dans le système français d’éducation, la prise de risque est trop dangereuse. Une mauvaise évaluation peut avoir de lourdes conséquences sur le parcours scolaire compte tenu de notre système d’orientation.
Peter Gumbel dans On achève bien les écoliers (Grasset, 2010) insiste les deux caractéristiques de notre système éducatif : le redoublement et le système de notation (p 49). Ils sont tous les deux anxiogènes et ont un effet sur le processus d’auto-régulation de l’apprentissage : « … les élèves qui ont confiance en leurs capacités dans une matière et qui n’ont pas peur de s’attaquer à un problème, obtiennent de bons résultats aux tests. D’un autre côté, le élèves anxieux et qui manquent d’assurance obtiennent de faibles résultats. » (p. 37)
« Comme la confiance est influencée par les méthodes d’éducation, il n’est étonnant de constater que les pays où ces méthodes sont plus verticales sont aussi ceux où il y a une moindre délégation d’autorité et une moindre liberté dans l’organisation du travail. Dans les pays où l’éducation verticale domine, les élèves attachent moins d’importance à la coopération avec les autres élèves et doutent plus qu’ailleurs de l’équité des enseignants. Le manque de coopération entre élèves et le manque de confiance entre niveaux hiérarchiques façonnent les relations de travail. En retour, les entreprises choisissent une gestion des ressources humaines qui s’adapte au système éducatif. C’est pour cette raison qu’en France, les entreprises et le système éducatif optent pour les organisations très hiérarchisées qui se renforcent mutuellement. » (p. 88) Yann Algan, Pierre Cahuc, André Zylberberg, La fabrique de la défiance… et comment en sortir- Essai. Albin Michel, 2012.
Ainsi, s’engager dans une éducation à l’entreprenariat permettrait, peut-être, de faire évoluer à la fois notre système éducatif et l’organisation de nos entreprises.
Bernard Desclaux
Accès à l’article sur le site EducPros.
Dernière modification le mardi, 02 septembre 2014