fil-educavox-color1

Dans le cadre du Salon Educatec-Educatice, le vendredi 26 novembre 2021, une table ronde était proposée par #Leplusimportant avec pour objectif de mettre au jour les potentialités des usages de l’Intelligence Artificielle au service de l’école inclusive, mais aussi d’explorer les possibilités offertes dans ce domaine dans le respect des valeurs de l’école et du rôle des enseignants, acteurs essentiels dans la construction des nouveaux outils, comme dans leur mise en œuvre au service de tous les élèves.

Intelligence artificielle : quels usages au service de l'école inclusive ?

Les progrès de l'intelligence artificielle ouvrent de nouvelles potentialités en faveur d’une école véritablement inclusive, qui assure le développement des capacités de chaque élève, en particulier en matière de personnalisation de l’enseignement, d'adaptation de l'environnement, ainsi que pour la compréhension de certaines situations de handicap.

Cette conférence-débat devait permettre de faire le bilan des usages actuels de l’IA au service de l’école inclusive et de présenter les perspectives sur le potentiel et les promesses de l’IA en la matière 

  • En quoi l’IA peut être utile aux enseignants pour contribuer à l’inclusion et à la réussite de tous les élèves ?
  • Au-delà des promesses théoriques, quels enseignements peut-on tirer des expérimentations concrètes en cours ou déjà menées ?
  • Comment mettre l’IA au service des enseignants et comment les mobiliser pour tirer parti de l’IA au bénéfice de l’école inclusive ? 
  • L’heure est-elle venue de concevoir et déployer des dispositifs à large échelle ?

Pour répondre à ces questions, #Leplusimportant avait réuni 6 experts et acteurs de terrain de l’écosystème éducatif. Dans une démarche co-constructive #Leplusimportant présentait le potentiel et les risques de l’IA pour l’éducation.

Cette conférence-débat était animée par Sonia Ouadda, directrice du "Pôle Numérique et Education” et Florian Forestier, directeur des études de #Leplusimportant, en présentiel et en distanciel par webinaire en direct, avec la possibilité pour les spectateurs d’interagir avec les intervenants et de leur poser des questions, via les animateurs. 

1 FFIFUbYWYAA9IWf

Intervenant(s)

  • Nicolas ROUSSEL - Directeur du centre INRIA de l'université de Bordeaux - INRIA
  • Khansa GHABARA, doctorante, représentait Eric BRUILLARD - Directeur de Recherche - ECOLE NORMALE SUPÉRIEURE PARIS-SACLAY
  • Alexandre TOBATY - Inspecteur du 1er degré - ACADÉMIE DE CRETEIL
  • Audran LE BARON - Directeur du Numérique pour l'Education - MINISTERE DE L'EDUCATION NATIONALE
  • Déborah ELALOUF-LEWINER - Présidente - TRALALERE

 

1 stdenis1637666466094Alexandre TOBATY,  Inspecteur du 1er degré dans l’académie de Créteil est chargé de la mission numérique 93 et IEN Noisy-le-Sec se pose la question de « Comment accompagner les personnels au défi de l’école inclusive avec le numérique dans la circonscription » : on compte en effet 2 élèves MDPH handicapés par classe. 1/5 des personnels auprès du handicap ; Depuis la Loi de 2005, on a changé de paradigme pour prendre en compte les élèves à besoins éducatifs particuliers ; tenir compte de l’émotion, de l’attention, de la motivation, de l’empathie. Depuis la prise en charge du handicap on a recours à de nouvelles pratiques.

Les AESH sont très nombreux au sein des classes, ainsi que les partenaires de soins auprès des élèves. Le premier défi est de coordonner ces intervenants ; le deuxième défi tient à l’usage du numérique qui modifie notre rapport à la connaissance, à la communication … Il faut aussi prendre en compte l’environnement numérique de l’élève en dehors de la classe : le temps scolaire, l’extrascolaire et le périscolaire. Dans le confinement, le numérique a permis de conserver un lien, ou parfois pas…

Un dispositif particulier est utilisé : des tablettes jumelles : une attribuée à l’enfant, une autre identique pour l’AESH qui possède les mêmes propriétés. Mais l’IA peut-elle prendre en charge la gestion des émotions ?

 

1 r 1637666466094Nicolas ROUSSEL - Directeur du centre INRIA de l'université de Bordeaux - INRIA

Qu’est-ce que c’est que l’Intelligence artificielle ? Ce sujet est parti d’un programme de recherche des années 50 qui visait à reproduire la cognition humaine dans des machines. Aujourd’hui on recherche des technologies qui permettent de reproduire de nombreuses choses que la cognition humaine sait faire via le numérique : algorithmes, logiciels…

Consulter à ce propos le Livre blanc de l’Inria : Education et numérique.

A Bordeaux, l’équipe Flowers, sous la responsabilité de Pierre-Yves Oudeyer mène des recherches sur le développement cognitif (notamment les motivations intrinsèques).

On mène une évaluation des problèmes d’apprentissage, autour de la notion de « zone proximale de développement », on utilise aussi la « méthode des bandits manchots », à savoir « quel est l’exercice qu’il faut proposer pour maximiser le succès de l’élève à partir de ses progrès récents ? ». On constate que les parcours proposés par l’IA sont plus performants que ceux proposés par un spécialiste de la didactique, pour un meilleur apprentissage avec une meilleure motivation.

A remarquer le projet Adaptive’Math d’EvidenceB retenu par le Programme Investissements d’Avenir. Le plus important c’est l’école inclusive, pas l’IA. Il faut avant tout réfléchir à l’école qu’on veut demain pour inventer les technologies qu’on veut pour l’école.

 

Khansa Ghabara, doctorante fait une thèse sous la direction d’Éric Bruillard sur les données scolaires.

Les premiers travaux sur l’IA en éducation datent de 1970 selon le couple diagnostic-intervention.

On recherchait des agents conversationnels et des tuteurs intelligents.

- Quel modèle de délégation à des machines ?

Comment l’IA va modifier le rôle de l’enseignant ? Sachant qu’un flux de données arrivent à l’enseignant, il va déléguer certaines données à un système et d’autres non.

- Comment les identifier ?

Enquête sur les produits qui sont sur le marché : on constate que peu de données élèves sont collectées sur le terrain toujours les mêmes, de base : identité, scolarité etc.

Les données d’apprentissage sont le score, le temps passé, les indicateurs de progression etc.  L’utilisation des techniques d’IA reste très marginale : en effet, produire des systèmes innovants est jugé d’un coût très élevé par les fabricants par rapport au retour sur investissement.

Les enseignants restent les organisateurs et les décideurs locaux de l’enseignement : il faut donc les former à la gestion et l’utilisation des données d’apprentissage ou avoir une personne ressource dans chaque établissement.

On attend des gens qu’ils utilisent les données des élèves pour améliorer l’efficacité de leur pratique, mais les enseignants ne sont pas formés. Le rapport Villani (2018) préconise de donner la maîtrise aux enseignants, mais il y a un risque de souffrance lié à la perte de contrôle en obéissant aux directives de la machine.

L’éthique RGPD s’impose : dès lors, comment faire en sorte que le système respecte les exigences démocratiques.

On constate donc un intérêt mitigé de l’IA pour le scolaire, car peu de données sont accessibles, les éditeurs ne sont pas préparés et peu intéressés, les enseignants ne sont pas formés. Il y a seulement des « niches ».

 

1 tra1637666466094Déborah ELALOUF-LEWINER - Présidente - TRALALERE, secrétaire générale d’EdTech France.

Retour d’usage sur 2 projets. MathIA, un projet lauréat du PIIA (Partenariat d’innovation Intelligence Artificielle) co construit avec le ministère de l’Éducation nationale.

Il propose un travail individuel en groupe ou seul selon les parcours générés par l’IA, la main est laissée à l’enseignant pour ajuster les parcours et en interaction. Expérimentation dans 15 académies pilotes, 200 classes, avec des retours terrains à 83% très positifs. La force du projet est le design pédagogique où l’IA arrive en plus. C’est l’enseignant qui valide les recommandations de parcours de l’IA.

Brûme est un une jeu vidéo pensé pour les Dys (enfants dyslexiques ou dyspraxiques) qui est cependant utile pour tous. Son financement est en Recherche et Développement (eFran) ; Il visa à l’adaptation en temps réel de la difficulté au niveau de l’enfant avec un entraînement adaptatif.

 

1 lebaron1637666466094Audran LE BARON - Directeur du Numérique pour l'Education - MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE

En ce qui concerne l’Intelligence Artificielle en éducation, il est possible de recenser deux enjeux :

Comment former à l’IA ? Les élèves doivent connaître l’IA qu’il faut démystifier et acquérir une souveraineté en IA.

Comment l’IA peut-elle être mise au service des apprentissages ?

L’IA peut améliorer les apprentissages dans certaines circonstances : tout dépend de la manière.

Grâce à la différenciation des apprentissages, la personnalisation des parcours, le langage naturel en interaction avec l’élève (assistant vocal), la reconnaissance de la voie d’un enfant apprenant une langue (mais peu de données disponibles), la reconnaissance de l’écriture manuscrite (interactivité améliorée avec l’élève).

Comment évaluer ces mécanismes d’apprentissage ? Le Conseil scientifique est notamment sollicité sur ce sujet.

Il convient de mettre en place une co construction avec les enseignants sur le terrain.

Il est fondamental de co construire avec ceux qui font avec leurs élèves. Voir notamment l’appel à projet PIIA (Partenariat d’innovation Intelligence Artificielle) dans sa phase R&D.

Il y a une nécessite d’accéder à la donnée, car les IA se nourrissent de la donnée.

Le ministère essaie de faciliter la vie de la EdTech avec le projet de plateforme des données de l’éducation devant rassembler à un endroit l’ensemble des données utiles avec un partage sécurisé pour construire des algorithmes d’IA. Il faut souligner l’importance de l’éthique et du respect de la protection des données avec la CNIL et le Comité d’éthique pour les données d’éducation présidé par Nathalie Sonnac.

Une donnée est essentielle : la confiance de l’ensemble des utilisateurs, élèves et professeurs.

L’Intelligence Artificielle est là pour assister le professeur, pas pour le remplacer. Elle peut aider à piloter la classe à personnaliser les apprentissages.

 

Cette table ronde a donc fait le point des forces et des faiblesses des solutions offertes aujourd’hui par l’IA pour ses usages dans le domaine de l’éducation.

Quels sont aujourd’hui les apports de l’IA pour l’éducation ?

  • Une aide précieuse aux élèves ayant des besoins particuliers, élèves dyslexiques, dyspraxiques auxquels des algorithmes bien pensés peuvent apporter des solutions pédagogiques appréciables, car adaptées à leurs difficultés.
  • Un suivi personnalisé des élèves auxquels on peut proposer des exercices, des activités et des solutions leur permettant de développer au mieux leurs potentialités d’apprentissages.
  • Un accompagnement notable pour les professeurs qui peuvent y trouver des analyses et des diagnostics qu’ils n’auraient pas eu la possibilité ou le temps d’effectuer eux-mêmes sur les performances de leurs élèves. L’IA peut également proposer des exercices personnalisés tenant compte des besoins de chaque élève, très précisément établis.

Cependant ces intéressantes perspectives nécessitent que plusieurs obstacles ou difficultés soient levés :

  • Un manque de motivation des éditeurs et des industriels pour qui le financement de la recherche excède très largement le retour attendu sur investissements. Le développement de l’IA pour l’éducation nécessite un soutien financier très important qui doit être mis en place, sans doute au titre de l’aide aux investissements d’avenir, mais plus largement et plus systématiquement pour la recherche et développement de programmes dûment labellisés et encadrés par la puissance publique.
  • Le marché du numérique pour l’éducation, a fortiori lorsqu’il inclut l’usage de l’IA, est encore très loin d’avoir atteint une taille critique, sans doute en raison d’un équipement insuffisant de la part des écoles, des établissements, des familles, voire des enseignants eux-mêmes. Une politique massive d’équipement est nécessaire de la part des collectivités territoriales compétentes, dont on sait la faiblesse notamment dans le premier degré, en raison de budgets communaux très contraints.
  • L’accompagnement et la formation des enseignants demandera un effort considérable de l’État afin que les enseignants puissent aborder avec compétence, confiance et sérénité l’usage des algorithmes d’apprentissage incluant l’IA avec leurs élèves.

Les belles perspectives pressenties restent donc encore à concrétiser.

L’Intelligence Artificielle est assurément un très bel instrument et un très beau projet au service de l’école inclusive, mais ses effets mettront sans doute de longues années à se faire sentir, si les freins et contraintes qui ont été évoqués ne sont pas très rapidement levés de manière radicale et déterminée par les pouvoirs publics.

Dernière modification le vendredi, 14 octobre 2022
Pérez Michel

Président national de l'An@é de 2017 à 2022. Inspecteur général honoraire de l’éducation nationale (spécialiste en langues vivantes). Ancien conseiller Tice du recteur de Bordeaux, auteur de nombreux articles et rapports sur les usages pédagogiques du numérique et sur la place des outils numériques dans la politique éducative.