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Les partenaires de la Chaire “Régulation des Jeux” de l’Université de Bordeaux, Pôle Juridique et Judiciaire, organisaient un débat auquel l’An@é était invitée à participer, le lundi 18 octobre 2021.

Isabelle Falque-Pierrotin, est présidente de l'Autorité nationale des jeux depuis le 16 juin 2020. Avec l'Euro, les publicités pour les paris sportifs se sont multipliées, et cette pression publicitaire forte de l'ensemble des opérateurs, presse, télévision, réseaux, ciblant les jeunes, a choqué. L'ANJ a donc souhaité un débat, une consultation publique, en ligne ou publique comme celle qui vient de se dérouler à Bordeaux.

Rappel du nécessaire équilibre entre les besoins légitimes des opérateurs (légaux) et la protection des joueurs et des jeunes.

 

1 Isabelle Falque PierrotinIsabelle Falque-Pierrotin souhaite que ce débat se déroule hors des solutions radicales, permette de relever "des capteurs" au niveau du grand public, et que les professionnels s'expriment et fassent des propositions.

"La protection des joueurs, particulièrement des jeunes attirés par une promesse d'argent facile oblige à s'interroger sur le projet de société que nous proposons. Il s'agit bien d'une responsabilité sociale de l'ensemble des acteurs".

Des outils renforcés : ordonnance 2019 (Privatisation de la FDJ), un décret du 4 novembre 2020 (article 45).  Décret n° 2020-1349 du 4 novembre 2020 relatif aux modalités de régulation de l'Autorité nationale des jeux.

Les professionnels entre besoins légitimes et contraintes

Etaient présents : Nicolas BERAUD, CEO BetClic, Philippe BON, délégué général Casinos de France, Patrick Buffard, Directeur général adjoint, Française des Jeux, Jean-Michel DELILE, Président de la Fédération Addiction, Rémi Lataste, Directeur général de l’ANJ, Yanis LAHMERI, Responsable des relations institutionnelles, Sponsora, Michel PÉREZ, Président de l’An@éGautier PICQUET, CEO Publicis Media, Président de l’Union des Entreprises de conseil et d'Achat Media (UDECAM)

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BETCLIC (Nicolas Béraud) constate une progression quantitative de la mise moyenne des joueurs (pas d’explosion). La publicité est une contrepartie aux contraintes imposées aux jeux d’argent.

Philippe Bon, délégué général des Casinos de France estime que leur clientèle est pillée par les sites illégaux de casinos en ligne (35 %). Nécessité de réguler la publicité des sites illégaux via un contrôle des moteurs de recherche.

JM Delile, psychiatre : Les joueurs pathologiques existent.  Il faut un repérage précoce des acteurs perdant le contrôle face à l’explosion des paris sportifs. Le problème est aggravé par le fait que l’on a un support addictif (smartphone) qui présente un contenu addictif (jeu). L’univers des jeux proposant une illusion via des images cible les populations vulnérables. Le rapprochement entre jeu et sport touche un public jeune, le sport étant un élément fédérateur ; Travailler sur le pari sportif fidélise le parieur, entraine un engouement collectif et communautaire

Gautier Picquet, UDECAM Publicis. Il y a une pression énorme sur les 4-17 ans, en nombre et en ciblage quotidien sur des périodes clés.

Une auto-régulation ne se joue que quand elle est collective : il faut être certain que les règles s’appliquent à tous de la même façon. Il faut aussi réfléchir à l’évolution des médias et voir comment les jeunes vont être exposés à ces messages.

mi Lataste (Autorité Nationale des Jeux) rappelle que le débat concerne la publicité des jeux d’argent dont le budget a augmenté considérablement entre 2019 et 2020 (+26%) faisant   progresser la pression publicitaire, de telle sorte que les conditions de l’équilibre sont aujourd’hui en péril.

Il convient d’intégrer les nouveaux acteurs des médias. La question du risque se pose pour les jeunes mineurs dont le placement de produit, notamment récemment dans une série télévisée ou dans une publicité pour le Monopoly qui comporte une référence à l’enfance qui pourrait cibler des mineurs, ce qui est interdit.

L’ARPP semble inefficace pour le contrôle a priori de la publicité : une articulation entre organismes de contrôle : ARPP/ANJ/CSA est indispensable pour créer un outil d’accompagnement à la conformité dans un cadre juridique clair, qui fonctionne et soit accepté de tous.

Qui joue aux paris sportifs en France ?

4,4 millions de joueurs, soit 5 % de la population adulte. Au premier trimestre 2021, les mises ont augmenté de 79 %.

Il convient de mieux traiter l’addiction aux jeux d’argent qui touche des acteurs d’un âge médian de 30 ans.

Nicolas Béraud rappelle que, par l’analyse des données, les joueurs qui dérivent dans leurs pratiques sont surveillés, notamment les joueurs excessifs. 

Les moteurs de recherche devraient proscrire les casinos illégaux, ce qui n’est pas le cas.

La difficulté de réguler sur Internet est importante, car les sites changent d’URL et ne sont plus repérables. Un danger réside dans le fait qu’entre 1 et 2 millions de joueurs français jouent sur des sites illégaux, sans le savoir (70 % pensent que c’est légal) : ils mettent en danger la protection de leurs données.

On pourrait, comme en Hollande, interdire les influenceurs de moins de 25 ans, s’agissant des jeux d’argent. Mais il est facile de faire intervenir des plus de 25 ans qui en paraissent 5 de moins et s’attireraient ainsi la sympathie des plus jeunes.

L'éducation : un sujet global. L'An@é était invitée à participer à ces échanges

Michel Pérez, président : L’An@é, Association nationale des @cteurs de l’École, organise des événements, publie des reportages, des articles, des tribunes sur son MEDIA COLLABORATIF EDUCAVOX (libre de publicité et gratuit) et poursuit une réflexion collective visant à la promotion de l’éducation sous toutes ses formes et notamment à celles utilisant des outils et des compétences numériques pour une éducation active. Nous militons pour une éducation responsable, maîtrisée et émancipatrice dans l’univers du numérique.

Un élément essentiel est l’instauration d’un continuum éducatif, car si la pédagogie est l’affaire de l’école, l’éducation est un sujet global qui nous concerne tous, une continuité qui s’étend au-delà des temps scolaires via une action concertée des différents partenaires de l’éducation.

Dans cette optique, l’An@é est membre du collectif EDUCNUM de la CNIL qui a pour objectif de promouvoir une véritable culture citoyenne du numérique :  nous participons donc à la lutte contre toutes les formes de désinformation, de manipulation, voire de domination dans l’univers du numérique. Et dans le domaine des jeux d’argent via le numérique, il y a fort à craindre que les jeunes ne soient une cible de choix pour les publicités directes ou indirectes, ce qui porte atteinte aux objectifs de l’éducation citoyenne et responsable via les outils interactifs que nous voulons promouvoir.

Il y a la publicité visible et l’invisible

C’est au titre de notre implication pour une éducation éthique et responsable que nous nous exprimons à cette table ronde sur la publicité des jeux d’argent. En effet, même si les jeux d’argent sont interdits en France aux moins de 18 ans, les jeunes sont régulièrement visés par cette publicité, car il convient d’étendre le concept de JEUNES jusqu’à l’âge de 25 ans, âge ggénéralement admis de la maturité neurologique[1].

L’enjeu n’est pas seulement le contrôle de la PUBLICITÉ visible, mais aussi de la publicité invisible qui passe par les réseaux sociaux et les influenceurs de la jeunesse qui ont des millions de « followers » et qui sont capables de générer des comportements et des achats de manière subreptice, via une approche émotionnelle et des « placements de produits » au sein d’innoentes vidéos postées sur Facebook, Youtube, TikTok ou autres émissions de télévision (des émissions sportives notamment).

Quelles sont les modalités d’action de la publicité ? Elle désigne des cibles pour des produits industriels, puis insidieusement elle travaille à capter l’attention des cibles pour générer l’achat, quelles qu’en soient les conséquences sur les consommateurs : on parle ici dans les cas extrêmes d’addiction avec ses conséquences mentales et économiques. De nombreux exemples sont référencés de ces stratégies, notamment pour la consommation de tabac (OMS).

Quelles sont les cibles ?

Il faut bien se poser la question, car si on regarde l'histoire de l'industrie du tabac, après la phase de conquête des adultes, ces industriels ont déployé des moyens financiers importants pour toucher les jeunes et les très jeunes (élèves de 6ème-5ème). On peut donc imaginer que l'industrie des jeux prenne la même trajectoire...si des régulations très contraignantes ne sont pas apportées et qui soient adaptées aux nouvelles modalités de communication : Internet, messageries, vidéos, applications diverses, moteurs de recherche.

Car la publicité aujourd’hui ne saurait se résumer aux spots TV qui sont diffusés avant, après ou dans l’intervalle des rencontres sportives ou des spectacles. Il faut impérativement redéfinir le concept de publicité lorsqu’il s’agit de réguler la publicité invisible et parler plutôt de « placement de produit », celui-ci étant le plus souvent le fait de « non professionnels » de la publicité (Youtubers, influenceurs) et donc non soumis au contrôle de l’ARPP (Autorité de Régulation des Professionnels de la Publicité).  

Comment la publicité capte l’attention : Ces entreprises sont très en avance, et depuis longtemps sur la capacité à attirer l'attention, à la retenir et à passer à l'action de d'achat.  On utilise pour cela des personnages admirés : personnalités, chanteurs, sportifs, journalistes sportifs, experts etc. Il y a selon nous une nécessité absolue de protéger le public et essentiellement les JEUNES de toute forme de manipulation mentale - qui passe par le cortex pré-frontal gouverné par les émotions- pour aboutir à un asservissement psychologique sous la forme d’une addiction[2].

Dans le cadre de l’Éducation nationale, quelques moyens sont à notre disposition pour permettre aux jeunes de prendre le contrôle sur leurs pratiques dans le cadre de la société de l’hyper-communication qui est la nôtre : l’Éducation aux Médias et à l’Information (EMI) et l’Education Morale et Civique (EMC).

L’Éducation aux Médias et à l’Information a été instaurée par la Loi d’Orientation et de Programmation pour la Refondation de l’École de la République du 8 juillet 2013. « L'objectif d'une éducation aux médias et à l'information est de permettre aux élèves d'exercer leur citoyenneté dans une société de l'information et de la communication, former des "cybercitoyens" actifs, éclairés et responsables de demain. Former l’esprit critique, lutter contre la désinformation.   

Le Code de l’Éducation, dans son Article L332-5 stipule que : « La formation dispensée à tous les élèves des collèges comprend obligatoirement une initiation économique et sociale et une initiation technologique ainsi qu’une éducation aux médias et à l'information qui comprend une formation à l'analyse critique de l'information disponible.»

L’Enseignement moral et civique est ainsi défini (Article L312-15 du Code de l’Éducation) : « L'enseignement moral et civique vise notamment à amener les élèves à devenir des citoyens responsables et libres, à se forger un sens critique et à adopter un comportement réfléchi. Cet enseignement comporte, à tous les stades de la scolarité, une formation aux valeurs de la République, à la connaissance et au respect des droits de l'enfant consacrés par la loi ou par un engagement international et à la compréhension des situations concrètes qui y portent atteinte. 

« Dans le cadre de l'enseignement moral et civique, les élèves sont formés afin de développer une attitude critique et réfléchie vis-à-vis de l'information disponible et d'acquérir un comportement responsable dans l'utilisation des outils interactifs lors de leur usage des services de communication au public en ligne. »

Les enseignants sont appelés à mettre en œuvre ces prescriptions, que ce soit dans le cadre d’une nouvelle discipline, l’EMC (qui a remplacé et élargit l’Instruction Civique), ou encore à la faveur de leur enseignement pour ce qui est de l’Éducation aux Médias et à l’Information, et cela à tous les niveaux de la scolarité (enseignement élémentaire et secondaire).

Il est toutefois évident qui si l’Éducation nationale a bien ciblé les problèmes, les moyens d’action, pour volontaristes qu’ils soient, sont bien insuffisants au regard des moyens disponibles pour les industriels de toutes formes. 

Une nouvelle proposition de loi présentée à l’Assemblée Nationale.

Une réaction radicale a été enregistrée récemment sous la forme d’une proposition de loi nº 4395, déposée le 21 juillet 2021 qui vise à interdire la publicité pour les jeux d'argent et de hasard.

“Cette présente proposition de loi applique aux jeux d’argent et de hasard les dispositifs juridiques existants prévus aux articles L. 35124 et L. 35153 du Livre V du code de la santé publique relatif à la lutte contre le tabagisme et à lutte contre le dopage : interdiction de la publicité et de financement d’événements à destination des mineurs, au risque d’une amende de 100 000 euros et de la confiscation des biens utilisés.”

Cette proposition de loi deviendra-t-elle “projet de loi”?

Nous ne saurions le dire, mais l’avertissement est clair. Nul ne comprendrait que tous les principes qui fondent l’éducation de nos enfants, soient soudain battus en brèche, sans que le corps social, ne réagisse, par une industrie qui pourrait entraîner, répétons-le car là est le nœud du problème, de manière occulte et subreptice l’addiction du jeune public à des jeux d’argent qui, mal contrôlés peuvent conduire aux pires conséquences financières, sociales, émotionnelles professionnelles ou judiciaires.

Il nous semble à ce titre indispensable que trois sujets soient clairement traités :

  • La définition de la publicité doit être élargie à toutes les formes visibles ou occultes de “placement de produits” et ne pas se restreindre à l’univers des professionnels de la publicité ;
  • La publicité occulte doit prendre en compte TOUS les canaux d’information et de diffusion, tels que généralement le canal numérique, avec ses plateformes sociales, ses vidéos servies par des influenceurs patentés et ses moteurs de recherche qui peuvent biaiser les résultats en mettant en avant des produits subventionnés de manière occulte en amont;
  • La notion de “JEUNE” doit être définie, élargie et se substituer à la notion de “mineur de 18 ans”, car il s’agit de protéger des populations à risque des excès de la pression publicitaire pour les jeux d’argent.

 

[1]Selon certains chercheurs, les humains ne deviennent complètement des adultes que vers l’âge de 30 ans, en dépit des lois fixant la majorité légale à 18 ou 21 ans. C’est le résultat d’une étude menée par des neurologues (Peter Jones) de l’université de Cambridge (Royaume-Uni), présentée lors d’une conférence à Oxford.

[2]    L’enquête Escapad réalisée en 2017 par l’Observatoire français des Drogues et des Toxicomanies (OFDT) met en lumière la croissance exponentielle de mineurs prenant part à des paris sportifs. Le nombre de mineurs âgés de 17 ans qui déclarent avoir fait un pronostic en ligne a doublé entre 2011 et 2017. https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/eisxejy9.pdf

 

Dernière modification le samedi, 11 février 2023
Valadie-Jeannel Martine

Docteur en médecine, diplomée de CESAM, CES de Médecine du Travail, CES de Médecine Aéronautique, DU Ergonomie, Capacité d’Addictologie clinique, Médecin spécialiste qualifiée en Santé publique