L’électoralisme à court terme freine souvent leur volonté de véritable réforme et favorise la prise de décisions cosmétiques. Alors, évidemment, quand, en plus, il s’agit de tenter de récupérer des voix qui auraient été perdues, les freins aux réformes se bloquent. Le volontarisme annoncé faiblit souvent face aux corporatismes, aux conservatismes et aux réactions.
A l’Education Nationale, il convient d’ajouter à tous les freins celui de la nostalgie, celui du mythe de l’âge d’or et des pratiques qui auraient fait leurs preuves dans des temps très anciens, et celui de cette tendance étonnante qui pousse même des soi-disant progressistes à considérer qu’il n’y pas de raison que ce qui a réussi pour eux hier et avant-hier ne réussisse pas pour tous aujourd’hui et demain.
François Mitterrand avait montré la voie avec l’abolition de la peine de mort contre l’avis de la majorité de l’opinion publique. Mais on ne peut pas dire que l’exemple ait été suivi. L’école a pourtant besoin de grandes décisions fondamentales à l’échelle de celles qu’avaient prises Jules Ferry, il y a plus de 130 ans.
On aurait pu penser que la concertation lancée par Vincent Peillon pour préparer une nouvelle loi était un atout pour garantir des avancées fondamentales. Même si l’exercice était difficile, il était pertinent car il était inconcevable que de nouvelles politiques soient imposées comme cela a été le cas pour les nouveaux vieux programmes de 2008, pour les 4 jours, pour l’aide individualisée, pour l’évaluationnite désastreuse, pour le pervers pilotage par les résultats, etc. Le problème est que cette concertation tourne en rond et que le sens même du mot refondation a été oublié dans le flot des revendications et des propositions d’adaptation de l’existant sans en changer les fondements et les finalités
En fait, quasiment plus personne ne parle de refondation, sauf Pierre Merle dans un groupe auquel je participais mercredi. Curieusement, personne ne contestait ses analyses et sa conviction de l’impérieuse nécessité de refonder, de construire de nouvelles fondations, mais toutes les interventions qui suivirent ne proposaient que des aménagements, des corrections, des compléments, à l’existant.
Les postures, apparemment concertées, des animateurs, qui semblent éviter la problématisation des aspects les plus fondamentaux et ne redéfinissent quasiment jamais le mot « refondation » ne sont pas pour rien dans le déballage, protégeant, il est vrai, l’amabilité des interventions.
Ce gentil climat permet d’ailleurs à des hiérarques ayant servi avec zèle les politiques de destruction précédentes de s’exprimer longuement, sans complexe, pour démontrer que la refondation est engagée depuis 2007. Ainsi, le directeur de la DEP, annonçant la main sur le cœur, que si ces politiques avaient été en contradiction avec sa liberté, il serait parti ; une rectrice soutenue par une brigade d’élus, affirmant que son académie était pionnière dans le domaine du numérique et qu’il faut continuer dans la même voie, une secrétaire générale de rectorat expliquant que les contrats d’objectifs, les évaluations, la « démocratie » du fonctionnement des instances académiques étaient des modèles, des mesures de refondation incontestables. La persistance des comportements autoritaristes et des exigences paperassières folles d’un grand nombre de hiérarques locaux, au nom de cette continuité républicaine qu’ils ignoraient en 2007, n’arrange rien, désespérant les militants pédagogiques.
Et quand on ne plaide pas en faveur des politiques précédentes, on glorifie les « bonnes pratiques », laissant à penser, que tout est possible sans rien changer au fond et qu’il suffit de généraliser ces bonnes pratiques ponctuelles sans traiter les questions de fond et les conditions d’une éventuelle généralisation… sans réorientation. Les propos tenus lors de la visite présidentielle au collège de Trappes sont largement exploités pour… éviter la refondation.
Pourquoi refonder si c’est fait ?
Même le discours sur la morale laïque est exploité pour conforter les disciplines scolaires sans les changer et sans redéfinir les missions des professeurs. On ajoutera une discipline sans en enlever d’autres, au grand soulagement de ceux qui sont accrochés à ces disciplines cloisonnées, au nom du saint savoir libérateur, comme à des bouées de sauvetage.
Le groupe chargé du numérique échappe peut être à cette tendance molle. Il faut dire qu’il est difficile avec ce sujet qui transforme fondamentalement le rapport au savoir, qui bouscule les pratiques et les organisations, qui impose une réflexion prospective sur la place de l’école dans une éducation globale sur un territoire apprenant, d’en rester à l’utilisation administrative des techniques ou au changement d’apparence des pratiques.
Ajoutons que les concertations lancées précipitamment dans les académies sont quasiment toutes orientées vers la recherche de consensus mous entre soi, vers des propositions d’amélioration aux marges renforçant les modèles en vigueur.
La concertation se poursuit gentiment. On en oublie même le bilan des dix années écoulées et le vide sidéral de la pensée sur les finalités et sur la place de l’école dans la cité et dans la société. Certains se demandent s’il est utile de poursuivre.
Le ministre va se trouver dans une situation horrible, sous la menace terrible du danger de l’eau tiède, cette eau tiède dont on réinvente les délices à chaque réunion.
Il lui faudra beaucoup de courage, d’audace même, pour revenir sur la signification du mot refondation et pour proposer une nouvelle école, inscrite dans son temps, mobilisatrice pour plusieurs générations, prête à affronter les nouveaux défis d’une société en mouvement, capable de redonner vraiment à tous le bonheur d’apprendre et de partager, le sentiment d’exister tout simplement.
La concertation se poursuit tranquillement encore quelques jours. L’important viendra plus tard avec la préparation de la loi d’orientation. Espérons qu’elle échappera à la réinvention de l’eau tiède..
A suivre.