Un pouvoir absolu
C’est dans les années 1880 que pour la première fois un texte est publié concernant le contrôle du passage d’une classe à une autre dans le secondaire. J’en ai fait une présentation dans l’article « Aux origines du conseil de classe ». Cette circulaire réglemente sans doute des pratiques déjà en cours dans les établissements, mais sans doute, en s’appuyant sur les notes, elle objective les décisions. En tout cas elle attribue un pouvoir sur les élèves concernant leur circulation dans le système scolaire, aux enseignants et aux chefs d’établissement. Ce pouvoir est un pouvoir absolu, nul ne peut le contester. Et le restera jusqu’en 1959.
Je vais donc pointer les différentes érosions de ce pouvoir entamé je pense pour la première fois en 1959 par les procédures d’orientation qui se mettent en place avec la réforme de Jean Berthoin.
Jusque-là les parents sont tenus à l’extérieur. Pour la première fois, l’établissement doit demander aux parents, au troisième trimestre, avant le conseil de classe, qu’elle orientation ils désirent pour leur enfant. Le conseil de classe et le chef d’établissement restent les seuls décideurs de l’orientation. Et lorsque la décision porte sur une classe qui ne se trouve pas dans l’établissement, l’élève est « remis » à la famille qui va chercher un établissement.
En 1973, avec la création des « nouvelles procédures d’orientation » l’érosion se poursuit par deux ajouts important à la procédure. La notion de dialogue est introduite. Un premier échange de demande et réponse se fait au conseil du deuxième trimestre entre les parents et le professeur principal (fonction qui avait été instaurée, non sans mal, en 1959). Un dialogue entre ces deux acteurs doit alors s’instaurer afin de préparer la demande des parents et la réponse du conseil de classe. La décision du conseil de classe est désormais une réponse à la demande des parents.
Mais une deuxième modification d’importance apparait également en 1973 avec la notion d’appel. La décision du conseil de classe est, comme toute décision administrative, soumise à révision et est objet d’une procédure d’appel. Jusque-là l’élève qui ne pouvait pas passer en classe supérieur était invité à la rentrée suivante à passer un examen scolaire pour prouver sa capacité à suivre dans la classe supérieure. L’appel déplace le problème. C’est la décision du conseil de classe et du chef d’établissement qui peut être remis en cause. Reste que pour concrétiser cette procédure d’appel, deux chemins sont proposés : l’examen d’appel (des épreuves scolaire), ou la commission d’appel (des représentants de l’institution et des représentants des parents d’élèves forment cette commission). Pendant très longtemps, les commissions feront corps avec les établissements, et les chances d’obtenir satisfaction étaient plutôt du côté de l’examen…
La réforme de René Haby de 1975 va modifier cette organisation de la procédure en distinguant le conseil des professeurs (réunion du chef d’établissement et des enseignants) et conseil de classe (le conseil des professeurs avec des représentants des parents et les délégués des élèves). On peut dire que le premier « instruit », le deuxième « délibère ». C’était en tout cas l’objectif du texte de René Haby, mais sur le terrain ce sera lion d’être le cas, le conseil des professeurs ne lâchant pas son pouvoir de décision.
En 1982, la gauche et au pouvoir, et Alain Savary, ministre va réduire très profondément le champ du pouvoir des conseils de classe. Le pouvoir absolu pouvait aller jusqu’à ce qu’on pourrait appeler la mort institutionnelle : la sortie de l’école. Ce pouvoir se concrétisait par la formule inscrite au bulletin de fin d’année : « vie active ». Il apparaissait dans les classes après la troisième (considérée comme la fin de la scolarité obligatoire). Pour les classes précédentes, il y avait l’orientation hors du collège vers l’enseignement professionnel. Savary impose que tout élève doit recevoir une décision d’orientation scolaire. J’ai entendu à l’époque l’interrogation angoissée des enseignants : « On va se les garder jusqu’à quand ? »
Autre décision d’Alain Savary, le redoublement devient un droit ! Jusque-là il était surtout utilisé comme une sanction. Non seulement les conseils de classe peuvent décider du redoublement, mais les parents s’ils ne sont pas satisfaits de la décision d’orientation outre le fait qu’ils peuvent faire appel, peuvent également décider du redoublement.
En seconde, les conseils de classe pouvaient décider d’une orientation vers le BEP, en Lycée professionnel, désormais ce ne sera plus possible, les décisions porteront uniquement sur les voies internes au lycée. L’acceptation de cette mesure a été particulièrement longue (voir mon article « Le Ministère met 20 ans pour appliquer sa décision » )
Autrement dit avec ces trois décisions, Alain Savary ferme l’établissement. La régulation des difficultés doit se faire en interne, et non pas en extériorisant les élèves.
Enfin une autre modification est apportée, l’appel ne pourra se faire que par la commission d’appel. Globalement, sur l’ensemble des paliers d’orientation, il y a 2% des décisions des conseils de classe qui sont objet d’appel. Pour la moitié les commissions donnent raison à la famille et l’autre moitié au chef d’établissement…. On a là une réelle remise en cause, 1% des décisions sont remises en cause !
En 1992 une nouvelle modification intervient. Elle introduit une possible remise en cause de la décision du conseil de classe par … le chef d’établissement lui-même. Celui-ci est tenu s’il y a un désaccord entre la demande de la famille et la réponse du conseil, de rencontrer les parents, de discuter avec eux et de prendre une décision d’orientation qui peut être différente de celle qu’il a formulée en conseil de classe.
En 2005 à l’occasion de la réforme du lycée, des assouplissements sont introduits dans l’orientation en lycée, que j’ai présenté dans l’article « L’orientation au lycée, réforme nationale ou locale ? » / . Là encore le pouvoir décisionnaire des chefs d’établissement est renforcé par rapport à celui du conseil de classe. Mais deux après j’écrivais celui-ci : « Où en est l’orientation en lycée ? » et je faisais le constat d’un silence institutionnel concernant l’application de ces nouvelles possibilités.
Aujourd’hui
Aujourd’hui, c’est le redoublement en tant que voie d’orientation qui est supprimé par ce nouveau texte de Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Et Anne Coffinier ne s’y trompe pas en titrant son papier « Interdiction du redoublement, nouvelle restriction de la liberté pédagogique ». C’est ainsi que ce sera sans doute vécu, et bien sûr, « La mesure prise par Najat Vallaud-Belkacem va contribuer au nivellement par le bas de l’Éducation nationale. »
Mais pourtant c’est sans doute l’inverse qui est visé ! Supprimer les sorties possibles du système, et les redoublements, c’est enfin affirmer la réussite de tous comme objectif du système. Bien sûr il faudra modifier une grande partie de notre organisation scolaire, travailler sur la pédagogie, et réduire l’isolement professionnel.
Et pas que cela, car il reste un dernier pouvoir, celui de distinguer la population scolaire à la fin de la troisième. Ce n’est pas rien, car il impose aux enseignants de repérer et d’être capable de justifier les différences. Une belle contradiction avec l’objectif du socle atteint pas tous !
Encore un effort ! Mais dans combien de temps ?
Pour mémoire voir mon article « Pourquoi faut-il supprimer les procédures d’orientation »
Bernard Desclaux