C’est un concept relativement neuf au regard de l’histoire de l’école. Jusque dans les années 1960, hors les mouvements pédagogiques, personne n’en parlait. Tout était fait d’ailleurs pour garantir l’individualisme des enseignants : l’architecture, les programmes, les passages d’une classe à la suivante et les redoublements, l’inexistence du conseil des maîtres, etc. « Chacun dans son bocal, couvercle fermé ». L’organisation des salles de classe le long de couloirs rectilignes et l’absence de salle de réunions imposaient et imposent encore souvent aux actrices et aux acteurs des séances d’assouplissement qui n’étaient pas sans intérêt. Siéger sur les chaises des enfants de 3 ans et même de 10 ans laisse toujours de belles images et de bons souvenirs.
Quand ce concept a commencé à entrer dans les textes officiels, il a eu bien du mal à en sortir pour être réellement mis en œuvre.
Imposé par le projet d’établissement, il a permis de développer des échanges, des réflexions, des productions intéressantes et a participé à l’entraînement du directeur ou du volontaire désigné d’office, à la rédaction de comptes rendus. Cet entraînement s’est révélé bien utile depuis 2007, ces dernières années ayant eu pour caractéristique, entre autres aspects du nouveau management, un accroissement inouï de la paperasse : des comptes rendus pour tout et pour rien, toujours à rendre pour hier sous peine de menaces, alors que personne n’a le temps et le goût de les lire. Il permet toutefois quelques contrôles et parfois ce plaisir solitaire de l’exercice d’un pouvoir dérisoire.
Les projets d’établissement ont eu leurs heures de gloire lors des réunions avant de connaître des heures plus sombres dans les tiroirs. Chacun sait que le projet d’établissement est rarement le moteur d’une transformation des cours, d’une véritable mobilisation collective pour des objectifs précisément identifiés, nécessairement transversaux.
Les projets et leur corolaire ou leur préalable, le travail d’équipe, reviennent à la mode. Tant mieux… à la condition que l’on sache se donner les moyens de les sortir du règne du formalisme, de l’incantation et de la paperasse inutile.
De récentes déclarations en faveur d’une refondation de l’école redonnent de l’espoir. Encore faudra-t-il analyser les problèmes, opérationnaliser les intentions, construire des garanties.
Le travail d’équipe ne se décrète pas. Il n’est pas dans les gènes. Il s’apprend.
Or tout le système de formation est exclusivement destiné à des individus. On fait un stage seulchez un maître « chevronné », donc généralement choisi pour son conformisme, dans une classe ou dans une discipline. Et quand les stagiaires sont deux ou trois, ils font, côte à côte, le même travail. Ils sont évalués en tant qu’individus et jamais en tant que membres d’un groupe. Il est évident qu’il faudrait qu’ils soient en stage dans un établissement afin d’observer les continuités et les transversalités, qu’ils travaillent ensemble pour pouvoir problématiser et proposer des expérimentations, que leur travail d’équipe soit pris en compte dans leur évaluation. Nous en sommes loin.
Le travail d’équipe ne peut fonctionner qu’avec des programmes intelligents, c’est-à-dire fondamentalement différents de ceux de 2008, qui feront une large place au transversal et au global porteurs de sens.
Il est donc urgent de donner leur place aux finalités, de repenser le socle et les programmes.
Le travail d’équipe ne peut avoir de sens que si tous les membres se mettent vraiment d’accord sur des valeurs, des principes, une conception des rapports avec les élèves.
Pas seulement au niveau du discours mais au niveau des comportements : respect, justice, prise en compte de leurs problèmes, politesse réciproque, respect réciproque des engagements, importance du droit à l’expression et du dialogue, prise en compte des savoirs et compétences acquises hors de l’école, refus de l’humiliation, etc. Accord aussi quant aux rapports avec les familles et à leur prise en compte collective.
Le travail d’équipe exige du temps pour des échanges libres sans pression, pour se voir travailler en classe – d’où l’intérêt de la proposition d’un enseignant supplémentaire -, et aussi pour parler d’autre chose.
Le travail d’équipe nécessite de la confiance plutôt que de la compétition, du dialogue et de l’accompagnement constructif plutôt que des injonctions que les donneurs d’ordres seraient bien incapables d’appliquer eux-mêmes. Il est condamné d’avance si l’on n’abandonne pas les pratiques actuelles, obsolètes, encore plus infantilisantes qu’avant 2007 en raison d’un autoritarisme et d’un technicisme accrus, d’une inspection individuelle qui a tellement et si mal vieilli. Le travail d’équipe n’a pas besoin de pilotes le nez collé sur les courbes et les camemberts oubliant l’humain.
Le temps est peut-être venu de quitter le règne de l’apparence et du formalisme, de la mode, et, profitant d’un nouvel élan, de prendre des dispositions fondamentales pour faire que le travail d’équipe devienne une priorité dans l’intérêt de l’école et de chacun de ses acteurs et partenaires. Il ne suffira pas de le déclarer.
Quel bonheur de travailler ensemble quand toutes les conditions sont réunies pour ne pas décevoir les équipes et ne pas être contraint de se limiter aux apparences !
Mais vous n’êtes pas obligé d’être d’accord