Au cours d'une journée banale, on est capable d'affirmer, en toute objectivité... avoir croisé la route d'au moins un vrai méchant – par exemple, ce malade mental qui nous a dépassé par la droite, via la bande d'arrêt d'urgence, au milieu d'un concert de klaxons – et d'au moins un vrai gentil – ainsi, cette crème d'homme qui a bien voulu nous laisser entrer dans sa boutique, ouverte à toute heure, et même si en l'occurrence on arrivait dix minutes après l'horaire indu de fermeture.
On connait des guichets qui fermeraient plutôt dix minutes en avance et on s'épargne une typologie plus sérieuse des gentils et des méchants sur la Scène Internationale, qui risquerait à la fois de nous donner des cauchemars et de nous dégoûter de tout altruisme – dérisoire quand on se représente ce dont certains athlètes de la bonté sont capables.
Vous comprenez où je veux en venir : il n'est pas aisé d'expliquer aux enfants que la réalité n'est pas aussi binaire que ce qu'ils l'imaginent être, que ce qu'ils aimeraient la voir être... Forcément, un Monde où seuls les gentils seraient de la partie mériterait tellement mieux de se fatiguer pour avoir de bons carnets... L'Eden retrouvé, c'est évident mes chers, alors activez-vous.
Tout est si simple : il n'y aurait qu'à se débarrasser une bonne fois de tous les méchants... Je n'insiste pas sur les difficultés réelles, en termes d'évaluation puis d'organisation, d'une telle opération... Ni sur les nombreux exemples historiques de tentatives de nettoyage, qui ont eu pour seul résultat la formation du concept de crime contre l'Humanité... Mais les enfants ne prêtent pas attention à ce genre de détails, c'est ce qui fait la beauté de leur âge, ils croient tout possible ou en tout cas aiment à le croire.
On comprend moins les bambins qui rêvent d'un Monde peuplés exclusivement de méchants, mais on en trouve aussi et ils ne sont pas toujours ceux que l'on croit. Car en fait, et les élèves n'ont pas forcément besoin qu'on leur explique, les intrigues de la cour de récré étant une excellente école de la vie, on reconnaît parmi eux tout type de gentils et de méchants, des faux gentils et des vrais méchants, des faux méchants et des vrais gentils, et une intensité plus ou moins grande de diffusion de la gentillesse et de la méchanceté chez chacun.
Certains sont toujours contents, d'autres sont soupes au lait, quelques-uns éternellement mal lunés, cependant qu'un vaste ventre mou suit les mouvements de la météo, climatique ou professorale, pour déterminer quels jours il fera soleil au-dessus de leur tête et quels jours leur moral sera à l'averse.
Dans le fond, une bonne méthode pour faire comprendre aux élèves qu'un individu est plus complexe qu'un personnage de Walt Disney, que la réalité des choses est souvent contradictoire, parfois injuste ou incompréhensible, est de générer un effet miroir en les prenant à témoin de leurs propres attitudes. C'est alors, à leurs réactions, que vous pouvez mesurer s'ils posaient honnêtement la question du bien et du mal – et alors vous en êtes au début d'un prémisse de déniaisement – ou s'ils s'amusaient de votre norme personnelle en la matière, car ayant compris la labilité du phénomène, ils voulaient essayer de s'arroger des coudées plus franches au dépend de votre autorité.
Un élève qui cherche ainsi à tirer parti du positionnement du professeur n'est d'ailleurs pas un méchant gamin, il s'agit plutôt d'une intelligence en formation, qui veut savoir jusqu'où pousser ses limites, sans se brûler les doigts ni ceux de son entourage. Et on pourra croiser des élèves, d'apparence comme de réputation gentils, qui deviennent des furies si jamais vous avez le malheur de ne pas trancher suffisamment entre les fréquentables et les infréquentables, entre ceux qui méritent d'être à l'école – pour faire bref les scolaires – et ceux qui devraient être envoyés au zoo – pour pouvoir y épanouir leurs talents d'agitateurs.
Et vous, lequel de ces deux profils d'élèves trouvez-vous le plus gentil, le plus méchant ? Le faux gentil, le faux méchant ou le vrai enfant ?