« Les ados gobent l’info sur le web trop facilement » titrait en septembre 2011, le site québécoisCanoë qui s’intéressait à une étude de Demos (organisation britannique spécialisée dans les études publiques) qui conclut que, pour les jeunes, la frontière entre fiction et réalité est bien floue. Ce document, qui repose sur l’analyse de 17 études réalisées entre 2005 et 2010 auprès de 500 enseignants du Royaume uni, indique qu’un quart des jeunes de 12 à 18 ans ne font aucune vérification sur les informations qu’ils ont obtenues sur Internet. Moins de 10 % d’entre eux se posent la question de l’origine du site. De plus, si le design leur plaît, les informations sont de qualité ! Les jeunes qui, selonl’étude Fréquence écoles, publiée en 2010, avaient, pour 74,4 % d’entre eux, recours à Internet pour leur travail scolaire — chiffre qui a certainement dû augmenter depuis — sont donc vulnérables « à la désinformation et aux théories du complot ».
Google plus « copier-coller »
Dans la revue en ligne « Regard sur le numérique »le maître de conférence Jean-Noël Lafargues’interroge même sur le fait de savoir s’il ne faudrait pas nommer ces jeunes des « digital naïves » plutôt que des « digital natives ».
De nombreux enseignants ou documentalistes le déplorent ; pour leurs recherches, les élèves posent la question sur Google, leur porte d’entrée sur le Web et « copient-collent » ce qui leur convient. Une démarche qui pose problème dans son ensemble.
Plus encore, il est parfois même difficile de faire admettre à un élève qu’il a tort en cas d’erreur manifeste. L’auteur de « Googlelisation et sens critique » cite l’exemple d’un jeune pour qui Jacques Cartier était parti vers l’Amérique pour écouler la production de montres de l’usine paternelle pour mettre en évidence l’absence totale d’analyse et de critique vis-à-vis d’une information.
Devant des réponses quasiment instantanées, quel besoin y a-t-il de mémoriser, d’apprendre ? Dans« Qu’est-ce qui ne va pas dans le fait que Google donne instantanément la réponse à ma question ? », paru sur Educavox, le professeur-documentaliste Jean-Paul Jacquel incite des enseignants à poser des questions complexes. Il s’agit pour lui de : « Stimuler l’intelligence et la réflexion, nourrir et encourager la curiosité, mettre en place les conditions d’un apprentissage autonome qui devra durer une vie entière en s’adaptant aux mutations des technologies du savoir ? »
Dans une enquête réalisée en ligne par le site de L’étudiant en 2010, Carole Jaillet, professeure-documentaliste, estime que l’élève cherche l’info, en trouve, mais ne la lit pas.
Jackie Pouzin, professeur d’histoire géographie abonde dans ce sens (« « Des élèves de plus en plus connectés » » paru dans La Croix, (septembre 2011) : « Aujourd’hui, ils sont beaucoup plus autonomes dans leur recherche documentaire. Celle-ci est même devenue une sorte de jeu pour certains qui se contentent de trouver l’information sans prendre le temps de la lire ». Et il conseille à ses collègues de demander aux élèves de « répondre précisément sur les recherches effectuées, en citant ses sources ».
Relever le défi de la formation
Dans « La formation à l’attention des jeunes générations » » paru sur son site “guide des égarés Olivier Le Deuff (1) ( maître de conférences à l’Université de Bordeaux 3, à l’iut GIDO et au laboratoire MICA) s’intéresse met en relation cette non-lecture de l’information trouvée avec la pratique du zapping et le manque de concentration. Il souligne : « C’est justement cette incapacité à se concentrer sur un objet, à se poser pour lire qui fait des nouvelles générations, des générations négligentes.
« Dans un second texte qui prolonge le premier, il s’intéresse de plus près à ce phénomène et classe les négligences en trois catégories :
– « la Non-lecture d’informations et de consignes collectives ;
– les lectures limitées ;
– le refus de l’effort et le manque de méthodologie ».
Négligences dont les incidences vont bien au-delà des lieux de formation :
– « méconnaissance d’un sujet (Inconscience du besoin d’information) ;
– confiance accordée à l’ensemble des documents ou au contraire doute sur l’ensemble des documents du fait d’une faible capacité d’évaluation de l’information ;
– propagation de rumeurs sans vérification des sources ;
– croyance en des théories ‘miracles’ qui veulent tout expliquer. (théories du complot) ;
– méfiance vis-à-vis de l’institution qui est perçue comme un lieu de surveillance et qui possède des informations qu’elle ne dévoile pas au grand public. »
Les enseignants ont donc un combat à mener et on se situe en plein cœur de l’éducation aux médias : apprendre aux jeunes à avoir un sens critique face à ce qu’ils trouvent sur Internet ; leur faire prendre conscience qu’il faut savoir trier les données trouvées. Et les récentes évolutions du moteur de recherche phare, Google, qui personnalise les résultats depuis 2009 (stockage des historiques des internautes) et vient d’y inclure ceux issus de votre réseau social (2) le rendent encore plus indispensables.
Ils ont aussi à relever un triple défi :
– redonner de la curiosité, l’envie de chercher plus loin ;
– mettre en évidence et faire acquérir les fondamentaux de l’esprit critique : recouper les informations, chercher, repérer les éventuelles contradictions ;
– faire comprendre que bien surfer, savoir trouver des informations n’est pas inné et doit s’apprendre.
À suivre, une deuxième partie : valider l’info sur Internet, outils pédagogiques.
1) Olivier Le Deuff est l’auteur de « La formation aux cultures numériques » Une nouvelle pédagogie pour une culture de l’information à l’heure du numérique (FYP Éditions).
2) à ce sujet vous pouvez lire : « Comment Google a cassé Google » .