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Désolé, je crois que ce billet sera un tantinet pessimiste…
Au milieu de l’obscurité, on va essayer de retrouver du courage, de l’inspiration et un peu de lucidité dans les rais qui s’essaient à la traverser. 

Reprenons depuis le début. Rappelez-vous, après le récent rapport d’étape du 10 juin dernier sur l’école numérique, je faisais le triste constat que la fracture numérique est au ministère même, tant paraît infranchissable la distance qui sépare les déclarations enflammées mais visionnaires du ministre de celles de sa propre administration ou de l’inspection générale.

Nous verrons dans ce billet — soyez patients ! — qu’une autre fracture numérique est encore béante et ne se résoudra pas, semble-t-il, de sitôt.

Ce jour-là, se tenait en ouverture une curieuse table ronde, où comme d’habitude personne n’échange avec personne et où chacun assène son propre discours, issu des troubles réflexions de ses services de communication respectifs. Parmi les membres éminents de ce distingué aréopage, on notait la présence de Mme Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de la CNIL

Cela ne laisse pas d’étonner de voir la CNIL se préoccuper d’éducation — on cherche en vain ce dernier mot dans les missions que le législateur lui a confiées — tant ses dernières initiatives à ce sujet paraissent anti-éducatives, le pseudo droit à l’oubli par exemple, ou inadéquates, des fiches pour les jeunes très directives.

Qu’est venue dire ce jour-là la présidente de la CNIL ? Annoncer la décision de cette dernière de coordonner les réflexions d’un collectif pour faire de l’éducation au numérique une grande cause nationale en 2014. Donnons cette fois crédit à la CNIL de l’initiative qu’elle a prise, tant il paraît en effet important et surtout urgent de réfléchir ensemble à ces enjeux éducatifs et sociétaux et de soutenir le chantier de l’école numérique.

La CNIL nous explique tout ça sur son site dans un article récent en listant les 28 organisations ou associations invitées. Curieux mélange ! On y trouve de tout, le meilleur bien sûr, mais aussi des associations qui ont déjà fait montre sur ce sujet de dramatiques et rétrogrades positions anxiogènes ou obscurantistes. J’ai déjà évoqué ces histoires dans des billets précédents et n’y reviens pas.

On peut remarquer aussi que la CNIL a fait le choix de travailler sur l’éducation au numérique, chantier qui court le risque d’être dilué et donc dissous. Concernant le seul système éducatif, compte tenu de l’urgence, j’ai déjà rappelé qu’il était préférable d’enseigner le numérique, voir mon dernier article à ce sujet.

Nous verrons bien ce qu’il sortira de ce travail mais pourquoi ne pas être optimiste, pour une fois ?

Je vous avais pourtant annoncé un billet pessimiste… Alors, me direz-vous ? Attendez, j’y viens…

Un autre chantier important de la refondation de l’école est celui de la nouvelle orientation et du souffle nouveau donnés à la formation initiale, par le moyen notamment de la création des ESPE, les écoles supérieures du professorat et de l’éducation. 

Les missions de ces ESPE sont définies et rappelées dans un certain nombre de documents dont celui-ci, une FAQ destinée à « tout comprendre des ESPE ». Dans ce très long document, concernant l’accréditation des établissements d’enseignement supérieur, l’un des critères retenus est la place faite au numérique, sans autre précision. Concernant la formation de tous les enseignants, de la maternelle au supérieur, un entrefilet rappelle qu’elle s’appuie sur les ressources numériques. Sic ! Le rédacteur est, à n’en pas douter, un visionnaire.

Une magnifique infographie détaille par ailleurs le parcours type au sein des ESPE. Ne cherchez pas : il n’y a pas un mot du numérique !

Enfin, il faut fouiller pour trouver dans un très long PDF de vingt-huit pages, tout récent (début juillet), l’essentiel de ce qu’il faut savoir des grands axes de la réforme. Je tire de ce document les phrases suivantes :

« Car on exige beaucoup de l’enseignant du XXIe siècle. Il doit non seulement exceller dans sa ou ses discipline(s) et dans ses pratiques pédagogiques, mais également savoir utiliser les technologies numériques… »

« Les ESPE seront en outre particulièrement engagées dans la formation des enseignants à l’usage du numérique »

« Les ESPE auront pour mission de former les enseignants à l’usage du numérique. Le numérique contribue en effet à améliorer l’efficacité des enseignements. Il constitue un pilier de la refondation pédagogique »

Vous noterez que les missions confiées à ces nouvelles écoles de formation des maîtres, ancrées dans leur temps, celui du début de ce troisième millénaire, sont des missions essentiellement utilitaires. C’est dans l’air du temps, tout le monde fait dans l’utilitaire. D’aucuns, fort aventureux, semblent avoir compris que le numérique était incontournable, à leur corps défendant, mais lui refusent toute fonction paradigmatique pour le résoudre à son seul usage. On se sert de l’« outil numérique » comme d’un crayon ou d’une clé de douze et donc on n’a rien compris.

Ces lettres de mission aux ESPE sont donc vides de tout sens, au fond, à l’exception fort notable mais anecdotique de la mention rare de la reconnaissance que « Le numérique contribue en effet à améliorer l’efficacité des enseignements. ». C’est à noter.

Pour qui connaît un peu, comme moi, les ex-IUFM, leurs enseignants et leurs enseignements, les jeunes professeurs qui en sont sortis et se sont confiés à leurs aînés à ce sujet, c’est un euphémisme de dire que le numérique constituait déjà la dernière roue de la charrette. À l’exception encore de quelques lieux et formations professionnelles, comme celles des professeurs documentalistes, par exemple, l’essentiel du paysage de la formation initiale réduisait le numérique à la seule dimension utilitaire (déjà !) et strictement technologique des Tice. Et encore, ça, c’est quand on avait le temps et ça passait toujours après la didactique de la discipline, didactique résolument dépourvue de toute culture numérique.

Je le sais, je l’ai vu, j’ai entendu les jeunes professeurs en parler : de manière générale, le numérique, en tant que culture et modèle pour une nouvelle pédagogie rénovée, était exclu de la formation initiale. Délibérément, et presque méthodiquement.

Les seuls moments où les apprentis professeurs pouvaient s’immerger un tant soit peu dans le numérique (les Tice, pardon !) étaient ceux, fort rares, réservés à la réussite des items de cet exercice parodique, dont beaucoup sont d’ailleurs dispensés, que constituait et constitue toujours le C2i.

Rien n’a donc changé et rien ne changera. Ce ne sont pas les quelques lignes ci-dessus qui vont émouvoir les universitaires émoulus et sûrs d’eux en charge de cette formation initiale. Ce sont les mêmes, et ce n’est pas parce que les IUFM vont s’appeler des ESPE qu’ils vont changer d’un iota leur enseignement !

Et l’école en prend encore pour vingt ans, au bas mot, le temps peut-être de changer de génération. Je vous avais prévenus qu’il n’y avait pas de quoi se réjouir !

Michel Guillou @michelguillou http://www.neottia.net/

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Crédit photo : //www.flickr.com/photos/71325969@N00/3467378509/" rel="external" style="margin: 0px; padding: 0px; border: 0px; color: rgb(25, 64, 182); text-decoration: none; font-weight: bold;">Martin Gommel via Compfight cc

Guillou Michel

Naturaliste tombé dans le numérique et l’éducation aux médias... Observateur du numérique éducatif et des médias numériques. Conférencier, consultant.