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Merveilleux plaidoyer que ce brillant petit billet lu il y a peu sur Le Web pédagogique ! Que d’enthousiasme et de foi en son métier chez ce professeur des écoles qui se fait appeler monsieur Mathieu et qui semble si jeune…

Car il en faut de la jeunesse, dans la tête si ce n’est dans les artères, pour y croire à ce point ! Ton espoir, ton plaisir communicatif et le rêve que tu caresses d’être bientôt équipé font plaisir et contrebalancent fort avantageusement les articles fielleux sur l’éducation lus récemment et relayés par des médias complaisants.

Bravo donc monsieur Mathieu !

Malheureusement, à mon avis, tu te trompes sur l’essentiel…

Tu t’essaies à conseiller les collègues pour trouver à s’équiper en matériel numérique, tu leur conseilles de trouver un soutien institutionnel auprès du conseiller du recteur pour les Tice — bon, je ne reviens pas sur tout le mal que je pense de cette appellation obsolète — ou de l’IEN Tice de chaque direction départementale, comme s’il y en avait un par département, comme s’il était compétent sur le sujet, comme s’il avait un quelconque entregent !… 

Tu leur proposes aussi de trouver appui auprès de la DUI et du réseau des cyberbases… et, en l’occurrence, tu te trompes de crèmeries car ces réseaux, fort efficaces au demeurant, n’ont pas grand chose à voir avec le système éducatif au premier et au second degré, même s’il est possible parfois, très rarement, de partager des locaux…

Tu suggères aussi de t’adresser à la préfecture, ou de se lancer dans un partenariat public-privé — quelle folie ! — ou de tenter une démarche auprès du Conseil général, seule proposition qui puisse parfois avoir du sens dans certains départements qui mènent des politiques de partenariat et d’impulsion.

Non, l’équipement des écoles revenant aux communes, il n’y a pas d’autre moyen pour s’équiper que de convaincre les maires et leurs adjoints pour l’éducation, sauf opération nationale particulière comme celle des écoles numériques rurales en 2009. Il va de soi aussi que les municipalités seront plus sensibles à un projet cohérent et collectif, y compris avec les autres écoles de la ville, qu’à un projet individuel, aussi bien ficelé soit-il.

Tu te trompes par ailleurs complètement sur les différences entre public et privé où la situation est plus complexe et les financements très divers.

Mais là où tu es dans l’illusion la plus complète, c’est quand tu imagines que la classe numérique que tu devrais recevoir va changer ta vie de professeur et te faire passer du bon côté d’une pédagogie moderne et rénovée !

« Lorsque l’on voit les possibilités offertes par la classe numérique c’est à dire un tableau blanc interactif accompagné d’une classe mobile (ordinateurs portables dans un chariot équipé d’une borne WIFI, qui charge les ordinateurs portables et qui vadrouille de classe en classe) on ne peut que rester bouche-bée. »

Même si les outils ne sont jamais neutres, ce n’est pas l’installation d’un TNI en classe — je n’ai jamais compris l’acharnement qu’ont certains à insister sur la couleur blanche de ces tableaux, couleur dont on se fiche complètement, alors que leur intérêt est d’abord d’être numériques — ni la mise à disposition d’une classe mobile ou de boîtiers de positionnement qui risquent de changer quoi que soit ! 

Sur ce blog — peut-être l’aurez-vous remarqué ? —, je n’ai jamais ou presque évoqué les outils, matériels ou logiciels, tant m’attarder à m’émerveiller sur leurs fonctionnalités me paraît dérisoire au regard, notamment, de leur durabilité. La recherche et le développement nous proposent très régulièrement des nouveautés époustouflantes, forcément époustouflantes ! renvoyant les étonnantes nouveautés précédentes aux poubelles de l’histoire de la pédagogie. Il est curieux d’ailleurs d’observer qu’il est bien rare que les utilisateurs soient consultés à ce sujet de la recherche, contrairement à ce qu’on veut d’ailleurs nous faire croire…

Bref, Mathieu, tu te mets le doigt dans l’œil jusqu’au coude si tu t’imagines que ton TNI sera un outil merveilleux car « il faut vous imaginer les possibilités d’un vidéoprojecteur combinées à celles d’un ordinateur auquel est reliée une connexion internet, associée à une surface entièrement tactile et donc interactive pour les élèves grâce à des stylets » ! En toute amitié et confraternité, ce n’est pas pour cette raison que le TNI sera important, mais parce qu’il te permettra d’abord de rendre les élèves actifs — plusieurs TNI placés un peu partout autour de la salle de travail seraient d’ailleurs plus profitables car ce sont avant tout des outils pour les élèves avant d’être un outil pour le professeur —, d’annoter ou de commenter toutes sortes de documents, de produire une trace stockable et partageable d’un raisonnement ou d’une construction, d’y revenir si besoin donc en séance ou plus tard à la maison, de mieux gérer les erreurs enfin !

Par ailleurs, les risques sont grands pour toi, Mathieu, de simplement transformer, numériser, un enseignement traditionnel en ne changeant rien à ta posture frontale. On peut faire un beau cours magistral avec un TNI et, aussi ludique et motivant que soit l’exercice interactif, les élèves, intéressés au premier abord, risquent fort de se lasser et leur attention de s’étioler, comme d’habitude quoi.

La présence du TNI dans ta classe, Mathieu, n’est donc pas en soi un gage de modernisation de tes pratiques pédagogiques ni d’intégration réussie du numérique. Rien ne changera si, au-delà de la formation pédagogique nécessaire, tu n’es pas capable de changer radicalement de posture et de prendre conscience de la nécessité d’un engagement et d’une acculturation numériques.

Il en va de même des autres outils que tu évoques, Mathieu, ordinateurs de la classe mobile, boîtiers de positionnement dont j’espère que tu sauras les utiliser à faire autre chose que « de réaliser rapidement et sans correction une évaluation ». Sans correction ? Quelle drôle d’idée !

Il en va donc de même de ces outils comme de tous les autres outils que tu pourras utiliser avec tes élèves. Rien ne changera si ta posture ne change pas, si ton enseignement n’est pas profondément modifié, si tes démarches pédagogiques n’intègrent pas les nouveaux paradigmes induits par le numérique, pour ce qui concerne par exemple l’acquisition des savoirs comme le partage des connaissances.

C’est à ces seules conditions que, j’en fais le pari, monsieur Mathieu, tu prendras du plaisir, et tes élèves aussi, et réaliseras le rêve de classe numérique à laquelle tu aspires. Bon courage !

Michel Guillou @michelguillou

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Crédit photo : Sha Sha Chu via photopin cc

Guillou Michel

Naturaliste tombé dans le numérique et l’éducation aux médias... Observateur du numérique éducatif et des médias numériques. Conférencier, consultant.