Et si, par hasard ou parce que les choses sont vraiment bien faites, l’équipement et les ressources qui tombaient du ciel pouvaient être adéquats au profond désir de l’équipe de professeurs concernés, ce serait encore mieux…
Car, de l’équipement et des ressources, il semblerait bien, en effet, qu’il va en tomber du ciel. Attendez, pas pour tout le monde, ne rêvez pas !
Essayons d’y voir clair. Rappelez-vous, le président avait promis des tablettes à tous les élèves de la classe de cinquième pour septembre 2016. L’annonce avait surpris et déconcerté pas mal de monde, à commencer par le ministère de l’Éducation. De nombreuses critiques avaient été formulées, de manière parfois fort peu raisonnable dans bien des cas. Pour ma part, je m’étais aussi exprimé à ce sujet (2).
Eh bien, figurez-vous que le projet semblerait tomber à l’eau… ou prendrait une autre forme.
Voilà qu’on apprend sur le site du ministère puis sur celui du gouvernement le lancement,après la concertation, d’un nouveau dispositif dit des collèges « pionniers » dont on apprend qu’ils seront 300, voir ci-dessus.
Il faut relever les points suivants :
- en fait il y aura 228 nouveaux collèges engagés car les collèges « pionniers » intégreront les 72 collèges « connectés » — je n’aime ni l’une ni l’autre de ces appellations (3,4) ;
- parmi les 228 nouveaux collèges, 50 devront provenir de l’éducation prioritaireet fédérer autour d’elles un réseau de 300 écoles qui bénéficieront, elles aussi, du dispositif, et du soutien financier qui l’accompagne ;
- le soutien financier consiste en un financement au département concerné sur la base de 380 € par élève et enseignant, pris en charge à 100 % par l’État pour les enseignants et les élèves de l’éducation prioritaire, à 50 % pour les autres ;
- 30 € sont alloués pour les ressources numériques pour chaque élève ou enseignant ;
- chaque école recevra deux subventions, l’une à la hauteur de 500 € pour des ressources, l’autre à la hauteur de 6 000 € pour l’achat d’une classe mobile, dans la limite maximale de 3 classes mobiles.
Je ne rentre pas dans les détails et ce d’autant plus aisément qu’il persiste beaucoup d’incertitudes voire d’ambiguïtés encore dans ce plan. Il semblerait, par exemple, que cette opération se prolonge, en 2016 et 2017, pour les classes de cinquième ainsi que, en 2017, pour les nouvelles classes de sixième, ce qui devrait aboutir à l’équipement de tous les élèves et tous les professeurs du collège « pionnier ».
100 % des élèves gagnants ont en effet pu tenter leur chance…
Le plan initial, rappelons-le, devait concerner tous élèves des classes de cinquième des collèges de France, c’est à dire à peu près un collégien sur quatre soit un peu plus de 800 000 élèves à la rentrée 2016.
Le plan que la ministre nous annonce aujourd’hui va concerner à la même date, septembre 2016, deux cohortes successives entrées en classe de cinquième soit à peu près la moitié des collégiens de 300 collèges, donc environ 70 000 d’entre eux. Il faut bien sûr ajouter les écoliers même si ces derniers ne devraient pas bénéficier d’un équipement individuel. En 2017, il y aura au grand maximum 150 000 élèves concernés.
150 000 collégiens sur un total de plus de 3 300 000, soit largement moins d’un élève sur vingt, on est très très loin du compte ! Alors bien sûr, d’ici deux ans, on peut toujours espérer des avancées locales dans les écoles, à l’initiative des communes, ou, plus vraisemblablement dans les lycées, à l’initiative des régions… Mais, dans tous les cas, on sera très loin de la généralisation et de l’essaimage attendus, d’autant qu’il faudra sans doute, diront ceux qui ne veulent pas s’engager, attendre les résultats circonstanciés des évaluations prévues, au cas où certains douteraient encore que le numérique soit indispensable à l’école…
Les conditions incertaines d’un curieux appel à projets
Premier point : on s’étonne pour le moins dans les départements, de l’échéancier prévu. En effet, comme me le fait remarquer un chef de projet qui accompagne les collèges dans un Conseil général :
« Vous n’êtes pas savoir que les élections départementales ont lieu fin mars. Or la date limite de réponse de l’appel à projet est fin avril. Il doit passer devant les élus fraîchement arrivés, ainsi le délai de réponse sera extrêmement juste. Volonté délibérée de l’État ou amateurisme ? J’avoue ne pas avoir la réponse… »
Deuxième point : comment ne pas s’étonner encore, et ce n’est pas un détail, qu’il faille faire parvenir un document à remplir et une lettre d’intention de la collectivité via une adresse courriel ? Personne n’a imaginé, ne serait-ce que pour le traitement des dossiers, qu’un formulaire en ligne était préférable ? C’eut été un premier geste d’engagement numérique… Dommage.
Troisième point : une annexe dite de « préconisations pour l’acquisition d’équipements numériques » énumère les équipements susceptibles d’être les mieux adaptés à des finalités éducatives. Cette annexe ne parle pas de tablettes mais « d’équipements individuels mobiles », ce qui laisse la porte ouverte au choix éventuel d’un marché d’ordinateurs nomades. Malgré tout, le financement prévu pour chaque équipement ne permet pas de faire des folies et il faudra sans doute, sauf effort très important de la collectivité, opter pour des tablettes tactiles mobiles.
Mon correspondant me fait remarquer à juste titre que cet effort financier de l’État porte sur les seuls équipements mais que ce dernier se contente, pour le reste, de simples préconisations sans mettre la main au porte-monnaie. Il est pourtant demandé aux collèges candidats de disposer d’un débit Internet d’au moins 10 Mb/s — il faut être clair : il s’agit là du débit moyen d’une connexion Internet domestique, elle sera à l’évidence insuffisante et ne permettra pas les pratiques nombreuses et intensives attendues —, des installations électriques et réseaux (câblages, bornes Wi-Fi, serveurs), des dispositifs collectifs de visualisation interactive (vidéoprojecteurs, tableaux numériques interactifs), ce qui suppose un effort préalable des collectivités dans ce sens.
Le fiasco des ressources numériques éducatives
Une fois de plus, la ministre annonce l’ambition de 60 % de ressources numériques dans le budget d’ici 2020 !
Quel aveu d’échec ! Quel aveu d’impuissance ! Faudra-t-il attendre encore cinq ans avant que moins de deux ressources sur trois soient numériques ? Ce n’est pas sérieux. Ni d’ailleurs très nouveau. L’État s’avère en l’occurrence incapable d’exiger aujourd’hui, en 2015, du lobby des industriels du secteur une transformation radicale de leur modèle économique.
L’édition scolaire est à la remorque de l’industrie, elle est à la remorque de l’école numérique et elle contribue, de fait, à en ralentir le pas et l’avancement. On attend des préconisations autrement plus ambitieuses, plus volontaristes. Comme le dit la représentante d’un éditeur qui a franchi le pas du numérique depuis belle lurette et regrette l’attentisme de ses collègues :
" Il faut encore attendre cinq ans pour que les petits copains du papier soient enfin prêts ? "
Par ailleurs, à voir la présentation qui est faite des ressources disponibles, au-delà de son incapacité à impulser une politique ambitieuse et résolue pour le choix des seules ressources numériques — j’ai fait quelques propositions, récemment (5) —, l’État continue à laisser faire la chienlit du choix illégitime de solutions " propriétaires ", non interopérables, non granulaires et généralement beaucoup trop chères, en comparaison des services rendus.
A contrario, alors qu’elles sont d’une très grande richesse, on attend toujours du ministère et de ses services décentralisés qu’il organise enfin et vraiment la valorisation, la mutualisation et donc la distribution des très nombreuses ressources, dont beaucoup sont proposées en licence libre, produites par les enseignants eux-mêmes.
Mais venons-en au point essentiel de l’accompagnement…
L’impérieuse nécessité de dispositifs d’accompagnement renforcés et efficaces
C’est prévu, figurez-vous :
« Les équipes pédagogiques des collèges et écoles sélectionnés bénéficient d’un accompagnement par les Délégations Académiques au Numérique pour l’Éducation (DANE) sur la durée du projet, de sa préparation à sa mise en œuvre et à son évaluation. Cet accompagnement est articulé avec les actions des Conseillers académiques en recherche développement innovation et expérimentation (CARDIE) et du réseau CANOPÉ. Au fur et à mesure de sa mise en œuvre, le programme fait l’objet d’une évaluation coordonnée par les différents niveaux de pilotage (territorial, académique, national). »
La ministre évoque aussi « un projet s’inscrivant si possible dans une dynamique de recherche-action portée par des équipes de recherche » ce qui suppose à tout le moins que cette recherche s’inscrive dans le dispositif d’accompagnement global et d’évaluation rénovée. En tout cas, c’est une bonne idée.
Mais, du côté des collectivités, allez savoir pourquoi !, on se méfie et on a des doutes. L’expérience, probablement :
" Aucune garantie sur la pérennité du dispositif ou sur l’accompagnement et la formation. A ce sujet, ce que le rectorat appelle “accompagnement soutenu” a été, en tout cas pour le seul collège “connecté” de mon département, deux ou trois réunions avec des inspecteurs sur plus d’un an… "
En effet… Il semble bien qu’on ne voit pas les choses de la même manière de part et d’autre.
Essayons d’y voir plus clair, là encore. D’une manière certaine, la nomination en avril dernier — c’est hier et pourtant il en a pourtant coulé de l’eau sous les ponts, depuis — deCatherine Becchetti-Bizot à la tête de la Direction du numérique pour l’éducation est une bonne et belle chose, j’ai déjà eu l’occasion de le dire (6). Son premier travail fut d’organiser les choses au niveau central mais aussi de mettre en place, dans les rectorats, les délégations académiques au numérique pour l’éducation (DANE).
Et ça n’a pas été simple. D’abord parce que la plupart des anciens conseillers Tice des recteurs ont passé la main et que le vivier a dû se renouveler, ensuite parce que les compétences locales dans le domaine du numérique, dans certaines académies, ne couraient pas les rues, enfin parce que les élus devaient, ce qui n’était pas toujours simple, avoir ou gagner la confiance de leurs recteurs respectifs.
Aujourd’hui, le paysage du numérique éducatif dans les académies est très contrasté, très, tant pour ce qui concerne la reconnaissance et l’efficacité des chefs, les délégués académiques, en charge du pilotage de la mise en œuvre dans l’académie du service public du numérique éducatif, que pour les équipes qu’ils ont constituées qui sont généralement en charge, elles, de l’accompagnement de proximité.
Dans bien des cas, ces équipes se réduisent à peau de chagrin. Là où quelques académies, pas forcément les plus grosses d’ailleurs, bénéficient de moyens humains et matériels plutôt suffisants, d’autres doivent se contenter du strict minimum. Très souvent, par exemple, les délégués académiques ont un adjoint pour le premier degré, lequel est la seule personne de l’académie à travailler sur ce secteur et ne bénéficie pas d’une mission spécifique.
Une des missions les plus importantes, en dehors bien sûr du lien qu’elles doivent tisser avec toutes les collectivités locales, qui soit assignée aux délégations académiques concerne la prescription et parfois la mise en œuvre de la formation au numérique. Les moyens qui ont été dévolus à la formation des personnels, de manière générale, ont fondu ces dernières années comme neige au soleil et il devient souvent très compliqué pour les délégués académiques pour le numérique d’obtenir plus que la culture, la vie scolaire ou d’autres chantiers vus localement comme prioritaires.
Parfois même, la mise en œuvre de la formation est confiée aux ÉSPÉ qui, le plus souvent, en sont bien incapables. Je ne souhaite pas aujourd’hui m’étendre davantage sur les raisons qui peuvent expliquer un tel échec mais, à coup sûr, ce dernier est endémique et patent. Parfois encore, ce sont les corps d’inspection disciplinaires qui la prennent en charge, réduisant à néant la nécessaire vision transversale du numérique.
Des efforts ont bien été faits, de ci, de là, en s’appuyant sur les dispositifs de formation en ligne, notamment la plateforme M@gistère, mais tout cela est encore bien insuffisant.
Dans le cas qui nous occupe, le suivi du plan est bien de la responsabilité des délégués académiques, en collaboration étroite avec les collectivités territoriales. Pour ces dernières, la vision du terrain paraît très confuse. Si le pilotage n’est pas trop visible, l’extrême diversité et parfois l’incohérence des interventions (DAN, CARDIE, CANOPÉ, ÉSPÉ, organismes de formation, corps d’inspection disciplinaires, enseignants chercheurs des universités…) rend le paysage particulièrement trouble : à qui s’adresser, pour l’accompagnement, la formation, l’évaluation ?
Au niveau local, on a créé en 2010 les référents numériques, pour le second degré.
Ces derniers ont pour mission, sous la responsabilité des chefs d’établissements, d’accompagner la mise en œuvre des pratiques professionnelles innovantes avec le numérique — le texte parle tristement d’usages, comme d’habitude.
Leur régime indemnitaire est complexe, extrêmement divers d’un établissement à l’autre, d’une académie à l’autre… Là où certains bénéficient, le plus souvent en lycées, d’heures supplémentaires voire de décharges importantes, allant rarement jusqu’au service complet, d’autres doivent se contenter du minimum syndical, le taux de base de l’indemnité prévue soit 1 250 € par an, parfois moins encore. En principe, décharges ou heures supplémentaires ne sont pas cumulables avec l’indemnité.
Dans tous les cas, ce qu’il faut comprendre est simple, compte tenu de la baisse générale des moyens dédiés aux enseignements : ces référents numériques abattent souvent un travail considérable et en sont fort peu récompensés. Ils sont nombreux chaque année à abandonner, peu soutenus par leur chef d’établissement ou l’institution. Et ce qu’il faut comprendre aussi, pour reparler de l’accompagnement dans les collèges « pionniers », c’est que ce sera très insuffisant.
Les collectivités sont donc largement dans leur droit en disant haut et fort que l’expérience les oblige à l’inquiétude. Elles ne sont pas en mesure de se mettre à la place de l’État sur ce chantier et, d’ailleurs, elles ne le souhaitent pas. En revanche, très naturellement, elles sont en droit d’attendre beaucoup, de telle manière que l’argent public qu’elles auront dépensé soit bien utilisé, au profit de l’engagement numérique des écoles et établissements, des élèves et de leur réussite.
Alors comment faire ?
J’ai dit et répète que ce plan me paraît bien faiblard et trop peu ambitieux. Il n’empêche : il doit réussir. Et la qualité de l’accompagnement est une des clés de cette réussite. Il y a en ce sens des résolutions à prendre.
L’État et, en académie, les recteurs doivent en prendre conscience. Les DAN doivent être mandatés pour être les pilotes uniques, en étroite collaboration avec les collectivités.
Leurs équipes doivent être renforcées de telle manière qu’il y ait une personne, de préférence un professeur formateur, en charge du suivi de chaque collège. Un inspecteur disciplinaire doit également faire partie de l’équipe de suivi du projet, en relation directe avec le chef d’établissement. Ce dernier, ou son adjoint si l’équipe est double, doit faire l’objet d’une nomination spécifique, qui tienne compte de sa compétence particulière sur le sujet. Un ou plusieurs référents numériques doivent être désignés, selon la taille du collège, et correctement déchargés pour accomplir leur mission au jour le jour.
Un dispositif équivalent avec un inspecteur du premier degré devra être mis à disposition de la circonscription d’écoles de l’éducation prioritaire rattachées au collège « pionnier ».
Les DAN doivent être prescripteurs mais aussi maîtres d’œuvre de l’ensemble de la formation de l’encadrement et des professeurs concernés. Le volume de la formation, dont la plus grande partie se fera dans l’enceinte même des collèges concernés avec les matériels qui seront mis à disposition, mais qui pourra s’étendre à des dispositifs en ligne, privilégiant le travail pair à pair et la collaboration, sera très important et déterminé dans ses modalités en liaison avec l’équipe de projet.
Au lancement du projet, un contact devra être pris avec l’Université et des enseignants-chercheurs en éducation pour une recherche action de proximité. L’évaluation sera constante et des rapports fréquents seront rendus aux professeurs concernés, aux équipes de projet et de pilotage, aux collectivités et au ministère.
Ce n’est qu’à ces conditions qu’on restaurera la confiance avec les collectivités et qu’on se donnera quelque chances de réussir et de modéliser un tel dispositif, pourgénéraliser enfin.
Michel Guillou @michelguillou
Crédit photo : deploto via photopin (licence)
1. L’équipement ne peut pas être un préalable à la transformation numérique de l’écolehttp://www.culture-numerique.fr/?p=2663
2. Un énième plan numérique pour l’école tardif, opaque, illisible et presque surréalistehttp://www.culture-numerique.fr/?p=2074
3. Numérique éducatif : Ubu fait école… http://www.culture-numerique.fr/?p=264
4. Le retour des pionniers du numérique éducatif, saison 3 http://www.culture-numerique.fr/?p=273
5. Et si on supprimait les manuels scolaires papier et les photocopieuses ?http://www.culture-numerique.fr/?p=2766
6. Enfin la légitimité pour la direction du numérique éducatif http://www.culture-numerique.fr/?p=663