Changement de civilisation, changement d’Ecole : à quelles conditions ?
Avec la généralisation des réseaux numériques, nous vivons un changement de civilisation équivalent à ce qui s’est produit avec l’invention de l’écriture puis de l’imprimerie.
Plutôt que d’ignorer ce phénomène en le laissant à la sphère privée, l’Ecole doit en tenir compte sérieusement et méthodiquement en prenant toute la mesure des bouleversements en cours.
Cette prise en compte suppose cependant qu’elle reste un lieu de socialisation, de narration et d’éducation à l’esprit critique qui ne transmet les savoirs qu’après un filtrage (et une exigence) à la fois scientifique et méthodologique.
En conséquence, l’intégration du numérique doit s’y effectuer non de manière sauvage et incontrôlée, mais de façon raisonnée et maîtrisée (p. 194 : "Si l’on tient à ce que le nouvel âge numérique ne se développe pas dans le sens d’une plus grande soumission des modes de vie aux impératifs du marketing, du consumérisme et de l’adaptation permanente, l’école doit redevenir un lieu où l’on prend le temps d’apprendre et de se former, de manière aussi riche, profonde et rigoureuse que possible.").
Cela passe aussi par une réflexion partagée de l’ensemble des scientifiques et des éducateurs sur l’impact du numérique sur les conditions de production et de circulation des savoirs (dans le sens des valeurs portées par le mouvement des Humanités numériques).
Bernard Stiegler et le concept de pharmakon
Pour qualifier la nature des technologies numériques, en tant que nouvelles technologies de l’écriture, Bernard Stiegler réutilise le concept grec de pharmakon, qui désigne à la fois le poison et son antidote (c’est ainsi qu’est présentée l’écriture dans le Phèdre). En tant qu’héritière de l’Académie de Platon, lieu de réflexion et d’échange nourri par la lecture et l’écriture, l’Ecole est naturellement et directement concernée par la révolution numérique.
Par ailleurs, pour Philippe Meirieu l’intégration éducative de ces technologies doit prendre en compte les différentes dimensions de "l’entrée dans l’écrit" (libération de la mémoire, fixation du flux psychique, capacité à différer l’expression en obligeant à la réflexion et à la correction, transformation des contraintes de la langue en ressources pour la pensée).
Il s’agit donc d’intégrer ces dimensions, en s’appuyant sur le nouveau besoin d’écrire et sur les nouvelles pratiques d’écriture des jeunes, pour donner une problématique pédagogique à l’écriture numérique.
Mais selon Denis Kamboucher cette nouvelle révolution de l’écriture appelle en retour une exigence forte en matière de formation des enseignants, dont le rôle et la responsabilité éducative ne font que s’accroître (p. 56 : « ...l’enseignant porte, à tout niveau et dans pratiquement toutes les matières, une responsabilité intellectuelle plus importante que ce n’était le cas dans situations antérieures plus normées. »).
En résumé, un ouvrage indispensable pour qui veut comprendre les véritables enjeux du numérique à l’Ecole remis dans son contexte le plus large.
Référence :
D. Kambouchner, P. Meirieu, B. Stiegler, J. Gautier et G. Vergne, L’école, le numérique et la société qui vient, Paris, Mille et une nuits, 2011
Les auteurs principaux :
Denis Kambouchner : Philosophe spécialiste de l’éducation.
Philippe Meirieu : Professeur en sciences de l’éducation.
Bernard Stiegler : Philosophe, président de l’association Ars industrialis, directeur de l’Institut de recherche et d’innovation (IRI).
Les éditeurs :
Fayard/Mille et une nuits
Avec l’appui de l’association Ars Industrialis http://arsindustrialis.org/ et de la revue Skhole http://skhole.fr/
A consulter en complément du livre :
Videos du débat organisé le 3 Mars 2012 par Ars Industrialis autour du livre, en présence des auteurs :
http://arsindustrialis.org/la-soci%C3%A9t%C3%A9-qui-vient
Page consacrée à l’ouvrage sur le site de la revue Skhole :