Depuis, au début du XXIème siècle, la France, comme toute l'Union européenne, a adhéré au "processus de Bologne", du nom de la ville ou a été signé un accord visant à faire converger progressivement les systèmes d'enseignement supérieur des pays membres vers une architecture commune, qui a d'abord été nommée "3/5/8" (du fait du nombre des années d'études post baccalauréat nécessaires pour parvenir à des diplômes de chacun de ces trois niveaux respectifs), puis "L/M/D" (licence/master/doctorat), placant en porte à faux les anciens premiers cycles en deux ans, dont la visibilité devenait brusquement moins claire à l'échelon international.
C'est ce qui explique que la plupart de nos formations supérieures de premier cycle se sont mises aux nouvelles normes "bac + 3" : les anciens DEUG (diplômes d'études universitaires générales, de niveau bac + 2) se sont effacés au profit des licences, la quasi totalité des écoles professionnelles en deux ans ont adopté le format bac + 3, les IUT (dont le diplôme phare - le DUT - se délivre encore à bac + 2) ont systématisé le passage vers la licence professionnelle, on a en outre assisté à la déferlante des "bachelors" d'origine anglo-saxonne (de niveau bac +3/4) dans le système d'enseignement supérieur français ... Restent aujourd'hui deux filières qui demeurent campées sur le niveau bac + 2 : les classes préparatoires aux grandes écoles, et les BTS.
Pour les premières ce n'est pas grave, car la plupart des étudiants qui en sont issus ont vocation à entrer dans des grandes écoles ou à rejoindre par équivalence une troisième année de licence universitaire, si bien qu'ils accédent ensuite pour la plupart à un grade de niveau licence, puis master ou équivalent de niveau Bac + 5. Il n'en va par contre pas de même pour les BTS qui, pour beaucoup, rencontrent des difficultés pour leurs éventuelles demandes de poursuite d'études, nettement plus que pour leurs homologues détenteurs de DUT.
A ce défi viennent s'en ajouter divers autres, parmi lesquels l'obligation désormais faite aux sections de techniciens supérieurs (STS, dans lesquelles on prépare les BTS) de devenir le terrain de prolongation d'études privilégié des bacheliers professionnels, n'est pas le moindre, d'autant que cela est désormais érigé en politique éducative officielle, ce qui ne vas pas sans contreparties.
Les BTS vont-ils longtemps encore pouvoir demeurer au niveau bac + 2 ?
1. Au niveau national, les détenteurs de BTS continuent, malgré la crise, à bien s'insérer professionnellement, mais ont un positionnement plus problématique au niveau international :
Le CEREQ (Centre d'études et de recherche sur les emplois et les qualifications : http://www.cereq.fr), est un organisme officiel qui produit régulièrement diverses études portant sur l'insertion professionnelle des jeunes diplômés.
L'une de ces études s'intitule "Quand l'école est finie". Elle examine la façon dont se passe l'insertion professionnelle des jeunes diplômés de l'enseignement professionnel (CAP, baccalauréat professionnel, BTS/DUT, licences professionnelles, autres formations professionnelles de niveau bac + 3, masters professionnels, diplômés de grandes écoles ...) lors de leurs premiers pas vers la vie active, mais aussi trois ans après leur entrée dans le monde du travail. Bien plus, cette étude est régulièrement renouvelée puisque réalisée tous les trois ans.
La dernière en date, publiée en 2017 (téléchargeable gratuitement sur le site http://www.cereq.fr), porte sur la génération des jeunes diplômés de 2013. Comment s'est passé leur insertion professionnelle en 2013, ou en étaient-ils en 2016 ?
Dans les six mois qui suivirent la fin de leurs études après obtention d'un BTS, en 2013, 67% des détenteurs d'un BTS qui avaient choisi de frapper à la porte du marché du travail avaient trouvé un emploi, et gagnaient en moyenne un revenu net de 1200 euros par mois pour les femmes, 1350 euros pour les hommes. Quand a ceux qui tentèrent de poursuivre leurs études, ils ne furent que 50% à y parvenir, pour la plupart en licence professionnelle. Ils n'étaient que 9% à être au chômage.
En 2016, 80% des BTS/DUT étaient en activité professionnelle, 6 % en prolongation d'études, 12% en situation de chômage et 2% en "situation indéterminée". Les revenus de ceux qui étaient en activité professionnelle avaient augmenté de façon relativement significative : 1350 euros nets par mois pour les femmes, 1500 euros nets pour les hommes. Chose intéressante à constater : cette étude révèle qu'il n'y a pas d'écart significatif par rapport aux jeunes diplômés de niveau licences professionnelles.
En résumé, on peut dire que sur le marché du travail français, les détenteurs de BTS ne souffrent guère du fait de n'être porteurs que d'un diplôme de niveau bac + 2.
Ce diplôme demeure très apprécié par les recruteurs des PME/PMI qui jugent positivement son aspect très professionnel et relativement spécialisé (les DUT, comme les bachelors ayant la réputation d'être plus polyvalents, donc plus proches des besoins des grandes entreprises). Le BTS est d'ailleurs inscrit officiellement en tant que "diplôme de niveau de qualification III" (correspondant aux qualifications professionnelles requises pour exercer une "profession intermédiaire") dans le Répertoire national des certifications professionnelles" (RNCP) et pris en compte en tant que tel dans les conventions collectives françaises.
Par contre, ce diplôme n'apparait pas dans les conventions collectives (ou équivalent) européennes ou autres de niveau international, les diplômes requis comme correspondant au niveau de qualification permettant d'exercer une profession intermédiaire étant fixés à bac + 3 (licences, bachelors ou équivalents). Le temps passant, du fait de l'internationalisation croissante du marché du travail, le format bac + 2 des BTS pose de plus en plus problème aux jeunes "btsiens" en quête d'un emploi hors de nos frontières nationales.
2. Des possibilités de poursuite des études plus restreintes que pour les DUT ou bachelors :
En 2016, 85% des détenteurs d'une licence professionnelle ou d'un bachelor (formations de niveau Bac + 3) candidats à la poursuite des études, ont obtenu satisfaction en parvenant à se faire admettre dans une grande école ou en première année d'un deuxième cycle universitaire master. Cc ne fut alors le cas que de 53% des candidats porteurs d'un simple BTS, et la plupart de ceux-là sont entrés en L3 professionnelle, rares étant ceux qui sont parvenus à intégrer une grande école.
On peut en outre observer que les "BTSiens" qui prolongent leurs études sont 77% à se limiter au niveau bac + 3, alors que ceux qui prolongent leurs études à l'issue d'un bachelor sont 76% à parvenir à se doter d'un diplôme de niveau Bac + 5.
Il est intéressant de noter que les étudiants porteurs d'un DUT occupent une sorte de position intermédiaire : toujours en 2016, ils furent 71% à parvenir à prolonger leurs études, et la part de ceux qui le firent en grande école était de 35%.
Ainsi, non seulement le BTS est un diplôme qui pose un problème croissant de lisibilité sur le marché du travail international, mais il est moins favorable à la poursuite des études que le DUT, les bachelors ...
3. Les "effets pervers" de la politique de préférence des bacheliers professionnels pour l'admission en BTS :
Depuis une dizaine d'années, les autorités ministérielles s'efforcent de prôner une politique de "préférence " des bacheliers professionnels pour l'admission en STS.
A première vue, c'est une politique tout à fait justifiée dans la mesure où les bacheliers professionnels sont de plus en plus nombreux à prolonger leurs études dans le supérieur, et qu'on observe que le secteur d'études dans lequel ils obtiennent leurs meilleurs taux de réussite est celui des BTS (ils sont près des trois quarts à y réussir, en deux ou trois ans, chiffre à comparer avec celui qui témoigne de leur énorme échec en premier cycle universitaire où ils ne sont que 3% en moyenne à parvenir à se doter d'une licence, pour la plupart en quatre ou cinq ans).
Dès lors, on peut comprendre que les autorités ministérielles pratiquent une telle politique de préférence en faveur des bacheliers professionnels. Une politique appelée à se renforcer puisqu'il a été décidé d'ouvrir 7000 places nouvelles en STS , progressivement d'ici 2022, et que ces créations seront presque exclusivement réservées à des bacheliers professionnels.
Malheureusement, la mise en œuvre de cette politique s'accompagne d'un effet pervers qui était assez prévisible : l'arrivée massive de cette catégorie de bacheliers en filière BTS en a terni l'image auprès des familles dont les enfants préparent un baccalauréat technologique ou général, d'autant plus enclins à se détourner de ce secteur d'études qu'on le leur demande afin qu'ils libèrent des places au profit des bacheliers professionnels. On peut bien sûr le regretter, mais c'est ainsi. Il en résulte une certaine désaffection, certes très inégale selon les spécialités de BTS, mais qui commence à s'observer dans les statistiques. Tout se passe comme si "le mauvais élève" chassait "le bon" (ou réputé être meilleur). Nul doute qu'un passage au format bac + 3 serait de nature à relancer l'envie de s'y inscrire.
4. La création des licences technologiques dans les IUT : une raison de plus de se détourner des STS, sauf si de telles licences peuvent apparaître dans le secteur des BTS.
Cela est encore peu connu, mais il a été décidé, dans le cadre de la réforme des premiers cycles universitaires, de créer dans divers IUT des "licences technologiques" conçues selon le schéma des bachelors : des formations professionnelles polyvalentes en trois ans. Compte tenu de l'excellent rapport "qualité /quasi absence de prix" que ces formations vont offrir, nul doute qu'elles seront un sérieux concurrent des bachelors actuellement délivrés par des écoles privées pour la plupart, mais aussi des BTS.
Pour le moment, il n'est question que d'expérimenter cette formule dans un petit nombre d'IUT qui pourraient transformer tel ou tel de leurs DUT en licence technologique. Pour un temps on aurait donc continuation du système actuel avec délivrance à Bac + 2 du DUT, et une offre de quelques licences technologiques telles que nous les avons présentées dans le paragraphe précédent. La formule licence technologique ne devrait donc s'étendre que progressivement, mais il y aura fort à parier que ce nouveau diplôme attirera rapidement un important public de lycéens, dont une partie de ceux qui, sans cela, auraient frappé à la porte d'une STS. Son extension future est donc hautement probable, d'autant qu'elle pourra être en partie financée par des fermetures de certaines licences professionnelles accompagnées de transfert des moyens correspondant.
Des lors, la question de savoir si une telle évolution pourrait être envisagée dans le secteur des BTS ne va pas manquer de se poser. Sinon, au nom de quoi justifiera-t-on un tel "deux poids/deux mesures" ?
5. Vers la création de "super lycées des métiers" conçus en continuum "Bac -3/+3".
Depuis plusieurs années, on évoque le "continuum bac -3/+3", sorte de parcours cohérent allant , dans les voies technologiques et professionnelles, de la seconde à Bac + 3. Cela est d'ailleurs conforme au fait que la France a accepté de signer un protocole fixant à 50% d'une tranche d'âge la part d'une génération parvenant à se doter d'un diplôme de niveau bac + 3.c'est l'idée de créer un réseau de "super lycees des métiers" qui intégreraient dans un même ensemble des filières bac pro et d'autres de niveau bac + 3 , y compris ces nouvelles licences technologiques qui se substitueraient progressivement aux actuels BTS.
Une telle politique serait donc hautement souhaitable, mais se heurte à de très fortes contraintes budgétaires, et aux réticences des responsables d'universités à voir se développer de nouvelles formations supérieures dans des établissements secondaires.
Il existe actuellement en France un vaste réseau de plusieurs milliers de STS, offrant près de 50 spécialités professionnelles, accueillant en 2017 un peu plus de 260000 étudiants, sous statut étudiant ou sous contrat d'alternance. Systématiser leur passage au format "licence technologique" reviendrait à augmenter la charge financière actuelle de 50%. C'est peu envisageable , surtout dans le contexte budgétaire national actuel. Mais qu'est-ce qui interdirait que, par diverses conventions passées entre des lycées disposant de filières BTS et des universités , un nombre significatif de ces formations se muent en licences technologiques ? Peu de choses en vérité !
Conclusion :
Les BTS sont à un tournant de leur histoire. Leur actuel positionnement au niveau bac + 2, longtemps sans impact négatif majeur, devient de plus en plus problématique, aussi bien en terme d'insertion professionnelle que de prolongation éventuelle des études. Il nous semble qu'il serait suicidaire de faire l'autruche et de ne pas se pencher sur la question de savoir s'il ne serait pas temps de faire progressivement passer une partie de ces formations au niveau bac + 3a l'instar de ce qui a récemment été décidé en faveur des IUT.
Bruno Magliulo
Inspecteur d'académie honoraire
Auteur, dans la collection L'Etudiant, de "Pour quelles études (supérieures) êtes-vous fait ?"
Article publié sur le réseau linkedin : https://www.linkedin.com/pulse/quel-avenir-pour-les-bts-bruno-magliulo/