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Deux textes réglementaires récents sont venus modifier en profondeur les règles concernant le redoublement et les rôles des conseils de classe et des chefs d'établissement en matière d'orientation dans l'enseignement secondaire. Ces textes sont passés relativement inaperçus, sans doute parce que l'actualité éducative du moment est fort chargée en réformes plus fondamentales.

Ils viennent cependant changer radicalement la donne en la matière, et surtout, vont à l'encontre des tendances observées dans ce domaine ces trente dernières années. Il s'agit des décrets N° 2018-119 du 20 février 2018 relatif au redoublement, et N° 2018-120 du 20 février 2018, relatif aux "Rôles du conseil de classe et du chef d'établissement en matière d'orientation et autres dispositions", tous deux publiés au Journal Officiel de la République Francaise des 20 et 21 février 2018.

1. Trente années de tendance à une forte réduction des taux de redoublement :

 

Depuis plus de trente ans, la politique officielle du Ministère de l'Education nationale vise à réduire les recours aux redoublements comme moyen de compensation des mauvais bilans scolaires, au profit d'un meilleur accompagnement personnalisé. Plusieurs arguments ont été présentés pour justifiers une telle politique :

  • Il y a d'abord le fait que le recours au redoublement est jugé comme étant de médiocre efficacité : plusieurs études ont démontré que, dans le système éducatif français, le redoublement n'est salvateur que pour environ un tiers des élèves (leurs résultats scolaires progressant significativement), tandis que pour un autre tiers il y a stagnation, et pour le dernier tiers régression. Ainsî le redoublement n'est efficace que pour un élève concerné sur trois.
  • De plus, on observe que dans de nombreux pays étrangers, on a choisi de réduire fortement le recours au redoublement pour préférer mettre en place des dispositifs divers d'accompagnement personnalisé au profit des élèves les plus fragiles. Et force est de constater que cela donne de bons résultats puisque les pays qui ont adopté ce système caracolent régulièrement en tête de plusieurs tests internationaux comparatifs tél le désormais bien connu test PiSA.
  • Autre facteur incitatif : le redoublement massif auquel on a longtemps eu recours en France était d'un coût global très important, pour une efficacité douteuse. On pouvait donc penser que la baisse des taux de redoublement permettrait de récupérer des moyens qui pourraient être redéployés au profit du financement d'un développement de l'accompagnement personnalisé. Une réforme à coût quasi constant en quelque sorte.

On a donc, en France, fait le choix d'imiter ce modèle. Il en a résulté une forte baisse des taux de redoublement tout au long de ces trente dernières années : entre 1987 et 2017, Le taux de redoublement des élèves de troisième est passé de 15% à 3%, et celui des élèves de seconde générale et technologique de 18% à 4,5%.

Point d'orgue le plus récent de cette volonté de réduire le redoublement : la publication du décret N° 2014-1377 du 18 novembre 2014 qui dit que le redoublement ne saurait désormais être prononcé que dans des cas exceptionnels, et précise que ce ne peut être qu'en cas de trop longue rupture des apprentissages, ou éventuellement sur demande des parents (notamment lorsque le conseil de classe de fin d'année scolaire décide une orientation non demandée et non acceptée par ces derniers) ou sur proposition du conseil de classe acceptée par les parents.

2. Le décret N° 2018-119 du 20 février 2018, relatif au redoublement : un indéniable renforcement d'un principe régulateur de type sélectif dans l'enseignement secondaire

Le décret pré cité dit qu' un redoublement peut désormais être décidé par le chef d'établissement, en fin de chaque année scolaire. Or, auparavant, outre qu'une telle décision ne pouvait être prise qu'en cas de rupture importante des apprentissages ou avec l'accord des parents, elle ne pouvait survenir qu'en fin de cycle (fin de classes de sixième, quatrième, troisième, seconde), mais pas en fin de cinquième ou première. Désormais, c'est redevenu possible à tous les niveaux, et si besoin est, plusieurs fois au cours de chaque cycle.

Cette nouvelle politique va indéniablement renforcer la mission de "triage" du collège, maillon qui précède l'entrée au lycée, et donc la répartition des élèves entre les diverses voies qui se présentent à son issue. Recourir plus systématiquement et fréquemment au redoublement revient sans nul doute à renforcer le fait que c'est sur la base d'une différenciation des acquis des collégiens que va s'opérer la répartition de ces derniers entre les diverses voies qui se présentent devant eux en fin de classe de troisième et conduisent respectivement à un: CAP ou à un baccalauréat professionnel, technologique ou général. Il en ira de même un an après pour ceux qui ont été orientés en seconde générale et technologique : voie générale ou technologique ? Et quelle filière ?

Cette volonté de renforcer ce que l'on peut nommer la "contrainte sélective", en fin de collège comme de seconde GT, permet de comprendre ce retour en grâce du redoublement car celui-ci est dès lors considéré comme faisant pleinement partie d'un nécessaire principe régulateur.

3. Un principe régulateur de type sélectif confirmé par le décret N* 2018-120 du 20 février 2018, relatif aux "Rôles des conseils de classe et du hec d'établissement en matière d'orientation et autres dispositions".

Le décret N° 2018-120 du 20 février, dans son article D 331-62, dit qu' "à tout moment dans l'année scolaire, lorsqu'un élève rencontre des difficultés importantes d'apprentissage, un dispositif d'accompagnement pédagogique doit être mis en place". Mais surtout, ce même texte ajoute que "lorsque le dispositif d'accompagnement pédagogique mis en place n'a pas permis de pallier les difficultés importantes d'apprentissage rencontrées par l'élève, un redoublement peut être décidé par le chef d'établissement en fin d'année scolaire", et ce en fin de chaque année scolaire, et sur avis du conseil de classe.

En cas de prise d'une telle décision de redoublement, la famille n'a plus le droit de le refuser au niveau de l'établissement, mais conserve son droit de recours éventuel à une commission d'appel.

A l'article D 331-64, il est en outre précisé qu' au lycée, "le chef d'établissement émet un avis sur chacun des voeux de poursuite d'études de l'élève dans l'enseignement supérieur", et afin de l'éclairer dans cette tâche, le conseil de classe prononce également un avis avis sur chacun des voeux de l'élève. Il y a la aussi un indéniable renforcement de la mission de régulation sélective de l'enseignement secondaire, portée par l'actuel Ministre de l'Education nationale.

Conclusion

Bien plus qu'un simple retour en puissance du redoublement, ce qui se profile derrière les textes récents pré évoqués, c'est un renforcement du principe régulateur sélectif de notre enseignement secondaire, et ce à tous les niveaux : de la classe de sixième à la sortie des classes terminales. Dans un entretien accordé au journal "Le Parisien" du 7 juin 2017, Monsieur Blanquer, alors tout nouvellement nommé Ministre de l'Education nationale, déclarait qu'il souhaitait "autoriser à nouveau le redoublement", estimant que ses prédécesseurs étaient allé trop loin en ce domaine. Il émettait à cette occasion l'idée qu' "il y a quelque chose d'absurde à laisser passer de classe en classe des élèves accumulant des retards". Et de conclure que "le redoublement doit rester possible quand c'est dans l'intérêt de l'élève ", tout en ajoutant que cela ne saurait que concernée "des cas qui doivent rester rares". Telle est donc la nouvelle doctrine.

Bruno Magliulo
Inspecteur d'académie honoraire

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Dernière modification le mercredi, 30 mai 2018
Magliulo Bruno

Inspecteur d’académie honoraire -Agrégé de sciences économiques et sociales - Docteur en sociologie de l’éducation - Formateur/conférencier -

(brunomagliulo@gmail.com)

Auteur, dans la collection L’Etudiant (diffusion par les éditions de l’Opportun : www.editionsopportun.com ) :

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