Comment dire aujourd’hui le contraire de ce qu’elle a dit durant cinq ans ? Même ceux qui maîtrisent bien la technique du retournement apparent de veste, même ceux qui prétendent servir la République loyalement, ne peuvent pas se déjuger avec l’alternance et rester crédibles. C’est encore plus difficile quand les cadres concernés ont fait preuve d’un zèle affiché, ont tenu des discours enthousiastes allant bien au-delà de la loyauté, proches de la propagande, ont durement sanctionné les résistants à la pensée unique. En matière d’éducation, c’est sans doute beaucoup plus difficile que dans d’autres domaines surtout quand on parle de refondation, de nouveaux fondements, de nouvelles fondations.
Qu’on le veuille ou non, l’idée de refondation évoque des ruptures, de véritables changements en profondeur, des virages accentués et donc la remise en cause de l’existant. Sinon, il ne s’agirait pas de refondation, mais de replâtrage.
Leur angoisse a été de courte durée. D’une part, parce qu’il est connu que F. Hollande et V. Peillon ne sont pas des adeptes de la chasse aux sorcières, comme un article du Point en attestait récemment. D’autre part, parce que, à la rentrée de septembre, tout ce qui avait été mis en cause, voire condamné, a été maintenu, à la grande surprise, il faut bien le dire, des pédagogues qui avaient légèrement pensé qu’il aurait été possible de suspendre l’aide individualisée hors temps de classe, unanimement condamnée, et les animations pédagogiques souvent sans intérêt de l’avis des enseignants, pour donner le temps aux équipes de travailler dans les établissements sur la refondation, son sens, ses priorités, ses modalités sur le terrain.
J’avais proposé que l’on suspende même les inspections classiques des pilotes par les résultats apparents, pour que les cadres soient durant une période déterminée, réellement des accompagnateurs des réflexions collectives, des expérimentations, des recherches actions. On a assisté à l’inverse de la mobilisation de l’intelligence, les cadres – dont on dit couramment aujourd’hui qu’ils ont été formatés – se sont très majoritairement engouffrés dans les délices de la continuité, renforçant même souvent leur niveau d’exigence et leur demande de paperasse.
On peut se réjouir que dans notre pays, on fasse confiance et on évite les chasses aux sorcières lors des alternances. Encore faudrait-il ne pas succomber à la naïveté ! Reste qu’en maintenant les fonctionnements antérieurs, en renonçant à annuler les sanctions dont ont été victimes les « désobéisseurs », en encourageant le zèle d’une proportion des cadres, on a fortement réduit l’espoir, on a éteint les enthousiasmes renaissants, on a obéré les chances de réussite de la refondation, on a renforcé le sentiment détestable pour le progrès de la société que finalement, « ils, les politiques, sont tous pareils ». L’amertume et le renoncement, le scepticisme et la lassitude s’installent de manière difficilement réversible.
En matière d’éducation, les retournements de veste vers un passé éventuellement technicisé sont faciles. On l’a vu en 2007/2008 où les mêmes personnes qui avaient soutenu les programmes de 2002 les ont oubliés du jour au lendemain sans état d’âme. Le retournement de veste pour s’engager vers le progrès est plus difficile. Parfois, on retourne une manche pour paraître ou pour faire carrière, alors le bras est très gêné pour participer à la construction du futur.