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Initialement publié sur le blog Veille et Analyse TICE
Assistant souvent à des présentations publiques de travaux de groupe, de synthèses de recherche d’information, de travaux individuels, on est souvent étonné de la faible aisance, aussi bien des jeunes que des adultes à s’exprimer à l’oral en public
Lisant souvent des écrits, courts ou longs, professionnels ou non, on observe une grande difficulté à « passer à l’écrit long » et à produire des documents rédigés, voir simplement à trouver des formes d’écrits courts efficaces.

   Au moment où de nouvelles pratiques liées au numérique transforment les formes d’expression, en y ajoutant des éléments de complexification, on ne peut qu’être surpris de la faiblesse générale d’expression à l’écrit et à l’oral en regard du temps passé dans des institutions qui préparent les jeunes à affronter la vie. Qu’apprend-on à l’école, au collège, au lycée, dans l’enseignement supérieur dans ce domaine ? Comment se fait-il que ces deux compétences génériques ne soient pas davantage maîtrisées même dans des professions dont on pourrait penser qu’elles pourraient l’être ?

 

S’exprimer en public est souvent considéré comme une épreuve et socialement, une situation assez rare dans un cadre formel. Cependant dès l’école primaire il n’est pas rare que des élèves s’expriment devant leurs camarades. Par la suite au cours de la scolarité, l’accent mis sur l’écrit (dans les évaluations en particulier) et la pratique individuelle (rapport direct prof élève à l’oral) n’encouragent pas à la prise de parole en public. De plus l’exposition de soi, qu’implique une parole publique, suppose au moins deux ressources : une image de soi, une maîtrise du discours de la rhétorique. Si la seconde relève de techniques qui peuvent se travailler de manière technique, la première relève de ce que l’on nomme à mauvais escient un « savoir être », le considérant comme difficile à faire évoluer. Il semble bien que cette question d’image de soi reste une énigme pour beaucoup d’entre nous parvenons ou pas à la travailler. Il est probable que, dans la représentation la plus courante de l’échec, la confusion entre ne pas parvenir à s’exprimer et ne pas être capable de s’exprimer soit à la base de la difficulté à faire évoluer l’attitude de chacun. En assimilant l’erreur à l’être de la personne qui commet l’erreur, on induit chez celle-ci une position de repli. Entre dire « tu n’a pas le bon résultat à l’exercice proposé » et « tu n’y arrives pas » il y a cette nuance qui répétée n’incite pas à prendre le risque de s’exposer, encore moins publiquement. D’ailleurs l’enseignant, sollicitant sa classe, a traditionnellement tendance à cibler les élèves qu’il interroge et les élèves ont tendance à jouer leur rôle habituel selon l’image qu’ils ont d’eux-mêmes.

 

On le voit, à l’oral comme à l’écrit, l’expression, bien au delà de la technique, est d’abord une question de soi. L’arrivée de nouveaux outils numériques introduit de la complexité et donc multiplie les risques. L’enseignant qui veut utiliser des supports visuels (images, vidéos, schémas, présentation assistée par ordinateur ou autre) devant ses élèves, ses étudiants doit, en plus de l’expression orale, articuler cette expression avec les supports qu’il utilise. Outre le choix et la qualité des supports, l’interaction entre l’acte de parole et l’affichage ou l’utilisation pertinente de ces supports augmente la complexité de la tâche. C’est d’ailleurs pourquoi il y a tant de critiques sur les mauvais supports (en particulier les présentations, dites « PowerPoint », assistées par ordinateur).

 

A l’écrit, la complexification vient d’abord du passage du manuscrit au tapuscrit (étymologie). L’accentuation du monde académique sur le « rédigé à la main » comme preuve de l’authenticité de l’auteur (vieille représentation de la graphologie), et de la difficulté de copie (plagiat), rend difficile le passage au clavier/écran et aux nouvelles possibilités d’écrit qu’il permet. L’habileté manuelle à manipuler un clavier est aisément observable chez ceux qui ont choisi de les utiliser de manière quotidienne. Il est désormais presque plus facile d’écrire sur un clavier (fusse-t-il minuscule) que sur une feuille de papier (un élève disait, on n’a pas toujours une feuille et un crayon sur la main, alors que le téléphone portable…). S’exprimer à l’écrit reste fortement sacralisé, l’aura du livre en est une preuve. Devant la difficulté rencontrée à passer à l’écrit, on s’aperçoit que dans l’imaginaire de nombre de personnes, il y a là une sorte de frein, d’auto-interdiction. On a pu observer combien l’exigence d’exactitude grammaticale (la dictée) a forgé une crainte. On a aussi observé ce même frein pour l’expression orale dans les langues (le cadre européen des langues le montre a contrario). Les exercices scolaires seraient donc aux antipodes de l’objectif qu’ils visent. Ou alors, les objectifs scolaires sont-ils autres que l’expression longue et courte à l’écrit et à l’oral ? Serions-nous formés à être lecteur, mais pas auteur ? Certes les apprentissages académiques invitent chacun de nous à la modestie devant les océans de savoirs auxquels il conviendrait d’accéder.

 

S’agit-il d’enseignement, d’éducation ou d’autorisation ? Dans certaines familles, on avait, jadis, l’habitude d’imposer le silence à table aux enfants. La prise de parole, à la maison, comme à l’école, devait se faire sur commande. Avant la possibilité offerte à chacun de reprographier et diffuser facilement ses écrits, pour parvenir à une écriture longue, diffusable et diffusée, il fallait passer de nombreuses barrières. Ce qui étonne aujourd’hui, c’est que la parole des enfants s’est libérée à la maison, sur Internet, mais que du coté de l’écrit, les difficultés perdurent. De plus la parole à la maison ne préjuge pas de la parole en public, et l’on rencontre les mêmes problèmes qu’auparavant. Faut-il penser que l’apprentissage scolaire produit l’effet de freiner l’envie de passer à l’expression personnelle. Ainsi l’expression contrainte (écrit, oral des examens, et probablement publique) serait en opposition à l’expression libre (celle de la rue, de la maison, privée). Et le passage de l’expression privée à l’expression publique n’aurait pas réussi à se diffuser de manière large dans la société. Ce que l’on observe en priorité c’est que ceux qui s’expriment en premier par les nouveaux canaux sont principalement ceux qui piaffaient d’impatience devant les interdits de la société, cette expression pouvant prendre des formes peu recommandables, sur le fond ou sur la forme. Quant aux autres, l’idée même d’accéder à l’autorité de la parole orale ou écrite leur a été depuis longtemps enlevée ou même pas imaginée.

 

Sans chercher à former une société d’écrivains ou de tribuns, le numérique fournit une opportunité importante pour repenser l’éducation à l’expression et pas seulement numérique, mais pouvant s’appuyer sur le numérique. Les classes de blogs ou de twitt, ne sont que des signaux, mais pas des pistes à généraliser systématiquement. Ce sont des signaux de cette envie, de cette possibilité d’expression. Mais à entendre des adultes (même certains enseignants) prendre la parole en publique, en accompagnant le passage à l’écrit de personnes qui souhaitent produire, on s’aperçoit du chemin à parcourir. Les ateliers d’écritures sont une bonne idée, d’autant plus qu’ils sont en dehors du monde académique, pour favoriser cette évolution. Peut-être faut-il penser que ce n’est pas dans le monde scolaire que cela s’apprend. Outre la possibilité, la nécessité de savoir s’exprimer, à l’écrit et à l’oral, reste une constante qui doit interroger l’école. Le numérique vient juste ajouter de quoi rendre la tâche encore plus difficile….

A suivre et à débattre

BD

Dernière modification le lundi, 01 décembre 2014
Devauchelle B

Chargé de mission TICE à l’université catholique de Lyon et professeur associé à l’université de Poitiers, département IME.