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Tout récemment le 21 juin consacrait la ixième édition de la fête de la musique. Amère fête de la musique 2021... Je me souviens de ma première fête de la musique, de la toute première. Pas grand-chose d'intéressant certes sur un plan musical mais je ressentais énormément d'excitation car c'était quand même fantastique d'imaginer que n'importe qui pouvait s'installer et jouer.  Puis je me suis investi au travers de l'organisation d'événements par la suite les autres années avant de redevenir touriste à la recherche de pépites. Il y eut aussi des phases de désamour, fatigué que j'étais par tous les groupes qui squattaient le trottoir pour n'offrir sans cesse que les mêmes interminables reprises des mêmes inamovibles groupes rock ou pop/rock.

La deuxième partie de soirée se passait le plus souvent au fin fond de hangars, d'usines désaffectées, de blockhaus, en plein milieu des bois, de terrains vagues, en plein champ... perdu devant de plus ou moins grands murs d'enceintes. Oui, en rave, en free party ! J'y fus simple touriste, DJ, compositeur (et je compose toujours) et même membre fondateur de Spiritek, une des premières associations de prévention de la toxicomanie en milieu festif, pionnière notamment sur le plan de la réduction des risques et les méthodes de testing des produits, permettant d'éviter la diffusion de produits nocifs. Ces méthodes sont depuis reconnues mais on nous accusait à l'époque bien évidemment de favoriser voire d'inciter à la consommation... J'avais 19 ans en ce temps là... Bref, ces "sauvageons", ces "braillards" de free parties, j'en fus et j'en suis fier.
 
Amère fête de la musique 2021 donc car c'était la première fête de la musique de ma fille et, si j'étais ravi de l'emmener vagabonder dans les rues, je savais d'avance que notre récolte serait nulle car les concerts en extérieur étaient interdits. Point de pépite alors que c'est le sel de la fête de la musique. Je me souviens de cette fille un peu timide qui, encouragée par son père et après qu'un groupe se soit formé devant elle, avait commencé à jouer seule de sa guitare sèche et nous avait ravi de ses propres compositions. C'était ce que je voulais faire découvrir à ma fille. Nada. Il y avait bien quelques concerts mais sur réservation uniquement car en intérieur et assis. Nous avons fini au restaurant sur fond de radio Nostalgie.
 
On attendrait bien évidemment qu'en bon adulte responsable je comprenne, pandémie oblige, et non que j'enrage. C'est pourtant cette dernière option que je choisis.
 
Confinement, reconfinement, cours à distance, couvre-feux, socialisation zéro, sorties zéro,  ce fut certes très dur pour tout le monde mais encore plus pour les jeunes. Au moment où l'on commence à revivre un peu, fête de la musique au rabais, rave massacrée en particulier sur le plan matériel et jeunes dispersés à l'aide de gaz lacrymogènes.
 
Mais parallèlement on n'interrompt pas un match à Roland-Garros malgré le couvre-feu et on fête la musique "électronique" à l'Élysée avec Jean-Michel Jarre et Marc Cerrone qui, s'ils restent des pionniers, des géants de la musique électronique, ne sont plus franchement représentatifs de la scène actuelle (à quand les Spiral Tribe à l'Élysée ???). Il y a la bonne société et les jeunes. Tout comme il y a quelques mois nous faisait-on comprendre que les barbecues c'est "pas bien" mais les restaurants clandestins de luxe c'est "pas grave".
 
Aucun regret car, de toutes façons, difficile de faire confiance aux jeunes. Pensez donc : on leur a octroyé le pass culture (cela dit, très bonne initiative !). Qu'en ont-ils fait ? Certains ont acheté des mangas... Ainsi s'offusquent les bien-pensants sur les réseaux sociaux, bien pensants qui nous n'en doutons pas une seule seconde se seraient à la place de ces jeunes précipités sur Racine, Corneille, Molière, Camus, Sartre et j'en passe. Au risque de les décevoir, j'ose affirmer que les mangas ont toute leur place dans la culture.
 
C'est d'ailleurs cette réflexion intense qui anime les débats sur les réseaux sociaux autour d'une image prise dans un musée où l'on voit des jeunes contempler des téléphones portables alors que leurs regards devraient être posés sur les tableaux qui les entourent. Cela fait des années que les bien-pensants s'acharnent sur cette photographie, tant d'années que les protagonistes (11-12 ans à l'époque) doivent être de nos jours depuis longtemps à l'université.
 
Bref, "de mon temps, les jeunes, moi j'aurais et puis ces portables, hein ?"
 
Cette photographie fut prise dans un musée américain lors d'une sortie de classe et d'un travail de classe, les téléphones utilisés servant de support pour l'activité. Argument 1.
 
Une photographie ne montre qu'un instant. On ne sait pas ce qui se passe avant ou après. Peut-être ces jeunes étaient-ils en train de contempler les oeuvres juste avant ? Argument 2.
 
La photographie par elle-même ne donne aucune information sur ce que font les jeunes sur les portables. En déduire qu'ils sont en train de faire des jeux vidéo ou de surfer sur TikTok est une pure création fallacieuse de l'esprit. Pourquoi ne pas plutôt penser qu'ils se montrent les photos prises des oeuvres ? Argument 3.
 
Les goûts et les couleurs. Le Palais des Beaux-Arts de Lille possède de magnifiques chefs d'oeuvres de l'école flamande. Je suis incapable de vous citer les noms des peintres car je leur accorde très peu de temps, mes pas me menant systématiquement vers la galerie moderne et les oeuvres de Sonia Delaunay, Frantisek Kupka ou Geneviève Asse. Sacrilège ? Argument 4.
 
Bref, les jeunes... Précisons cependant qu'il s'agit des jeunes des autres car, quand vous interrogez les adultes, ce ne sont jamais leurs enfants ou petits-enfants qui sont concernés mais bien les autres.
 
Qu'ont-ils donc fait ces autres ? Que leur reproche-t-on dernièrement (reproches qui me font bondir encore plus) ? Ils ne se sont pas mobilisés pour les élections régionales et départementales. Vraiment tous les défauts...
 
Si t'es jeune, tape des mains car c'est tout ce que l'on te demande. Taper des mains béatement quand on te le dira.
 
L'argument imparable est que les jeunes ne s'intéressent pas à la politique mais bien évidemment à des sujets bien plus futiles.
 
Exemple frappant ? Ma fille fait les boutiques, achète des vêtements, soigne son look. Consommatrice invétérée ? Non, écologiste éclairée et engagée car elle privilégie les vêtements de seconde main, fait connaître les friperies à son entourage, s'ingénie à donner une seconde vie à des objets et vêtements que d'autres bien-pensants auraient jeté à la poubelle. Vous m'en voyez ravi.
 
Les jeunes ne s'intéressent pas à la politique ? Autre exemple frappant. Dîner récemment avec ma fille et une de ses meilleures amies qui me présente un livret publié par son association où sont recensés de nombreuses initiatives et propositions pour les jeunes. Objectif de ce livret ? Interpeller les députés. Je vous le confirme : les jeunes ne s'intéressent pas à la politique.
 
Que dire également de cette classe de CM1-CM2 qui, lors d'un long travail de recherche sur De Gaulle, développe la notion de résistance et propose ses propres visions de ce que veut dire aujourd'hui "résister" ?
 
Si t'es jeune, tape des mains mais, cette fois, je n'ironise plus car tu mérites de t'applaudir.
 
N'oublions pas non plus toutes ces classes que j'accompagne régulièrement et qui au travers de leurs activités s'interrogent sur leur environnement proche, sur la citoyenneté, l'inclusion, le racisme, proposent des solutions, rencontrent et interpellent des élu.e.s. Tout comme ces groupes qui lors de hackathons dans les musées réfléchissent aux moyens d'amener les oeuvres, la culture vers les publics éloignés. Je repense également au Conseil Municipal des Enfants de Roubaix où, dans les différents projets, les enfants n'oublient jamais d'insister lourdement sur l'inclusion (handicap par exemple) et la lutte contre les inégalités sociales. Je pense aussi à mes étudiants qui m'interrogent régulièrement sur la technologie, les algorithmes, les données personnelles, dont une fois un échange long et passionnant sur cette question étrange mais fondamentale "l'intelligence artificielle peut-elle avoir des sentiments".
 
Certes, la plupart de ceux-là ne sont pas en âge de voter mais ils arrivent.
 
Les jeunes ne s'intéressent pas à la politique en effet, pas à la politique-spectacle, la politique-promesse, la politique-impasse, la politique-pouvoir, la politique-carrière mais à la polis, la vie de la cité, à ce qui les touche, à ce qui leur permet d'agir. Ils n'ont pas envie d'attendre pour qu'on leur donne le pouvoir, ce qui leur est pourtant bien souvent réservé. C'est d'ailleurs ce qui m'a éloigné de la politique classique, le jour où j'ai compris que j'aurai les manettes dans vingt ou trente ans.
 
J'ai souvent en tête un extrait d'une ancienne vidéo où l'on voit un jeune punk anglais face à la police lors d'une manifestation s'opposant à la destruction d'un espace naturel. Planté devant un bobby, il s'adresse à lui en ces termes : "Arrêtez-moi pour tenter d'améliorer la loi alors que vous la brisez".
 
Ceux qui envoient aux jeunes des messages faits de surveillance, de répression, de gaz et de matraques, brisent la loi. Ceux qui en usent brisent la loi. Ceux qui trouvent normal que l'on traite différemment les jeunes face à la bonne société brisent la loi. Ceux qui les regardent de haut avec condescendance brisent la loi. Car nous sommes tous censés être égaux devant la loi.
 
Si t'es jeune, tape des mains pour faire du bruit, un maximum de bruit pour que l'on t'entende, un peu comme une certaine Greta Thunberg que tant ont raillé, dévalorisé. On ne va quand même pas écouter une gamine alors que l'on n'a pas écouté les experts... Soyons sérieux. ;-)
 
La politique pour les jeunes commence en classe, dans la famille, dans les activités du quotidien et même dans le numérique. C'est au travers du mouvement hacker et de l'open source que ma conscience politique s'est véritablement éveillée et c'est ce que j'essaie de transmettre peu à peu.
 
Conclusion ? Si t'es jeune, tape du poing et, peut-être que la prochaine free party, on la fera à Roland-Garros. Ça a l'air plus facile qu'ailleurs...
Dernière modification le mercredi, 30 juin 2021
Cauche Jean-François

Docteur en Histoire Médiévale et Sciences de l’Information. Consultant-formateur-animateur en usages innovants. Membre du Conseil d'Administration de l'An@é.