Pourtant une publication du texte (ce que nous avons fait ici même) suivi d’une analyse précise aurait permis de soulever d’une part ce qui est exactement dans les écrits officiels (4 articles sont directement modifiés) et d’autre part de mettre en évidence les zones d’incertitude du texte.
Comme le montre la jurisprudence, un texte de loi est d’abord un cadre qui ensuite se décline en des modalités différentes selon les réalités auxquelles il s’applique.
Il est rare qu’un texte ne fasse pas l’objet de discussions, mais au final c’est la justice qui tente de trancher. Pour l’instant c’est la rumeur publique et malheureusement, la presse professionnelle n’est pas très à son honneur à ce propos. Jouant davantage sur l’intention politique, une promesse du candidat E. Macron tenue par un ministre JM Blanquer, que sur la problématique de fond, les usages des smartphones dans la vie quotidienne donc aussi dans le contexte scolaire, la presse n’a pas rendu service ni aux uns (les politiques) ni aux autres (les usagers, enseignants, parents, élèves etc.…).
Rappelons ici quelques éléments du texte de l’article L 511.5 : interdiction maternelle, primaire et collège est le premier volet du texte « d’un téléphone mobile ou de tout autre équipement terminal de communications électroniques ».
A celui-ci s’ajoute trois éléments disjoints : en premier lieu l’exception pédagogique et éventuellement le règlement intérieur, en second lieu les cas particuliers comme le handicap, et en troisième lieu la confiscation.
Sur chacun de ces points il y a beaucoup à dire, mais simplement notons que le « réalisme » du législateur a permis de laisser une marge d’initiative « locale » pour la pédagogie et pour le projet éducatif de l’établissement (règlement intérieur). Si, laisser aux établissements le soin de préciser (de même pour le lycée) les périmètres d’interdiction et d’autorisation, est une idée intéressante, elle fait débat car certains auraient préféré que le ministre décide de tout et qu’il tranche en amont les débats qui ne manqueront pas de naître dans les établissements. Plus largement se profile une évolution qui fait question au-delà de la simple question du téléphone portable : le périmètre de l’autonomie des établissements.
En interdisant tout autre équipement, on peut penser que le ministre tire à vue sur les établissements dotés de tablettes et autre ordinateurs connectés… C’est bien pourquoi cette nuance sur l’usage pédagogique est importante. Sinon il deviendrait impossible d’utiliser un ordinateur (ou tout autre…) connecté dans un établissement scolaire. Quant aux exceptions et assouplissements, en particulier au lycée et pour le handicap, ils sont là encore issus de ce réalisme du législateur.
La notion de confiscation mérite toutefois notre attention (voir liens infra). En effet si le téléphone portable est un « espace privé personnel », la confiscation doit reposer sur des règles très précises. Il sera nécessaire que le ministère précise ce que signifie la confiscation et les modalités de restitution en ne laissant pas dans le vide des CA et autres conseils pédagogiques ou salles des profs des établissements le soin d’en préciser les contours juridiques, au risque de procès complexes.
Il faut aussi parler de deux autres articles modifiés par la loi et dont presque personne ne parle dans ce débat : article L121-1 et l’article L312-9.
On y retrouve le réalisme législatif sur la nécessaire éducation au numérique : celle-ci s’incarne donc de plusieurs manières : la responsabilité éducative de l’école (L121.1) et ce que recouvre « l’initiation à la technologie et à l’usage « responsable » de l’informatique. » (L312.9). On ne peut comprendre le premier article si on ne prend pas en compte les deux autres. On peut y lire en particulier d’une part l’enseignement de l’informatique, d’autre part le (ex ?) B2i, ainsi que l’EMI et l’EMC.
Il n’y a pas d’imbroglio, il y a surtout une lecture partielle et partisane encouragée par les uns et les autres qui tentent d’instrumentaliser une question pour faire valoir un point de vue. On reprochera à l’auteur de ce billet sa complaisance vis à vis du législateur (les assemblées et pas du ministre bien sûr, soyons précis). Mais en fait il faut distinguer l’analyse de ce qui est écrit de ce que l’on défend. Aussi il faut éclairer la position que nous défendons.
Le portable et en fait l’ensemble des Terminaux Personnels Mobiles Connectés (TPMC) sont désormais des éléments de pratiques culturelles et sociales quotidiennes de l’ensemble de la population (jeunes et vieux…).
Le choix d’engager un texte sous le thème de « l’interdiction » est en fait un signe de faiblesse éducative et managériale.
Pour le dire autrement pour canaliser les pratiques, sortons le bâton… Plutôt que de favoriser des usages responsables on commence par interdire. Le sens d’apparition des mots dans les trois textes n’est pas neutre : si l’on commence par interdire et qu’ensuite on écrit « mais… », c’est qu’on n’est pas bien sûr de pouvoir arriver à interdire effectivement.
C’est une question éducative fondamentale : à un tout petit on peut tenir l’interdiction, à un plus grand c’est plus compliqué (d’où la nuance sur le lycée). Quant aux enseignants, c’est quasiment impossible d’interdire, eux qui sont nombreux à avoir déjà autorisé l’utilisation de ces appareils dans leur classe (au collège et au lycée). Si l’interdiction est une agitation verbalo-juridique, l’autorisation mesurée aurait été un engagement éducatif d’une autre nature. Connaissant bien le projet éducatif jésuite, on est étonné de cette interdiction, ce projet qui veut justement responsabiliser la personne. Mais l’influence jésuite sur le gouvernement est en fait très marginale (malgré les années passées dans ces établissements par certains).
Face à un fait de société, l’article L121.1 est intéressant à analyser, car il montre la philosophie éducative sous-jacente. C’est une philosophie principalement défensive.
Si l’article L312.9 vient expliquer ce qu’il convient de faire, il ne réduit pas pour autant l’idée du précédent. Faut-il comprendre que le monde adulte est en train de prendre peur d’un « monstre » qu’elle aurait engendré ?
Si ce n’est le cas, tout du moins on peut s’interroger et à nouveau la presse professionnelle ne nous aide pas lorsqu’elle passe de l’analyse à l’interprétation. Friands de scoops et d’informations qui font vendre, certains pensent qu’il suffit d’agiter des situations graves pour faire réagir et pour vendre. Il est plus facile de parler de ce qui va mal que ce qui va bien (cf. le journal la Croix qui réfléchit depuis de nombreuses années à cette question), mais surtout il semble que cela fasse vendre.
En plein été, entre une coupe du monde de football, le tour de France cycliste et le retour du championnat de foot de ligue 1 et ligue 2, les jeux du cirque nous offrent un autre volet, un déballage public pathétique d’un monde politique qui a du mal à s’entourer de personnes fiables (les affaires de cette nature ont touché tous les gouvernements de la 5è république). Il ne manquait plus que cette loi sur le téléphone portable pour compléter le tout : l’état est sauf, il tient l’école, la discipline et donc revendique l’autorité. Malheureusement l’autoritarisme n’est pas l’autorité. Seule cette dernière est véritablement éducative, celle qui « autorise » pour reprendre ce que disait et écrivait Jacques Ardoino
Jacques Ardoino : Les avatars de l’éducation : problématiques et notions en devenir, PUF, 2000
Jacques Ardoino : Propos actuels sur l’éducation, l’Harmattan 2004 (1er ed 1965)
Confiscation –
Cet article permet d’éclairer la question : https://www.letudiant.fr/college/confiscation-d-objets-personnels-fouille-quels-sont-les-droits-des-eleves.html
Ou encore mieux celui-ci : https://www.cabinet-piau.fr/droit-de-leducation/la-confiscation/
Article initialement publié le 2 août : http://www.brunodevauchelle.com/blog/?p=2737
Bruno Devauchelle