Le selfie, monnaie courante ?
Vous me voyez venir avec mon gros clavier ? Au hasard d’une journée de courses, j’ai ainsi récemment croisé la route d’une campagne marketing qui m’a un tantinet agacée : une marque de vêtements juniors proposait aux enfants de réaliser un selfie avec un vêtement de la marque en question, et de le poster sur les réseaux sociaux, en particulier Instagram, accompagné du hashtag imaginé pour le concours. À la clé, une somme d’argent éventuelle, et la reconnaissance de la marque pour qui ce genre d’opération est une formidable opportunité de récolter des données, et de mettre des visages sur ses jeunes clients.
Les opérations de la sorte sont légion : le selfie marketing – c’est son nom officiel -, fonctionne à plein régime. Beaucoup de marques touchant les familles organisent régulièrement des concours de selfies, invitant les parents à mettre en scène leurs enfants. Et ça marche : la moindre recherche associant les hashtags des opérations permet de dénicher via Google Images de nombreuses photos d’enfants mis en scène par leurs parents. Pour quoi ? Quelques euros. Des vêtements. Voire, « un petit selfie pour rembourser vos vacances », version contemporaine de « vendre son âme au diable »… Exposez-vous, donnez-nous votre image, et la bobinette cherra.
Ta fille sur mon mug
Je peux concevoir qu’en tant que parent, on ait envie de partager le sentiment de fierté qui nous envahit à la simple évocation de notre progéniture. Un ressort que les marques ont bien intégré. Mais pour les parents, exposer ainsi sa famille sur Internet, c’est faire fi de la viralité, et de la postérité : que deviendront ces traces laissées par nous, parents, au nom de nos enfants ? Quel héritage numérique allons-nous laisser à notre descendance en postant à tout va des photos de nos enfants, qui plus est s’il s’agit d’alimenter des campagnes de pub ? Pour avoir une ébauche de réponse, direction Koppie Koppie, un site qui vend « l’enfant de quelqu’un sur votre mug préféré » : Koppie Koppie propose en effet, moyennant une quinzaine d’euros, de faire son choix parmi des mugs décorés de photos d’enfants, photos on ne peut plus légalement dénichées sur le site de partage de photos en ligne Flickr, négligemment postées par leurs parents sous une licence qui autorise ce genre de procédés. Révoltant ? Oui ! Et c’est le but de Koppie Koppie : faire réagir les parents, en leur montrant que poster des photos de leurs enfants en ligne n’est pas sans conséquence. Certains se sont réveillés, puisque depuis la mise en ligne du site il y a un mois, de nombreux mugs ne sont plus à vendre mais portent la mention : « removed on request » (enlevé sur demande).
#kidsaretheworst : really ?
Que penser, alors, de l’initiative de cette mère de famille américaine qui, pour se défouler de ses journées harassantes avec ses quatre enfants a imaginé le compte Instagram « Kids are the worst » (« les enfants sont les pires »), sur lequel elle poste des photos d’enfants en fâcheuse posture. Le genre de truc hilarant… en famille. Même si je peux totalement concevoir le besoin de se défouler quand on est mère de famille, j’éprouve quand même un certain malaise en regardant ces photos d’enfants le nez plein de morve ou barbouillés de rouge à lèvres, visibles partout et tout le temps, et dont l’identité numérique se façonne à leur insu, et dès leur plus jeune âge. Disons que ça n’est pas ma conception de la parentalité à l’heure numérique, et que cela ne participe pas vraiment à l’éducation aux médias et au numérique que j’appelle de mes voeux à longueur de billets…
Publié sur le site : http://parents3point0.com/traces-numeriques-quel-heritage-pour-nos-enfants/