Le trait est forcé dans le journal comme dans la réaction, mais il souligne une réalité (que l’auteure exprime d’ailleurs dans la suite de son propos) : nous ne sommes pas à égalité devant l’épreuve que nous traversons et cette réalité est encore plus cruelle qu’en temps ordinaires.
Le confinement est une mesure qui nous renvoie strictement à nos conditions matérielles
Les différences sont notables et la durée va les rendre encore plus difficiles à supporter.
Ces conditions ne se limitent pas à l’environnement et l’espace : nous avons vu et trouvé parfois ridicules les charriots de supermarché remplis à ras bord de provisions pour temps de crise, nous n’avons pas vu ceux qui n’ont pas les moyens de remplir un chariot de supermarché et encore moins ceux qui vivent des colis du secours populaire ou des restos du cœur.
Il nous est aussi difficile que pénible d’imaginer les personnes âgées privées durablement de leurs quelques rayons de soleil journaliers constitués par la visite d’un proche, les mots d’un soignant, le repas pris en commun…
On pourrait penser que le virus se moque des conditions sociales et touche indifféremment pauvres et riches, jeunes et vieux…c’est faux, le corona virus touche de façon disproportionnée les pauvres et tout concourt à cela : leurs métiers quand ils en ont, leurs conditions de vie, leur accès aux soins. Il touche aussi de façon disproportionnée d’autres catégories de personnes : soignants, fonctionnaires, prolétariat urbain, aidants à la personne, caissiers et caissières de la grande distribution, routiers, livreurs…tout le monde ne peut pas télétravailleur et ce sont globalement ceux et celles qui sont bénéficiaires de quelques privilèges en temps ordinaires qui jouissent aussi de celui du travail à distance.
Le virus fait pire : il infecte indifféremment jeunes et vieux mais il fait de beaucoup de jeunes des porteurs asymptomatiques et des autres des malades ordinaires alors qu’il tue en priorité les personnes fragiles ou âgées. Il n’aide pas ainsi à la cohésion voulue par le chef de l’état dans son allocution du 16 mars : « Je compte sur vous pour faire nation ». Les jeunes, et encore pas tous, ont pris tardivement conscience du danger de la maladie faisant ainsi courir un risque accru à leurs ainés.
Nous savons bien que les inégalités sociales se doublent d’inégalités culturelles.
A qui Monsieur le Président de la République s’adresse-t-il lorsqu’il dit « Lisez, retrouvez aussi ce sens de l'essentiel. Je pense que c'est important dans les moments que nous vivons. La culture, l'éducation, le sens des choses est important ». Il s’adresse à vous et moi, lecteurs, bien sûr, et l’on ne peut qu’être d’accord avec lui. Mais il est à craindre que le quotidien de beaucoup les éloigne de telles considérations parce que leur vécu antérieur les en a déjà hélas éloignés.
Avant même les premières mesures de confinement, écoles collèges, lycées et université ont été fermées et ce jusqu’au début du mois de mai…au moins. Monsieur le ministre de l’Education nationale a alors multiplié les déclarations rassurantes pour élèves et parents : tout est fait pour assurer la « continuité pédagogique ». Il ne s’agit pas ici de décrire les difficultés de mise en place ou de stigmatiser les uns ou les autres : comme déjà écrit dans ce média*, il y aura un avant et un après corona virus dans le domaine de l’éducation. Mais cette situation exacerbe à nouveau les inégalités en matière d’éducation. C’est d’autant plus paradoxal que l’on a abondement dit et écrit, avant cette période, que l’école creuse les inégalités.
Maintenant que l’on essaie de faire sans école, on sait que ce lieu commun est faux : tout juste peut-on dire qu’elle ne les comble pas autant qu’on le voudrait et qu’il le faudrait. Avec « l’école à la maison », pas le dispositif du CNED éponyme, mais la réalité vécue par 12 millions d’élèves ou étudiants et leurs familles ce sont toutes sortes d’inégalités qui se font jour.
Matérielles d’abord : quels sont les enfants qui disposent d’un ordinateur et d’un espace pour pouvoir s’isoler ? Quelles sont les familles qui disposent d’une connexion internet correcte, de forfaits suffisants ?
Culturelles ensuite : quels sont les enfants qui peuvent bénéficier dans leur entourage d’une aide méthodologique et pédagogique ?
Sociales enfin (au sens de sociabilisation de l’élève) : quels sont les jeunes qui sont suffisamment motivés, autonomes et investis dans leur parcours scolaire pour rentrer pleinement dans ces dispositifs qui les responsabilisent fortement…pas ceux qui avaient déjà tendance au décrochage sûrement.
Inégalité devant la maladie, devant le confinement, devant les conditions de confinement, devant l’éducation et la formation…« Faire Nation » avec ces inégalités là, c’est une gageure que les beaux gestes de solidarité que l’on observe par ailleurs tendent à faire momentanément oublier.
De tout cela, il faudra se souvenir pour que cette crise sans précédent ait des effets bénéfiques et n’augmente pas les ressentiments en les rendant légitimes. « Nous serons plus forts moralement, nous aurons appris et je saurai aussi avec vous en tirer toutes les conséquences, toutes les conséquences »*…Parmi celles-ci, Il faudra qu’une forme de justice soit rendue, non pas individuellement mais collectivement.
*Allocution de Monsieur le Président de la République le 16 mars 2020
* https://www.educavox.fr/accueil/debats/coronavirus-un-mal-pour-un-bien
Dernière modification le lundi, 06 juillet 2020