Un rapport de députés
Le 22 juillet 2020, un rapport d’information[1] est enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale. Il est rédigé par M. Régis Juanico (Génération.s[2]) et Mme Nathalie Sarles (LREM), députés. Il est présenté par le COMITÉ D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES POLITIQUES PUBLIQUES sur l’évaluation de l’accès à l’enseignement supérieur.
Dès le 24 juillet, le Café pédagogique titrait : Un rapport critique sur l’accès au supérieur et l’orientation[3] et en faisait le résumé suivant : « Insuffisante prise en compte des aspirations des jeunes, information déficiente sur les débouchés professionnels des études, méconnaissance des outils et des lieux d’information disponibles, méconnaissance par les jeunes et par les professionnels de l’éducation du monde du travail, des métiers et des voies de formation à emprunter pour y postuler, insuffisance du nombre, de la formation et de la reconnaissance des personnels chargés de conseiller les jeunes, insuffisante coordination des acteurs de l’orientation », le rapport réalisé par les députés Régis Juanico (Génération.s) et Nathalie Sarles (LREM[4]) sur « l’évaluation de l’accès à l’enseignement supérieur » souligne les faiblesses de l‘éducation à l’orientation en France. Il montre aussi les limites de Parcoursup aussi bien en termes de résultats globaux que d’équité. Le rapport préconise une réforme de l’éducation à l’orientation et des places supplémentaires en STS. »
D’emblée, le rapport s’ouvre sur une interrogation concernant l’accompagnement à l’orientation des lycéens et plus globalement des élèves.
Il fait curieusement remonter l’intérêt du ministère à 2008 avec l’instauration d’un parcours de découverte des métiers et des formations, étendu au lycée en 2013[5]. En S’appuyant sur les observations du rapport de la Cours des comptes, les auteurs montrent le décalage entre le contenu des divers textes qui instituent des pratiques d’accompagnement et leur mise en œuvre réelle. On pourrait même dire que ces textes se cumulent ou s’accumulent sans qu’une vérification de leur réalisation et de leur efficacité soient faites. Et surtout il s’agit de textes incitatifs ou directionnels et non accompagnés eux-mêmes de moyens et/ou de contraintes. Comme depuis très longtemps l’énergie principale de l’Education nationale reste la bonne volonté des acteurs.
Il faut ajouter que depuis le développement de cette politique de l’orientation comme accompagnement diffus des élèves plusieurs réformes sont intervenues, comme le note le rapport, ce qui suppose que les différents acteurs se réorganisent. On a eu bien sûr le remplacement d’APB par Parcoursup, mais aussi la réforme du baccalauréat, et pour couronner le tout la « Loi pour la liberté de son avenir professionnel » qui, pour ce qui nous intéresse attribue à la région la responsabilité de l’information sur l’orientation (soulevant beaucoup d’interrogations sur le rôle des différents acteurs et partenaires[6].
Cela fait beaucoup de modifications non seulement structurelles, mais aussi comportementales. Beaucoup de fonctionnement évident explosent sans avoir été prévus et que leur remplacement aient été pensés.
L’exemple de la classe
« Depuis décembre 2017, un second professeur principal doit être nommé par les chefs d’établissement pour assurer un suivi plus individualisé des élèves et les guider dans l’élaboration de leur projet d’orientation, missions exercées en liaison avec les psychologues de l’éducation nationale et en concertation avec les familles. » (p.28) Excellente décision, sauf qu’en lycée, notamment, les candidats à cette fonction ne se pressent pas. Ce qui fait écrire aux rapporteurs que « si la désignation d’un second professeur principal en charge de l’orientation a été largement mise en œuvre, l’inégale implication des acteurs et l’organisation variable ont conduit près d’un tiers des élèves à ne pas bénéficier de conseils au moment de leurs choix d’orientation. » (p. 29). Dans ce contexte, la réforme du lycée engagé en 2018 modifie quelque peu les modalités de regroupement des élèves et la notion de classe éclate. Et les rapporteurs indiquent qu’« elle relativise la notion de classe et donc, possiblement, celle de professeur principal qui a un rôle clef dans l’orientation…or les familles et les lycéens ont plus que jamais besoin d’un référent bien identifié pour les aider à s’y retrouver dans le maquis de l’orientation. » (p. 33)
Du coup, et suite aux auditions de différentes expériences de terrains (les acteurs se sont arrangés eux-mêmes) ils proposent :
« Une telle évolution implique plusieurs conséquences :
- La coexistence a priori des deux missions ne permet pas de rester à coûts constants en termes d’enveloppe indemnitaire;
- La modification de l’article R.421-51 du code de l’éducation, du décret instituant l’ISOE et la publication d’une circulaire qui distinguerait clairement les missions confiées au professeur principal et celles confiées au professeur référent.
Ce projet pourrait faire l’objet d’une expérimentation pédagogique de 5ans maximum.
L’objectif du ministère est de présenter fin 2020 aux instances concernées les textes relatifs à cette réforme pour une mise en œuvre à la rentrée 2021. » p. 52
Séverin Graveleau vient de publier le 23 mars 2021 un article[7] passionnant qui fait le bilan des expériences de terrain alors que « Le ministère entend apporter une réponse à ce bouleversement avec l’examen prochain, en Conseil supérieur de l’éducation, d’un projet de décret et de circulaire créant, en 1re et en terminale générales et technologiques, à partir de la rentrée 2021, la fonction de « professeur référent ».
Beaucoup de ces expériences (les deux professeurs principaux) ont opté pour combiner un professeur principal d’une matière du tronc commun, connaissant tous les élèves de la classe, avec un professeur principal enseignant une spécialité. Cela permet une vision de l’élève selon deux points de vue. Mais cela fait beaucoup plus de deux professeurs principaux dans un conseil de classe.
Le projet de circulaire semble proposer une troisième voie pour définir le professeur référent : « Celui-ci sera chargé d’encadrer, à côté ou en remplacement du professeur principal, selon le choix des établissements, non pas une classe, mais un groupe d’élèves pouvant venir de spécialités différentes, dont il devra suivre la scolarité. »
Séverain Graveleau termine son article ainsi : «Qu’elles s’en félicitent ou le regrettent, la majorité des personnes interrogées par Le Monde conviennent que, après avoir remis en question la notion de « groupe classe » en filière générale, la réforme du lycée remodèle progressivement cette autre institution qu’est le conseil de classe. »
L’individualisation va ainsi encore progresser d’un cran dans le domaine de l’orientation. En cinquante ans on peut suivre la sémantique employée, le choix, la motivation, le projet personnel de l’élève, le parcours, l’accompagnement, et bientôt des jugements scolaires de moins en moins référés à la comparaison au sein d’une classe qui alimenteront Parcoursup.
Rappel
Il faut aussi rappeler ce projet de professeur référent dans une perspective historique. Il est réapparu dans le rapport de Pascal Charvet, titré « Refonder l’orientation, un enjeu Etat-régions » qui cherchait à lister les conséquences de la Loi pour la Liberté de choisir son avenir professionnel[8] tant pour l’Education nationale que pour les régions. Je dis « réapparu » car ce projet, dit « projet Laurent » avait failli être mis en œuvre en … 1968. Voir, entre autres, mon article « Réactions primaires au rapport Charvet » http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2019/06/28/reactions-primaires-au-rapport-charvet/ ainsi que le texte de Jean Guichard « Le rapport Charvet (2019) : une reprise du plan Laurent (1967) » le 28 août 2019, http://apsyen.org/attachments/article/464/Guichard-Rapport-Charvet-Commentaires.pdf
Bernard Desclaux
[1] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cec/l15b3232_rapport-information.pdf
[2] Génération•s est un mouvement politique résolument humaniste, écologiste, européen et féministe. Fondé le 1er juillet 2017 par Benoît Hamon, Génération•s défend des idées novatrices sur le modèle social français ainsi que sur la transition écologique et la mutation numérique. https://www.generation-s.fr/
[3] http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/07/24072020Article637311809195202398.aspx
[4] La République En Marche https://en-marche.fr/
[5] On pourra se reporter pour une histoire critique à ma série sur ce blog « De l’eao au pdmf »
[6] Pour une discussion de ce dernier point, mon article « Vers un nouveau conflit démocratique autour de l’orientation » http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2019/09/14/vers-un-nouveau-conflit-democratique-autour-de-lorientation/
[7] Séverin Graveleau, Réforme du lycée : des professeurs principaux aux « professeurs référents » https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/03/23/reforme-du-lycee-des-professeurs-principaux-aux-professeurs-referents_6074111_3224.html
[8] LOI n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000036847202/
Dernière modification le jeudi, 03 novembre 2022