Entre impatience et pragmatisme
C’est traditionnel. Dans les médias, à la rentrée, on parle de l’École. On a droit chaque année aux reportages sur les fournitures scolaires, à la rentrée des tout-petits ou encore aux premiers pas des nouveaux enseignants. Mais cette année, si l’École est “au premier rang ” comme le titreLibération, ce n’est pas uniquement par facilité journalistique. Car l’École et la jeunesse ont été au cœur de la campagne de François Hollande. Et aujourd’hui, c’est dans ce secteur qu’on va éprouver la méthode Hollande-Ayrault fondée sur la concertation face aux impatiences et à l’héritage laissé par l’ancien gouvernement. Et la capacité du gouvernement et du chef de l’État à tenir à tenir leurs engagements.
La rentrée 2012 est une rentrée Chatel “par contumace”. Même s’il déclare qu’il y a des changements à l’œuvre, Vincent Peillon peut s’abriter, pour cette rentrée, sur le fait qu’elle était largement “dans les tuyaux” lors de sa prise de fonctions. Les enseignants savent cela et les positions syndicales semblent marquées par un certain pragmatisme. Mais, cela n’empêche pas certains d’être impatients et tous d’attendre beaucoup de la rentrée 2013 et de la loi d’orientation et de programmation. Car, en effet, l’été était studieux pour les syndicalistes et l’ensemble des partenaires de l’École.
Lancée le 5 juillet, la concertation pour la refondation de l’Écolea occupé une bonne partie des vacances avec des réunions très régulières jusqu’au 20 juillet, puis une reprise à partir du 20 août et des travaux qui se poursuivent jusqu’à la fin septembre. Un rapport rédigé par le groupe de pilotage à partir des débats et des contributions écrites doit être publié à la mi octobre. A partir de ce texte, le ministre doit faire un projet de loi d’orientation et de programmation qui sera soumis au parlement dès novembre. L’enjeu est donc d’aboutir à une loi qui puisse avoir ses premiers effets à la rentrée 2013 qui sera alors la première rentrée ”Peillon”.
Mais parlons d’abord de la rentrée 2012. Le budget de cette rentrée scolaire « particulière », reste marqué les 1400 suppressions de postes qui étaient initialement prévues pour la sixième année consécutive. Face à cela, Vincent Peillon a surtout proposé des “mesures de réparation”votées cet été, dans le cadre du collectif budgétaire, afin d’“atténuer les tensions” ; le recrutement de 1 000 professeurs des écoles (baissant ainsi les suppressions à 13 000), celui de 280 profs du secondaire, de 100 conseillers pédagogiques d’éducation (CPE) ou encore de 2 000 assistants d’éducation. Autre “réparation” : la mise en place, pour cette rentrée, d’une formation transitoire (trois heures de décharge) pour les professeurs stagiaires, en attendant l’arrivée, en septembre 2013, des “écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPÉ)”. On doit évoquer aussi l’annonce des “emplois d’avenir-éducation” qui consiste en une forme de pré-recutement où on propose à des étudiants de licence des heures de travail dans l’éducation nationale et une rémunération en échange d’un engagement à passer les concours.
Est ce que toutes ces mesures seront suffisantes ? Vincent Peillon l’a reconnu lui même, les tensions demeurent notamment dans le secondaire. Et tout cela n’empêchera pas les revendications.“L’École impatiente”, était le titre donné à l’émission matinale de France Culture. Et il est vrai que cela résume assez bien la situation d’une bonne partie de l’École. Sans en rester à la question des moyens, plusieurs acteurs de l’École attendaient des actes symboliques qui marquent déjà une rupture avec la période précédente. C’est ainsi le cas de Pierre Frackowiak. Dans une tribune sur Éducavox, il dénonce la permanence des blocages qui empêchent d’avancer et la “peur des rupturesy compris dans la concertation pour la refondation : “A la rentrée, on a pris quelques mesures d’urgence sur les postes, sur la formation, sur l’évaluation des enseignants mais on n’a pas suspendu les programmes affligeants de 2008, les pratiques autoritaristes des cadres formatés, l’aide individualisée unanimement condamnée y compris dans les milieux qui soutenaient le pouvoir précédent. La souffrance des enseignants, l’ennui des élèves, la perte de sens de l’école par rapport à l’évolution du monde s’effacent devant l’exigence de faire des propositions, celles là même que l’on entend depuis trente ans et qui ne mettent pas en cause les « fondations » pourtant chancelantes, du système.… ”.
Autre agacement, celui de Roland Hubert, co-secrétaire général du SNES, lors de la conférence de rentrée de son syndicat "Aujourd’hui, le point de tension majeur concerne la réforme des lycées professionnels : l’évolution du nombre d’élèves est plus qu’inquiétant et les programmes sont infaisables. Il y a une urgence absolue et on ne comprend pas l’attentisme du ministre sur cette question-là.". Le syndicat s’est aussi montré déçu de la gestion de plusieurs autres dossiers : la réforme du lycée, le livret personnel de compétences, que V. Peillon a condamné mais conservé, et le dispositif ECLAIR, "que le ministre aurait dû supprimer". Sur toutes ces questions, des signaux forts ont manqué. "On ne veut pas tout tout de suite, mais on souhaite au moins qu’une évolution soit programmée, et ce n’est pas le cas pour le moment".
C’est peut-être pour contrer toutes ces impatiences et rassurer les enseignants que le président François Hollande a adressé lundi 3 septembre un message de “confiance”aux enseignants qu’il a placés au cœur de son projet de “refondation” de l’école, lors d’une visite au collège Youri Gagarine de Trappes. Citant en exemple les innovations pédagogiques de ce collège, le président de la République a insisté sur le “rapprochement entre l’école et le collège” dont il entend faire “un objectif national” et qui doit permettre aux élèves de parvenir en 3ème avec un niveau “suffisant”. Il a aussi déclaré que l’Education nationale “a fait trop souvent l’objet d’attaques, pas simplement budgétaires, idéologiques aussi. Il a été tant demandé à l’école et il a été si peu rendu à l’Education nationale”. “Ce ne sera pas une réforme de plus, vous en avez déjà connu tellement, mais une refondation”, a-t-il ajouté en parlant de la future loi d’orientation et de programmation.
Le changement c’est pas encore pour maintenant et si l’heure est encore à l’enthousiasme des débats et à une attente bienveillante, le moment des arbitrages risque d’être plus délicat.
Vocations et pénuries
C’est le moment ou jamais de passer les concours ! Comme nous l’évoquions plus haut 22.100 postes seront inscrits aux concours externes des premier et second degrés pour la rentrée 2013, pour le public et le privé. Outre ces 22.100 postes, entre 8.000 et 10.000 devraient aussi être créés pour cette même rentrée. On ne connaîtra que fin septembre le détail de ces 8.000 créations de postes, mais elles devraient s’effectuer en partie par la titularisation de certains enseignants contractuels. Mais il ne suffit pas de décréter des créations pour que les postes soient pourvus et que le métier soit attirant.
Pour la session 2012, 706 postes – soit 15% – de professeurs du second degré n’ont même pas trouvé preneur à l’issue des concours. Il y avait déjà 826 postes manquants en 2011. Une applicationproposée par le site Rue89 présente de façon ludique les disciplines les plus touchées par ces manques. Il faut déjà le rappeler, les jurys des concours sont souverains. Et ceux ci peuvent décider de ne pas pourvoir tous les postes en fonction du niveau des candidats. La question dans les années à venir risque d’être moins celle de la nature des concours de recrutement qui agite aujourd’hui beaucoup les débats de la “concertation” que celle des moyens d’attirer les candidats vers ces concours.
Inévitablement la question de la revalorisation salariale est mise sur la table. Ce peut être un levier pour attirer davantage de candidats aux concours. Vincent Peillon a laissé entendre qu’un coup de pouce salarial n’était pas exclu dans le moyen termeavec cette formule qui n’engage à rien : “ Il serait digne de mieux payer les enseignants si nous en avions les moyens et, lorsque nous les aurons, nous le ferons. ”. Un moyen de faire patienter…
Mais dans la même interview il a ajouté que "les gens qui choisissent ce métier ne le choisissent pas d’abord pour l’argent", "ce qu’ils veulent, c’est qu’on leur donne les moyens de faire réussir les élèves. Ce n’est plus le cas dans ce pays". Reconstruire une école efficace qui fait réussir tous les élèves serait ainsi un moyen de rendre attractif et valorisant le métier d’enseignant.
Et si on cessait aussi de parler de “vocations”à propos du métier d’enseignant ? Car n’oublions pas que quand on a la vocation, souvent on fait vœu de pauvreté… ! Et si plutôt que d’être face à un “sacerdoce” hérité du 19ème siècle, l’enjeu du 21ème était de construire une professionnalité qui fasse des enseignants des experts du “faire apprendre” ? Si l’on créait les conditions de l’autonomie des équipes enseignantes au service d’objectifs clairement définis plutôt qu’un maquis de procédures, peut-être cela serait-il une source de motivation et d’attrait pour ce métier ?
Morale laïque : la dire ou la vivre ?
Lors de sa conférence de rentrée du 29 août, Vincent Peillon a annoncéqu’il souhaitait développer un enseignement de morale laïque “du plus jeune âge au lycée”. Il avait déjà évoqué ce projet le 11 juillet dernier, devant la commission des affaires culturelles de l’assemblée nationale.
“Il y a eu beaucoup de petits dispositifs. Je veux créer un consensus car cela va très au delà du clivage gauche-droite”, a-t-il expliqué mercredi lors de sa conférence de presse de rentrée. « La laïcité, ce n’est pas la simple tolérance, ce n’est pas "tout se vaut", c’est un ensemble de valeurs que nous devons partager », a dit M. Peillon. « Pour les partager, il faut qu’elles nous soient enseignées et qu’elles soient apprises [...] Il faut reconstruire entre les enfants de France du commun », a ajouté l’agrégé de philosophie, disciple du positivisme et grand admirateur de l’œuvre de Ferdinand Buisson. On va donc créer et installer une commission pour travailler sur ce sujet.
Ces annonces ont donné lieu à un dérapage de l’ancien ministre UMP de l’Education Luc Chatel . Celui-ci écrit en effet « Effarante interview de Peillon dans le JDD : redressement intellectuel et moral, mot pour mot l’appel du maréchal Pétain le 25 juin 1940 », a écrit Luc Chatel sur son compte Twitter. Passées les bornes, il n’y a plus de limite…
Mais revenons sur cette annonce. Car les médias ont la mémoire courte. Car, parler de “retour” est un peu abusif. Il y a un an tout juste, le prédécesseur de Vincent Peillon, Luc Chatel annonçait lui aussi le “retour” des cours de morale à l’école primaire. Alors que celle-ci n’avait jamais vraiment disparu. Mais, me direz vous, ici il ne s’agit pas de la même chose puisqu’il s’agit de morale “laïque”… Ou alors il faudrait parler en paraphrasant Cocteau d’ “éternel retour”.
Sur le fond, sans vouloir remettre en cause les intentions de M. Peillon, on a quand même l’impression qu’il cherche ainsi à séduire un électorat conservateur. A se demander s’il n’a pas Jean-Pierre Chevenement comme conseiller occulte... Et sur la forme on a l’impression qu’on réemploie les mêmes recettes que sous Chatel tant ce procédé qui consiste à faire des annonces pour détourner l’attention semble éculé tellement il a été utilisé.
Et puis on peut aussi s’interroger sur les raisons qui poussent à proposer cet enseignement et les meilleurs moyens d’apprendre cette “morale”. On peut en effet considérer que la société perd ses repères et qu’il importe d’en redonner. C’est probablement la mission de l’école que de former des citoyens mais on peut avoir des réserves sur ce discours de déploration nostalgique. Et puis surtout, on peut se demander s’il est plus efficace de créer des cours de “morale” ou au contraire de faire vivre ces valeurs à travers des pratiques. C’est peut-être en faisant des établissements scolaires des lieux d’apprentissage de la démocratie et de la tolérance qu’on développera cette “morale laïque” et ses valeurs plutôt qu’à travers des cours qui risquent d’en donner une vision désincarnée et au final peu propice à un réel apprentissage.
Fausses notes
Selon un sondage paru lundi dans le quotidien gratuit Métro80 % des Français interrogés (1007 personnes) sont opposés à la suppression des notes à l’école ( on peut consulter le sondage completici). 77 % des personnes interrogées pour cette enquête sont des parents d’élèves de moins de 18 ans. Frédéric Dabi, directeur-général de l’Ifop qui a réalisé cette étude préciseque “les 50-64 ans, c’est-à-dire la génération 68, sont les plus opposés à une réforme du système de notation, à 85 %”.
On peut évidemment questionner le sondage lui même. Il s’agit d’un questionnaire auto-administré en ligne dont la question est “Vous personnellement, êtes-vous favorable ou pas favorable à la suppression des notes à l’école ?”. La question laisse peu d’alternative. En 2011, un sondage commandé par l’AFEV (une association d’étudiants faisant du soutien scolaire) montrait en revanche que 53% des Français étaient favorables à la mise en place d’un autre système d’évaluation des élèves.
Vincent Peillon a pris position dans ce débat en se disant opposé à la suppression des notes et en déclarant “Je trouve que le débat est toujours intéressant quand il n’est pas manichéen, pour ou contre les notes, et d’ailleurs ce n’est jamais comme cela qu’il a été posé, y compris par moi". Selon lui, il faut "qu’il y ait une évolution de la façon dont nous notons, parce que la note doit pouvoir être aussi un encouragement et pas un découragement parce que les élèves de France, à part les petits Japonais, sont les plus malheureux au monde ”
La question des notes est un débat intéressant et clivant dans l’opinion publique. Et cela illustre assez bien les tensions qui traversent l’école. Si les notes ont été inventées, ne l’oublions pas, c’est d’abord pour classer et trier.
Quand Jules Ferry promulgue un décret le 5 juin 1890 qui stipule que “dans les compositions, chaque copie aura sa note chiffrée de 0 à 20”, c’est sous la pression des grandes écoles et des concours administratifs. Comme le souligne l’historien de l’éducation Claude Lelièvre “le classement précède la note” . La France est depuis cette époque un pays de concours et la note est d’abord l’outil de cette sélection. C’est, d’une certaine manière, inscrit dans le code génétique de la société française. L’évaluation est d’abord définie en France comme une évaluation normative où l’on se compare aux autres (ce qui n’est pas vrai dans d’autres pays). Mais cette conception est productrice d’échec et de perte d’estime de soi. Elle est aussi néfaste pour les apprentissages puisqu’elle transforme l’erreur en faute et conçoit l’évaluation comme une fin et non une partie du processus. Il ne s’agit pas de dire que cette conception de l’évaluation doit être abandonnée. Qu’on le veuille ou non, à un moment l’École sélectionne. Mais on peut faire en sorte que cela se fasse le plus tard possible. Et l’enjeu est alors de développer avant une autre conception de l’éducation qui soit une évaluation au service des apprentissages. Où il ne s’agit pas forcément de se comparer aux autres mais de mesurer ses propres progrès par rapport à des critères et des objectifs d’apprentissage.
La remise en cause des notes est en fait un débat majeur qui touche aux valeurs mêmes de notre société. Une société fondée sur la sélection et les inégalités plutôt qu’une société bienveillante et égalitaire. Un autre enjeu réside dans la nécessité pour les évaluations alternatives à être aussi “lisibles” que les notes le sont en apparence. Car, on peut déjà rappeler que les notes sont loin d’être fiables. Les travaux de la docimologie (l’étude des biais de la notation) l’ont montré depuis les années 30. Mais, alors que cela devrait faire partie de leurs connaissances de base, ces travaux sont très peu connus et peu diffusés dans la formation des enseignants. Face aux notes, pour l’instant, l’évaluation par compétences a souvent pris la forme de “grilles” relativement complexes et peu lisibles pour les parents et les élèves. Les enseignants qui innovent dans ce domaine doivent poursuivre leurs efforts de communication dans ce sens. Pour éviter les usines à cases et évaluer sans fausses notes…
C’est donc le retour de la revue de presse pour la huitième année consécutive après la coupure des vacances. Certaines sources d’information ont disparu, comme par exemple France Soir. D’autres sont intégrées comme par exemple le site Educavoxou le Huffington PostOn ne sait pas encore quel sera le rythme cette année mais au minimum on peut espérer une revue de presse chaque semaine. Et plus si affinités…
Bonne rentrée et Bonne Lecture...
Philippe Watrelot