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Grain de sel n° 13
Dans un dossier récent (le 13 mai) de Libération sur les enseignants, Véronique Soulé interroge Luc Ria, chercheur français qui travaille à l’ENS de Lyon et qui est titulaire de la chaire de l’UNESCO « former les enseignants au XXIème siècle ». Il analyse les grands défis auxquels les jeunes profs sont confrontés, à commencer par l’irruption des nouvelles technologies.
 
Il insiste sur le fait que « les enseignants n’ont plus le monopole du savoir, essaient de rendre leurs cours plus attractifs, plus séduisants, en utilisant les médias, des films, en allant sur Internet ». Véronique Soulé demande si cette évolution de l’environnement de l’école, du rapport au savoir, des comportements des élèves génère un malaise…
 
C’est évident. Le fait d’enjoliver les cours ne peut pas tromper longtemps les élèves d’aujourd’hui. Ils voient bien que c’est de la confiture mais que le pain dont on tente de dissimuler le goût, reste le même. Luc Ria explique : « Il faudrait inventer une nouvelle façon de faire classe. Mais il y a le poids du conservatisme. Un jeune prof, de la maternelle au lycée, a passé plus de 10 000 h en classe. Il a intégré la façon d’enseigner, ce qui limite sa capacité d’innover. En France, on pense d’abord au contrôle de la classe, à obtenir l’ordre avant de commencer. Alors que dans de nombreux pays où les cours sont des ateliers informels, la question se pose différemment. »
 
Luc Ria a raison. J’ai abordé ce problème à de nombreuses reprises dans mes livres et sur Educavox. Mais allons plus loin. Au moment où l’on parle d’une refondation de l’école, il faut bien s’interroger sérieusement sur la formation des maîtres. Comment peut-on changer les choses si l’on prétend former les enseignants du futur avec des programmes et des méthodes de formation du passé ? C’est pourtant ce qui va se passer.
 
Je me souviens de formateurs et d’inspecteurs qui affirmaient qu’il faut d’abord apprendre à faire comme avant, comme hier ou avant-hier, pour pouvoir, ensuite, évoluer et travailler comme il faudrait le faire demain. On sait que la déformation est très difficilement réversible pour tous ceux qui n’ont pas eu l’envie d’aller respirer l’air des mouvements pédagogiques et se sont moulés dans les conformismes, le plus souvent à la grande satisfaction de l’institution, l’innovation étant suspecte et fortement contrôlée.
 
On sait qu’avec les 10 000 h de formatage, - auxquelles il faudrait quand même enlever le temps de la maternelle quand elle n’a pas été détruite par l’évaluationnite aigue et par des conceptions mécanistes des apprentissages et des prérequis -, renforcées par des pratiques de formation périmées, on n’a peu de chance de former les enseignants du futur. On subit des cours pour apprendre à faire cours. Il faudrait de nouvelles disciplines pour tous (pédagogie, psychologie, sociologie, philosophie, histoire des disciplines, etc), de nouvelles pratiques de formation, de nouvelles modalités de stage… et une re-formation des formateurs et de l’encadrement pour qu’ils s’engagent dans une vraie refondation..
 
Ce n’est pas la voie qui a été choisie. Le lobby universitaire semble avoir gagné avec le soutien de tous les conservateurs disciplinaires. On formera donc à la meilleure utilisation possible de la confiture sans changer le pain qui a pourtant terriblement vieilli et que les élèves ne supportent plus.
 
Elsa Triolet disait : « L’avenir n’est pas une amélioration du présent. C’est autre chose. » . Je doute que cette évidence ait été entendue.
 
Pierre Frackowiak
Dernière modification le jeudi, 13 novembre 2014
Frackowiak Pierre

Inspecteur honoraire de l’Education nationale. Vice-président de la Ligue de l’Enseignement 62. Co-auteur avec Philippe Meirieu de "L’éducation peut-elle être encore au cœur d’un projet de société ?". Editions de l’Aube. 2008. Réédition en format de poche, 2009. Auteur de "Pour une école du futur. Du neuf et du courage." Préface de Philippe Meirieu. La Chronique Sociale. 2009. Auteur de "La place de l’élève à l’école". La Chronique Sociale. Lyon. Auteur de tribunes, analyses, sur les sites educavox, meirieu.com. Prochainement, une BD avec les dessins de J.Risso :"L"école, en rire, en pleurer, en rêver". Préface de A. Giordan. Postface de Ph. Meirieu. Chronique Sociale. 2012.