Le Président de la République française – Emmanuel Macron – y fait régulièrement référence[1] notamment en période de crise – qu’elle soit économique, sociale ou sanitaire – souhaitant que « l’intelligence collective triomphe ». Comme si ce terme revêtait une connotation « magique », « bienfaitrice » voire « providentielle » en période incertaine.
Face à tous les défis qui nous attendent au XXIème siècle, s’engager sur la voie de l'intelligence collective nous permettrait d’inventer progressivement « les techniques, les systèmes de signes, les formes d’organisation sociale et de régulation qui nous permettraient de penser ensemble, de concentrer nos forces intellectuelles et spirituelles, de multiplier nos imaginations et nos expériences, de négocier en temps réel et à toutes les échelles les solutions pratiques aux problèmes complexes que nous devons affronter » (Lévy, 1994, p. 14).
Ainsi, « l’un des défis les plus difficiles à relever sera de modifier nos modes de pensée de façon à faire face à la complexité grandissante, à la rapidité des changements et à l’imprévisible, qui caractérisent notre monde » (Mayor, préfaçant Morin, 1999).
Nous baignons en effet dans une société de plus en plus complexe et nous ne pouvons que constater qu’il y a « inadéquation de plus en plus ample, profonde et grave entre, d'une part, nos savoirs disjoints, morcelés, compartimentés et, d'autre part, des réalités ou problèmes de plus en plus polydisciplinaires, transversaux, multidimensionnels, transnationaux, globaux, planétaires » (Morin, 1999, p. 15).
Nul doute que le système éducatif français traverse lui aussi une crise des plus graves :
Déficit croissant d’attraction pour les futurs enseignants, perte progressive de vocation pour les professeurs en poste, baisse alarmante du niveau général des élèves français dans les classements internationaux, etc.
Pour autant, le phénomène d’intelligence collective peine à pénétrer le champ scolaire, qu’il s’agisse du pilotage des politiques éducatives (De Ketele, 2020) ou des actions de terrain (Bardeau, 2016). Malgré tout, certains chercheurs ont tenté un début de rapprochement. François Taddei[2], sollicité en 2017 par la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem[3], incite notamment à mobiliser l’intelligence collective au sein du système éducatif français qui « aujourd’hui est très individualiste.
D’autres pays, avec une approche qui s’appuie plus sur les travaux collectifs, permettent de mieux développer les individualités de chacun ».
Or, c’est bien l’interaction humaine qui forge l’interdisciplinarité, pas seulement la rencontre de savoirs disciplinaires.
La première clé du déploiement d’une intelligence collective réside également dans les possibilités d’interactions entre les membre du groupe (Bonabeau & Théraulaz, 1994). En effet, « l'évolution a doté l'espèce humaine d'aptitudes sociales fondées sur la collaboration et le soutien mutuel. Ces aptitudes sont maximisées dans les petits groupes » (Noubel, 2007, p. 2) qui disposent d’une formidable capacité à embrasser la complexité et l’inattendu.
Les dernières réformes de l’éducation nationale ont offert pour la première fois, une opportunité d’interaction entre les enseignants dans leur service obligatoire : au travers des enseignements pratique interdisciplinaire (EPI). Dans leur construction, les EPI sont conçus comme de véritables espaces invitant les élèves à rencontrer des situations complexes[4]. Cette coordination « aboutit à une mobilisation effective des compétences » (Lévy, 1994, p. 29).
A ce titre, la Loi n°2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'École de la République avait pour ambition de permettre à l’élève d’appréhender le monde dans sa globalité. Elle s’est illustrée institutionnellement par la conception d’un nouveau socle commun[5] (2016), visant l’interaction des disciplines par l’association des dispositifs pédagogiques, contrairement au socle commun précédent qui n’avait pu mettre en application un tel projet : « Établir un socle des connaissances, c’est d’abord travailler en équipe, c’est ensuite réfléchir à la manière dont les acquisitions individuelles de chaque élève peuvent s’insérer dans la communauté de savoirs de la classe, de l’école, et dans la complexité de la réalité » (Jouvenot, 2006, p. 44).
La mise en place du nouveau socle commun de connaissances, de compétences, de culture (S4C) tend à faire de chaque discipline une part du tout, et non une finalité en soi (Dubet & Duru-Bellat, 2015).
Aussi, les enseignements pratiques interdisciplinaires « permettent de construire et d’approfondir des connaissances et compétences grâce à une réalisation concrète individuelle ou collective. Ils aboutissent à des réalisations (présentation orale ou écrite, constitution d'un carnet, etc.) »[6]. Malgré la création des EPI en 2016 et leur application dès la rentrée suivante, il semble que l’évolution des pratiques enseignantes, freinée par les aléas politiques, ne se soit pas pleinement concrétisée.
Pourtant, un des enjeux majeurs de l’interdisciplinarité en éducation se situe dans la mise en œuvre d’un continuum théorico-pratique, offrant la possibilité aux élèves de réinvestir quotidiennement leurs apprentissages théoriques dans des actions concrètes porteuses de sens, tout en développant des compétences d’interaction sociale déterminantes.
Si le domaine de l'intelligence collective est fondamentalement interdisciplinaire (Malone & Bernstein, 2015), en retour l’usage de l’interdisciplinarité – dans la recherche comme dans l’enseignement – constitue une formidable expression d’intelligence collective.
Les deux notions que nous mettons en relation – intelligence collective et interdisciplinarité – sont régulièrement mises sur le devant de la scène pour leurs capacités supposées à expliquer et à résoudre les problèmes complexes et/ou nouveaux qui se présentent à la société.
A cet égard, nous menons une étude qui – nous l’espérons – impulsera une nouvelle dynamique propre à renforcer l’importance des pratiques interdisciplinaires d’une part, et à faire de l'intelligence collective une véritable finalité éducative d’autre part.
Professeurs au primaire/secondaire, personnels de direction, inspecteurs, formateurs, enseignants-chercheurs, plus largement acteurs du milieu éducatif, nous vous invitons à prendre quelques minutes pour participer à cette enquête portant sur les représentations de l'interdisciplinarité et de l'intelligence collective dans le système éducatif français.
Le lien ci-dessous vous permettra de répondre aux quelques questions de notre enquête :
Vous pouvez également flasher le QR code suivant :
Florian Cramarégeas & Yoann Drolez - Université de Bordeaux – LACES -
Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Voici le lien vers la thèse portant sur "L’interdisciplinarité dans l’enseignement secondaire en France (1970-2018) : une légitimation contrariée dans les discours, les configurations institutionnelles et les pratiques enseignantes" (Florian Cramarégeas) : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03483282
Bibliographie
Bardeau, F. (2016). Intelligence collective dans la classe. e-novEPS, 10, 6.
Bonabeau, E., & Théraulaz, G. (1994). Intelligence collective. Hermès.
Bronner, G. (2018). L’intelligence collective : Un enjeu politique. Revue européenne des sciences sociales, 56‑2(2), 161‑182.
De Ketele, J.-M. (2020). Réformer l’éducation : Travailler ensemble au bien commun en développant une intelligence collective. Revue internationale d’éducation de Sèvres, 83, Art. 83. https://doi.org/10.4000/ries.9463
Dubet, F., & Duru-Bellat, M. (2015). 10 propositions pour changer l’école. Editions Seuil. https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-01534379
Jouvenot, C. (2006). Quel socle commun ? Les Cahiers pédagogiques, 439. https://www.cahiers-pedagogiques.com/no439-quel-socle-commun-2106/
Lévy, P. (1994). L’intelligence collective : Pour une anthropologie du cyberspace. Éditions la Découverte.
Malone, T. W., & Bernstein, M. S. (Éds.). (2015). Handbook of Collective Intelligence. MIT Press.
Morin, E. (1999). Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur. Seuil.
Noubel, J.-F. (2007). Intelligence collective, la révolution invisible. The Transitioner.
Weschsler, D. (1971). Concept of collective intelligence. American Psychologist, 26(10), 904‑907. https://doi.org/10.1037/h0032223
Woolley, A. W., Chabris, C. F., Pentland, A., Hashmi, N., & Malone, T. W. (2010). Evidence for a collective intelligence factor in the performance of human groups. Science (New York, N.Y.), 330(6004), 686‑688. https://doi.org/10.1126/science.1193147
[1] Ce fut le cas lors de la contestation de la réforme des retraites (propos tenus en déplacement officiel en Côte d’Ivoire), également lors de la conférence de presse du 25 avril 2019 à l’issue du grand débat, ou encore lors du discours du 24 novembre 2020 dévoilant les étapes de sortie du confinement.
[2] Biologiste, chercheur à l’Inserm, spécialiste de l’évolution de la coopération, il travaille depuis une quinzaine d’années sur les enjeux éducatifs, au sein notamment du Centre de Recherches interdisciplinaires qu’il a cofondé en 2005 et qui est devenu le « Learning Planet Institute » (Institut de la planète apprenante) où avec ses équipes, il explore de nouvelles manières d’apprendre. Il développe l’argument selon lequel « la coopération est l’avenir de la société ».
[3] https://www.cahiers-pedagogiques.com/mobiliser-l-intelligence-collective/
[4] Ces situations complexes sont perçues comme « lieu d’acquisition des compétences » d’après les travaux de l’Académie de Bordeaux.
[5] Décret n°2015-372 du 31 mars 2015 relatif au socle commun de connaissances, de compétences et de culture.
[6] Définition sommaire issue du site education.gouv.fr, ne comportant que peu de précisions sur ce qu’est concrètement un EPI.
Dernière modification le dimanche, 27 novembre 2022