L’Intelligence Artificielle et Chat GPT, ressources, Réalité Virtuelle, réseaux sociaux… au cœur du réacteur. - Educavox, Ecole, pédagogie, enseignement, formation

samedi, Oct 21 2023

Didactique

Écrit par Elbaz Jennifer

Les influences importantes et durables des technologies numériques dans nos sociétés impactent le rapport à l’information, modifient les rapports sociaux et les relations au sein de l’école, et nous obligent à découvrir, analyser les potentiels, mesurer les impacts. Quelles stratégies, quelles nouvelles compétences, quelles possibilités pour les apprentissages, quelles protections pour les données, quels rapports au sein de l’école ?

Pour en discuter :

Pascal Bouzin est Adjoint au Délégué Régional Académique au Numérique Éducatif dans l’académie de Bordeaux.(DRANE)

La DRANE de Bordeaux a créé un groupe académique : « IA, data, Algos » ; qui regroupe différents acteurs : corps d’inspection, Clémi, Canopé, Inria, des enseignants et des enseignants formateurs. « L’objectif de ce groupe est de ne pas rater le train. Nous pensons qu’il va y avoir des changements majeurs pour tout ce qui touche à l’éducation. Mais aussi sur la construction de l’identité professionnelle des acteurs, et plutôt que passer à côté et laisser proliférer des usages sauvages, nous préférons pouvoir accompagner l’acculturation des acteurs et des élèves. »

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Clément Moulin-Frier est chercheur à l’INRIA, au sein du laboratoire Flowers.

Ce laboratoire travaille sur la compréhension et la modélisation informatique des phénomènes d’apprentissage ouvert comme la faculté humaine d’acquérir des nouvelles compétences ; le fait d’apprendre des choses sur le monde. « On cherche à comprendre ce phénomène en étudiant l’humain et à en faire des modèles informatiques pour modéliser des agents artificiels en IA et en particulier des agents artificiels qui pourraient apprendre de manière autonome. » Clément Moulin-Frier est chercheur côté Intelligence Artificielle.

Hélène Sauzéon est chercheuse à l’Inria, au laboratoire Flowers.

Professeur en sciences cognitives à l’université de Bordeaux. Hélène Sauzéon travaille sur la partie appliquée des travaux dans le domaine des sciences de l’éducation et dans le domaine des rééducations. La réhabilitation cognitive recouvre des programmes d’apprentissage. « Notre spécialité, c’est de concevoir des nouvelles technologies et au sein du laboratoire Flowers, nous mettons en place des méthodes centrées utilisateur. On va sur le terrain tester ces solutions, nous adoptons des approches expérimentales robustes. Un des projets phare du laboratoire, c’est Adaptiv’Math. »

Nathalie Sonnac est professeure à l’Université Paris II Panthéon-Assas, spécialiste d’économie des médias :

Elle est économiste et chercheur en sciences de l’information et de la communication. Elle est Présidente du Conseil d'orientation et de perfectionnement du CLEMI (Comité de Liaison de l’Education aux Médias et à l’Information), membre du Conseil national de l’audiovisuel de 2015 à 2021, Présidente du comité d’éthique des données

https://www.education.gouv.fr/le-comite-d-ethique-pour-les-donnees-d-education-12146

Nathalie Sonnac est également autrice d’un livre qui vient d’être publié : Le Nouveau Monde des médias : Une urgence démocratique chez Odile Jacob.

Les échanges : Extraits

Comment est-ce qu’on essaie de comprendre comment la curiosité des élèves fonctionne ?

Hélène Sauzéon : il existe des travaux depuis une décennie, qui s’attèlent à comprendre comment fonctionne la curiosité systémique. En termes de savoirs, beaucoup de choses ont été capitalisées. On s’est intéressés plutôt à la curiosité chez l’enfant en bas âge mais on va petit à petit vers la curiosité pendant la vie entière. On arrive à circonscrire les mécanismes. On est tous d’accord sur la définition : la curiosité, c’est l’apprentissage autonome intrinsèquement motivé. Clément travaille sur de l’IA autonome, l’IA curieuse. Il y a des progrès, on commence à bien connaitre les circuits neuronaux impliqués dans les mécanismes de curiosité.

Clément Moulin-Frier : deux fonctions de la recherche en IA : d’une part l’IA pour la société, et d’autre part utiliser la modélisation en IA pour mieux comprendre des mécanismes biologiques, ici nous étudions la curiosité, donc une manière de mieux comprendre l’humain. On n’a pas encore bien compris un phénomène tant qu’on ne sait pas le reproduire. On a développé toute une famille d’algorithmes, basés sur les travaux de Pierre-Yves Oudeyer. http://www.pyoudeyer.com/

Nous développons des modèles concrets en informatique : des agents artificiels autonome qui vont avoir la capacité de générer leurs propres problèmes et savoir les régler. Majeur dans l’évolution de l’espèce : inventer des nouveaux problèmes et savoir les résoudre

Hélène Sauzéon : une spécificité, c’est de travailler sur les aspects socio-culturels avec le rôle du langage dans les apprentissages autonomes, comment le langage soit socialement, soit de manière interne à l’individu, régule les apprentissages et permet de se créer des nouveaux buts d’apprentissage.

Clément Moulin-Frier : le langage et toute construction culturelle. Le système éducatif est une structure qui va guider l’apprentissage d’une génération par rapport à ce qu’a connu l’autre et ainsi de suite. L’idée c’est : « Comment est-ce que l’évolution culturelle cumulative peut influer sur le développement ».

Hélène Sauzéon : ce qu’on a compris de manière artificielle ou empirique, après on va l’injecter dans les technologies éducatives qu’on va concevoir : on va créer des mécaniques : on va vous nourrir en connaissances et inviter l’élève a se questionner sur ses manques de connaissance ou se questionner sur des phénomènes surprenants, s’inviter à avoir une pensée réflexives sur ses propres connaissances. C’est une forme de métacognition : s’interroger sur ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas, se poser des questions et explorer des ressources documentaires, l’environnement pour combler ses lacunes.

Sur la question du financement :

On est dans l’ère des appels à projets. Cela produit des effets de mode. Aujourd’hui l’IA est à la mode. Et il faut que ce qu’on fait se voit. Ça nous incite, sur les IA génératives, à aller voir ce qui se passe, ce qu’on peut en faire concrètement, comment ça peut impacter nos objets de recherche et on trouve des choses intéressantes. Par exemple, on aime bien voir les produits comme chatGPT comme un modèle proxi de ce que pourrait être un système de connaissance.

Hélène Sauzéon : en dehors des financements publics, on a des services supports qui nous aident à monter des partenariats avec des industriels : les edtech. Le CIFRE https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/les-cifre-46510 est un dispositif de doctorats dans les entreprises. Par rapport à la vitesse, même si on suit le flux d’informations, on a notre propre rythme. Le temps de réfléchir reste important, il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton pour avoir des résultats de recherche. Pour réfléchir aux impacts, il faut du temps. On a pas mal de congrès qui nous amènent à voir des réflexions collectives sur l’impact de l’IA générative, sur la société et les recherches.

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Quels changements voyez-vous dans l’académie, dans les classes ?

Pascal Bouzin : il y a des changements perceptibles et des changements plus souterrains. L’avènement du numérique dépend de la façon dont les acteurs s’en emparent. Les populations d’élèves sont en train de changer. Dès la fin de la maternelle. Ils sont exposés à des sollicitations de toutes natures. Quand on a des enseignants qui s’emparent de ces progrès potentiels, comment vont-il le gérer pour eux-mêmes et pour les élèves ? Le numérique fait l’objet de beaucoup de fantasmes, très souvent liés à une méconnaissance et une peur. Dans les changements induits par le numérique, il y a aussi les classes flexibles.

Avec la dynamique de notre école, dans le cadre du CNR éducation : on part du terrain. https://www.education.gouv.fr/conseil-national-de-la-refondation-notre-ecole-faisons-la-ensemble-343168

Il y a beaucoup de créativité sur le terrain. Le métier d’enseignant est un métier à part. La classe flexible, c’est une réflexion des équipes : enseigner autrement parce que les élèves l’exigent. Ils s’ennuient, l’idée est de capter leur curiosité naturelle. On en train de vivre une révolution.

Le numérique a impacté :

Les relations entre élèves (réseaux sociaux),

Utilisation intensive qui crée un continuum entre l’espace-temps scolaire et le hors-temps scolaire avec pour effets pour les éducateurs (tous les personnels qu’ils côtoient en établissement) et les familles, souvent, une forme d’ignorance des usages.

Ces usages sont non régulés et peuvent conduire à des dérives souvent empreintes de violences.

Besoin impérieux d’éducations à…

L'accès aux ressources et informations, (ENT Utilisation des ressources en ligne) ;

L’accès aux ressources est largement facilité. Nous parlons des ressources liées aux apprentissages mais cela vaut pour toute l’information – au sens large – disponible sur le Net.

C’est foisonnant, structuré pour ce qui concerne le scolaire. Il reste les limites liées aux accès : équipement individuels mobiles, littératie, capacités et compétences pour trier, vérifier, retenir.

Les approches pédagogiques ?

Pour les enseignants qui s’en saisissent – ou s’en emparent – il est clair que le numérique éducatif peut constituer une opportunité en matière d’offre pédagogique et éducative qualitative.
Impacts systémiques :
- Positionnement,
- Gestes professionnels,
- Identité professionnelle.

Les évolutions des structures (salle de classe...) et des équipements.

Evolutions très importantes qui se dessinent :
- Classes flexibles,
- Intégration des équipements ou non,
- Besoins d’évolutions,
- Archiclasse.
La dynamique Notre Ecole, faisons-là tous ensemble en témoigne avec le nombre de projets, quelles que soient les unités d’enseignement, qui sont déposés.
Vrai besoin sociologique.
Questionnements sur les équipements :
- Terminaux fixes ou mobiles,
- Place du BYOD…
- Usages in situ et hors établissement.
- Usages pédagogiques/éducatifs et usages personnels : articulations pour une montée en compétences en matière de littératie numérique des élèves.

Y a-t-il des expérimentations ou des exemples d'utilisations de l'Intelligence artificielle ?

Oui avec beaucoup de questionnements et de prudence.

Occurrences d’élèves qui utilisent ChatGPT à la maison pour faire des devoirs maison, (DM), des recherches ou autres.

Dilemme de l’utilisation en classe pour accompagner l’acculturation et la montée en compétences et des mesures restrictives en lien avec la législation et la nécessaire protection des élèves et des enseignants et éducateurs.

RGPD. ChatGPT n’est pas compatible. La question centrale reste celle des données personnelles.

Les IA génératives suscitent autant d’intérêt que de méfiance. Légitimement.

Il est évident que nous sommes à l’aube d’une (r)évolution majeure, dans les 5 à 10 prochaines années, de tout ce qui va toucher à l’éducation et les dynamiques d’apprentissages et d’enseignement.

Nathalie Sonnac : Nous sommes face à un bouleversement majeur, épistémologique, face à une révolution numérique.

En l’espace de 20 ans, certains acteurs étaient en dehors du champ de l’information et de la communication, qu’ils soient américains ou chinois : les GAFA et BATX. Du côté américain : nous assistons à un laisser-faire et une captation de données qui ne gêne pas, car culturelle. En face, le modèle chinois est un modèle de relations très vertical, et ce n’est pas celui vers lequel on souhaite tendre quand on est au pays des lumières, du pays de Voltaire.

Nous assistons à une transformation des usages.

69% des français s’informent via les réseaux sociaux. On a un rapport à l’information qui n’est plus le rapport à l’information qu’on avait avant. Nous avons une masse inédite d’information et une expression sans filtre. L’information issue des médias, elle est de qualité, sourcée, organisée, nous savons d’où elle émane et comment elle se distribue.Ce n’est pas le cas dans le nouvel espace informationnel numérique.

Or, dans les mêmes conditions d’accès : nous avons de la désinformation, de la propagande, du cyberharcèlement. Quelle est l’algorithmie qui est derrière ? Dans l’ensemble des médias traditionnels, nous sommes dans des dimensions qui ne sont pas les mêmes. Quand on est dans le champ du numérique, la régulation est en train de se mettre en place mais elle tarde un peu, on voit les dégâts en matière de dignité et de liberté d’expression.

L’information accessible via les réseaux sociaux est soumise à une logique algorithmique qui échappe à notre regard, qui peut orienter nos formations d’opinions. Les réseaux sociaux ne favorisent pas un débat démocratique serein. On parle de désordre informationnel : nous sommes face à un océan de contenus, il n’est pas évident de faire le tri.

Si je fais le lien avec mon rôle au sein du comité d’éthique, la vigilance sur l’utilisation des données personnelles des élèves, c’est un enjeu majeur. Aujourd’hui le RGPD ne nous dit pas que la donnée scolaire est une donnée sensible. Toutefois elle est particulière. Elle concerne les mineurs, et quand on croise les données, on est capable d’identifier la personne. Les enjeux d’éthique sont nombreux : protection des données des élèves, des parents, de l’établissement ; toutes les données d’éducation, c’est un très large panel de donnée. La donnée est un actif stratégique. Assurer l’égalité d’accès au numérique fait partie des enjeux. Il existe un risque de discrimination ou de perte d’autonomie.

Nous avons formulé 23 recommandations pour aider le corps enseignant et encadrant. Rapport du comité 2020 -2021

La place du professeur documentaliste n’est pas la place qu’elle devrait avoir compte tenu de la façon dont on s’informe et se divertit aujourd’hui. Hélène Sauzéon précise tous les enseignants devraient participer à l’enseignement de l’esprit critique.

Nathalie Sonnac : le modèle économique des médias traditionnels vacille. Ils ne peuvent plus jouer le rôle de divertir et fabriquer l’information* **. GAFA et BATX n’ont pas cette mission. Ils préfèrent un consommateur aiguillé plutôt qu’un citoyen éclairé. L’information de qualité existe mais elle est noyée. Il faut qu’elle soit poussée, c’est-à-dire commercialisée, payée pour qu’elle puisse émerger. Avec la chute des médias traditionnels s’en va une partie de notre vecteur de démocratie. Nous assistons à une déconsolidation démocratique. Le contexte à l’heure actuelle, c’est la défiance vis-à-vis des institutions et des médias et encore plus vis-à-vis des journalistes. L’information qui émane d’eux est encore moins crue.

Hélène Sauzéon : peut-être que l’open source est un moyen de lutter contre l’effet propriétaire des plateformes sur le web, peut-être que le recours à l’open source peut modifier ce flux. Nous assistons à l’émergence du principe d’égocratie, véhiculé par Michel Serres : « les voix individuelles comptent plus que les voix collectives ».

Nathalie Sonnac : nous pouvons penser que les lois en cours : DSA, DMA, IA Act vont permettre en place une forme de régulation des plateformes.