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L’archétype du lieu de formation était la salle de formation. Depuis le studio ratiorum des pères Jésuites qui organisait et réglait les apprentissages, rien n’avait vraiment bougé depuis le XVIeme siècle. Un enseignant, une salle, un contenu, un groupe et voilà le modèle pédagogique figé pour 5 siècles.

On reste pantois quand on voit que depuis cette époque lointaine la médecine a été bouleversé, la science s’est enrichie, la politique s’est sophistiquée mais pour ce qui concerne la relation du maître et des élèves rien n’a changé. Un enseignant médiéval trouverait ses marques dans un amphithéâtre de la Sorbonne. Il serait peu dépaysé. Le maître enseigne et les élèves apprennent. Le savoir est versé d’un cerveau à l’autre.

Certains essayent de nous faire croire qu’avec la technologie l’élève est devenu un apprenant, mais il faut y regarder à deux fois.

L’exemple de la cruche que l’on utilise pour transvaser des connaissances est remplacée par celle des écrans et des réseaux. Le transfert du fluide passe par des câbles et des ondes, mais la situation de transfert si elle s’est massifiée reste la plupart du temps inchangée. Il manque à l’un des choses que l’autre va combler. L’un sait pour les autres et projette des vidéos. L’esprit ressourciste a changé d’échelle. A la ressource du livre se substitue celle des clips animés, des vidéos et des écrans qui nourrissent les MOOC et les plateformes en ligne, mais le fond demeure trop souvent « j’enseigne donc tu apprends ».

La ressource reste un objet de médiation au savoir maîtrisée par le maître. Innover reste toujours affaire d’émancipation, de conscientisation de conquête de marge de liberté sur soi-même, pour soi-même et au sein d’une communauté. La eformation est innovante à la condition de ne pas seulement être une amplification technique des anciennes voies mais de se saisir véritablement du pouvoir de se lier, d’accéder, de coconstruire, de renforcer son pouvoir d’agir. Les « learning management system », ces plateformes d’apprentissage pourraient bien être que des « teaching management system » au service des maîtres et de leur contrôle des situations pédagogiques. Donc prudence.

Avec la transformation vers une société de service, les attentes et les critères d’évaluation se modifient, il faut désormais compter beaucoup plus sur l’engagement des apprenants dans leur propre apprentissage car tout va trop vite.

L’enseignement est à peine délivré, que quelque part dans le monde comme toutes les 3 minutes un brevet scientifique est déposé, des articles de recherches sont postés et des monceaux de données ou de vidéo sont déversés en ligne. Le savoir s’est transformé en flux quand certains entendent encore le traiter comme un stock qui se sédimente.

Ce qui compte tient plus de la capacité à se repérer sans cesse dans le flot que de la seule mémoire et de l’agencement par les contenus. La mémoire transactive est peu enseignée c’est celle des collectifs qui fonctionnent en intelligence collective et parviennent à se partager les données utiles pour agir avec un cerveau commun. Une posture plus labile s’installe qui touche aussi bien l’apprenant que celui dont le métier est de l’aider. Celui-ci est appelé à devenir un cartographe des savoirs, un coach, un facilitateur qui aide et guide là ou l’apprenant souhaite aller.

C’est tout le rapport au savoir qui est modifié.

Cela nécessite une remise en question de décennies d’agencement pédagogique où des référentiels normés longs et couteux à produire disent ce qu’il faut et comment il faut apprendre. Les approches de co-design et de créativité s’invitent et conduisent à revoir les manières de créer des dispositifs avec les bénéficiaires. C’est une montée en puissance de la maîtrise d’usage. Celle-ci progresse par pallier : au début l’apprenant est ignoré on sait ce qui est bon pour lui, ensuite on le consulte, puis on l’associe et enfin on l’habilite. Il a un droit de regard sur la direction de ses propres apprentissages. Mais du chemin reste à parcourir pour aller jusque-là. Il s’agit surtout de désadhérer aux croyances et aux pouvoirs en place qui prétendent réguler ce qui est bon à savoir pour les autres.

La révision de l’espace est une façon subtile d’introduire le changement dans les rapports au savoir.

Cela va bien plus loin que d’enlever les signes de dominations : estrade, chaire, place du maître près des outils de projection de la pensée (vidéo projecteur). Les cloisons entre les disciplines sont aussi les cloisons entre espaces spécialisés. Ici les mathématiques, ici l’économie, et le petit coin caché les arts et le sport. Un espace pour chaque chose.

L’envie de travailler en confort de retrouver du bien-être au travail importe dans les espaces professionnels des aménagements d’espaces plus ouverts, plus chaleureux, comme si l’on travaillait dans son salon. Des salles de formation de nouvelle génération fleurissent partout, avec elles des démarches de transformations. Une envie de refaire le monde éclos dans des labs (fab lab, living lab, learning lab), des ateliers et des espaces de co-working s’installent au pied de chez soi.

Outre le bonheur de gagner du temps sur les transports, de faire un geste pour la planète en limitant ses rejets de carbone, chacun a en plus l’opportunité de rencontrer des personnes avec des centres d’intérêt différents du sien et de fertiliser des idées nouvelles. Les pédagogues connaissaient bien les bénéfices des apprentissages informels captés comme fonction dérivée d’autres activités, ils découvrent et s’efforcent de systématiser les rencontres étonnantes et d’en faire un nouveau levier de motivation d’apprentissage et pourquoi pas d’innovation ? Tout le monde n’est pas passé au télétravail loin s’en faut mais la direction est donnée.

De nombreuses formations sont conçues comme des compositions de formation action, d’événementiels et d’apprentissage en situation de travail. Les règles d’engagement qui prévalent glissent du « pouvoir sur » (je vous autorise à partir en formation) vers un « pouvoir de » (prendre des initiatives partout pour résoudre les problèmes de la complexité de mon job). L’apprentissage en situation de travail procède plus d’un état d’esprit que peuvent cultiver les directions formation que seulement de temps alloué. C’est toute la différence entre regarder et voir. Au lieu de capter l’attention d’apprenant captif, il s’agit de susciter leur intention. Cela se passe en proximité des situations de travail, des équipes que l’on réclame apprenante et d’installation d’ambiance de soutien plutôt que de contrôle.

Le territoire reste la meilleure maille de cette proximité.

Car il ouvre des possibilités de rencontre, de travail dans des lieux nouveaux, de décalage d’expérience, de possibilité d’expérimentation. Il renvoie à suffisamment de liens et de cheminement pour apprendre au détour de son expérience. Il permet l’émergence de communauté d’apprentissage qui ont le loisir d’apprendre ensemble, de mettre en commun leur savoir et de se retrouver dans un espace physique identifié. Les territoires et leurs proximités avec nos vies quotidiennes sont garantes d’une expérience continue d’apprentissage. Le groupe "Apprenance et territoire" animé par SOL France distingue 4 dimensions du territoire apprenant.

  • Espaces physiques,
  • Flux processus organique vivant,
  • Communauté humaine,
  • Intention d'une œuvre commune, raison d'être et bien commun.

A partir de ces éléments la définition suivante se dégage :

"Un territoire apprenant est constitué d'espaces physiques au sein desquels des flux, des processus organiques et vivants de font apprenant du fait de communautés humaines qui partagent une intention, une œuvre une raison d'être et des biens communs."

Je ne pourrai que conclure sur la mission du CNFPT dont la mission est précisément de révéler tout le potentiel d’apprentissage des territoires en animant des communautés de professionnels, en les écoutant au plus près de leur problématique y compris dans des lieux où aucun autre agent public ne pénètre plus, en offrant le complément numérique indispensable pour les zones excentrées, en explorant les ressources insoupçonnées des agents territoriaux qui s’engagent tous les jours dans des politiques publiques exigeantes. En inventant une université de l’innovation déconcentrée sur tout le territoire dont le point de départ est les « défis territoriaux » à résoudre en équipe réunissant tous les acteurs passionnés de l’employé au cadre dirigeant.

Denis Cristol

4cristol.over-blog.com/2019/04/apprendre-en-proximite-du-territoire-c-est-l-avenir.html?

Dernière modification le dimanche, 15 décembre 2019
Cristol Denis

Directeur Innovation et Développement APM (Association pour le Progrès du Management)
Chercheur associé Paris Ouest Nanterre