Elles interrogent profondément le monde des CivicTech notamment (voir notamment « Civic Tech : les innovations démocratiques en questions »). Mais pas seulement. La journée du Club How offrait l’occasion de regarder son application au-delà du modèle de l’entreprise : dans le monde scolaire !
Faire école autrement ?
Le groupe Inseec est l’un des principaux groupes d’enseignement supérieur privé français, qui accueille quelques 22 000 étudiants, notamment dans les domaines du commerce, du management et de la communication.
Claire Souvigné, directrice d’une des écoles du groupe dresse le constat amer d’un système scolaire rigide et terrible.
« On met une pression terrible aux jeunes. On leur demande d’être les meilleurs tout en leur assurant qu’ils entrent dans un monde où ils n’auront pas de boulot ».
Sans compter que trop souvent, ils arrivent à l’Inseec un peu déçus de ne pas avoir eu une école de commerce plus cotée.
« Trop souvent, on leur tient un discours négatif sur l’entreprise : on leur répète qu’ils vont souffrir !.
Alors certes, l’école les aide à trouver du travail, rappelle-t-elle, mais les meilleurs n’ont pas souvent les meilleurs jobs, comme si à force de viser la meilleure note, ils en oubliaient de savoir pourquoi, de comprendre ce qui les anime vraiment.
Pour Claire Souvigné, ce fonctionnement n’avait pas de sens.
D’où le besoin de réfléchir, de faire un pas de côté… Pour cela, elle s’est fait accompagnée d’une intervenante de l’école, Kti Dossot, spécialiste du management appréciatif, qui applique la psychologie positive, qui intervient avec dans la petite salle bondée du Club How.
Pour Kti Dossot, l’enjeu a été de prendre le projet comme un projet d’entreprise en tant que tel. Humaniser l’entreprise de demain en humanisant ses futurs managers n’est pas un objectif dénué d’intérêt. « L’important est de semer la graine ! »
L’équipe de direction a formalisé une vision, un but que l’école voulait atteindre : celui de l’épanouissement des étudiants, des professeurs et intervenants. Puis l’équipe a lancé un appel à volontariat et a initié des groupes de travail, basés sur la motivation puisqu’ils se réunissaient le soir, après les heures de cours, mêlant tous les publics : administration, profs, étudiants et même anciens élèves. Ils ont travaillé plusieurs mois, collectivement, sans chefs de projet dédié, et ont fait ressortir plusieurs thèmes de travail… comme la communauté ou la transmission. Chaque groupe a ensuite décliné ces thèmes selon les objectifs, les moyens, les ressources à y apporter.
Claire Souvigné retient quelques actions emblématiques qui ont profondément changé l’organisation de l’école. Sans que cela ait été hors de prix, elle a décidé par exemple de renouveler le mobilier de l’école, passant d’un mobilier fixe à un mobilier mobile, permettant de rendre les espaces scolaires modulaires.
« Les intervenants comme les élèves ne travaillent plus de la même façon. Réorganiser l’espace permet de changer la relation et démultiplie les façons d’apprendre. »
Autre exemple, jusqu’à présent, quand les étudiants étaient amenés à réfléchir à leur projet professionnel, ils devaient passer par des étapes très construites, faites d’ateliers, d’entretiens, de tests de compétences.
Désormais, ils ont un carnet de bord dans lequel ils doivent noter des réflexions, des craintes, des idées, des lectures… qui leur permettent d’imaginer leur avenir professionnel. Ce carnet de bord, baptisé « Plan your Turfu » (Turfu pour Futur) les invite à se lâcher, à exprimer ce dont ils ont envie, à s’approprier leur futur, pour présenter autre chose ou autrement ce qu’ils souhaitent faire.
Autre initiative encore : celle d’inviter les parents pour leur parler d’excellence, d’ambition, d’audace, d’engagement… bien souvent, ils ont eux-mêmes des responsabilités professionnelles et l’ambition a été de mieux les associer dans des jurys, des oraux, pour élargir la notion de l’apprentissage, ouvrir l’école sur l’extérieur et leur faire également mieux découvrir l’école elle-même.
Pour Claire Souvigné, les jeunes sont à la recherche de recettes. Oui, et ils ont surtout plein d’idées sur l’échec, renchérit Kti Dassot. Dans leur parcours, on pointe plus les échecs que les réussites. On passe plus de temps sur les mauvaises notes qu’à leur faire dire pourquoi ils réussissent à en avoir de bonnes. Pour Claire Souvigné, cette transformation de longue haleine, puisque la phase de réflexion a pris plus d’un an, illustre la difficulté qu’il y a à se battre contre les idées reçues et contre les stéréotypes de l’organisation de l’école qu’on a toujours connu. Cela nécessite de tirer des enseignements des constats de mécontentement des élèves comme des profs. Mais changer les choses, même un peu, demande une « très très grande énergie ».
Peut-on appliquer la démocratie à l’école ?
Du haut de l’énergie de ses 27 ans, Yazid Arisi a conclu cette journée en présentant l’école qu’il vient de lancer : l’école démocratique de Paris, une école libérée des classes d’âges, des emplois du temps, des professeurs, des cours et des programmes.
Yazid Arisi a toujours été un bon élève. Très bon même. Après sa sortie d’HEC, il est entré comme consultant en stratégie chez Deloitte, puis dans un autre cabinet de conseil. Un parcours professionnel tout tracé. Reste que tout cela manquait un peu de sens. « Je passais mes journées à faire des slides, à expliquer aux autres ce qu’ils devaient faire… sans vraiment comprendre pourquoi. Depuis l’école, je courais après l’assentiment des profs puis de mes supérieurs hiérarchiques, me soumettant à toutes les injonctions… conditionné à la compétition, sans savoir où j’allais ni pourquoi. »
Il y a un an, Yazid Arisi découvre les écoles alternatives et l’éducation démocratique, comme un écho au manque de prise qu’il a connu durant son existence.
Le principe des écoles démocratique est de laisser les enfants libres de faire ce qu’ils veulent, sans aucune coercition, sans systèmes de classes répartissant les élèves par âge. « Nous sommes des êtres naturellement apprenants.
On apprend à manger, à parler, sans avoir besoin de cadres stricts ou de « professeurs » ». Dans les écoles démocratiques, les enfants font les activités qu’ils souhaitent, comme ils le souhaitent. La seule limite est que leur liberté se limite là où commence celle des autres. Chaque semaine se tient un conseil d’école où tout le monde décide des choses à faire, collégialement.
« Il y a 2 mois par exemple, une petite fille a demandé l’autorisation de courir dans l’école, qui était interdite jusque là. Elle l’a obtenu à certains endroits. A l’école démocratique de Paris, on promeut la prise d’initiative et le respect des règles, mais en laissant la possibilité de les discuter en permanence. L’idée est de coconstruire le règlement intérieur, comme tout le reste. Il n’y a ni enfants ni adultes. Chacun est un membre et le personnel encadrant à un rôle supplémentaire de facilitateur, qui va aider un enfant qui en exprime le besoin à faire du Finlandais par exemple. L’enjeu n’est pas de solliciter les membres, mais de laisser la motivation intrinsèque des personnes les pousser à faire quelque chose. »
En mai, Yazid Arisi rencontre David Lerebours. En juin il démissionne de son activité de conseil. En juillet, les deux associés trouvent le local et l’école ouvre le 25 septembre 2016 en accueillant 6 membres enfants pour 5 adultes encadrants. Début février 2017, l’école accueille 30 enfants. Le personnel n’a pas vocation à remplir le temps des enfants. « La relation qu’on bâtit avec eux se veut égalitaire, amicale, bienveillante, fraternelle. »
Cette école privée hors contrat doit assurer l’apprentissage du socle commun de compétence et de connaissance. Chaque enfant dispose d’un journal de bord électronique où sont inscrites les activités quotidiennes permettant de rattacher celles-ci aux briques de connaissances qu’ils doivent acquérir. Faire la cuisine par exemple permet de comprendre la question de la proportionnalité. L’enjeu, explique encore Yazid Arisi, est d’encourager les envies, de les accompagner, d’aider à les accomplir. Si un élève exprime l’envie de devenir biologiste par exemple, alors il doit se mettre en mouvement pour passer son bac. Intégrer ses objectifs est un très bon moteur pour les atteindre, alors que la contrainte induit un rapport assez malsain au savoir, explique le professeur. L’envie est un très bon déclencheur.
Yazid Arisi explique ensuite ce que recouvre une journée type.
L’école ouvre à 9h, mais les enfants peuvent arriver entre 9h et 10h30. On demande une assiduité d’au moins 6h par jour. A 11h, on a le conseil de justice, un conseil disciplinaire démocratique qui traite les plaintes, les transgressions aux règlements de la veille. 2 responsables élus pour 6 semaines et 3 membres tournants à partir de 5 ans le président. Ils discutent. Rétablissent les faits. Vérifient si les règles ont été transgressées. On discute de sanction tous ensemble, y compris avec la personne concernée. L’enjeu est d’établir un système de règlement des conflits hors rapports d’autorité. Par exemple, explique Yazid Arisi, j’ai récemment été sanctionné parce que j’avais oublié de faire la vaisselle. Ma punition a été de faire celle de celui qui l’a fait pour moi. Chacun mange quand on veut. Les petits jouent entre eux, font des parcours d’obstacles ou des jeux de rôles. Ils sont complètement autonomes pour leurs repas, et font leur vaisselle. Les plus grands prennent des initiatives, organisent des débats sur Trump qui peuvent conduire jusqu’à des lectures de Sénèque…
« Oui, l’école démocratique accueille plutôt des enfants qui sont en défiance vis-à-vis de l’école traditionnelle, qui ne s’y sentent pas bien. Si l’école les juge en permanence, notre but est de sortir de cet a priori là, afin d’être libre de s’adonner aux activités qu’ils veulent.
Yazid Arisi évoque un autre sujet de polémique : la place des écrans. Pour l’instant, selon le règlement intérieur de l’école, il y a des ordinateurs de divertissement qui ne sont accessibles que le matin et des ordinateurs de travail accessibles librement. Mais tout le monde n’est pas d’accord. Pour les téléphones pour l’instant c’est quartier libre, car ils n’ont été confrontés à aucun problème. Quant à la console de jeu : elle est inutilisée !
L’une des richesses de l’expérience pour Yazid Arisi, c’est l’apport intergénérationnel, l’émulation et la solidarité qu’il génère. Alors que dans l’école traditionnelle la segmentation par âge est très clivante, ici, elle apporte une richesse et des échanges.
Hubert Guillaud
Retrouvez ce compte rendu de journée sur les entreprises libérées sous forme de dossier « Vers des organisations du travail humaines » :
- 1ère partie : croyez-vous dans l’intelligence collective ?
- 2e partie : organisées ou libérées ?
- 3e partie : peut-on appliquer le modèle au-delà de l’entreprise ?
Dernière modification le vendredi, 24 mars 2017