Dans un précédent billet, j’évoquais le cas de ce maire, généreux, soi-disant progressiste, fier d’annoncer qu’il prévoyait d’équiper toutes les classes d’un TBI et d’installer une classe pupitre dans chaque école, affirmant à ses électeurs qu’il faisait entrer les écoles dans l’ère du numérique et de la modernité.
Admettons la bonne foi de cet élu. Admettons que, contrairement à d’autres, il ne recherche pas l’effet d’annonce à des fins électoralistes et qu’il est persuadé que la fourniture de l’outil changera l’école en profondeur et l’inscrira dans le 21ème siècle.
Et pourtant, un tel engagement n’a pas de sens et ses chances d’efficacité sont faibles, des électeurs bien informés pourraient même considérer qu’il s’agit d’un gaspillage des deniers publics, si un plan de formation des enseignants à la transformation de la pédagogie n’est pas organisé simultanément, si un accompagnement des transformations, non hiérarchique, n’est pas prévu, si une campagne d’information des acteurs et de l’opinion publique sur les ruptures nécessaires n’est pas planifié.
La modernisation de l’école doit être aujourd’hui une refondation ce qui impose une reconstruction concertée des programmes, une remise à plat des pratiques d’évaluation, une remise en cause du principe « une heure/une discipline/une classe/un prof », une nouvelle conception de la formation des maîtres.
Je disais que, contrairement à ses convictions, ce maire pouvait, inconsciemment, conforter le maintien de pratiques obsolètes et du règne de l’apparence.
Ce type de problèmes, dangereux, se rencontre fréquemment dans les projets publiés à ce jour. L’incantation et le mirage sont monnaie courante.
Prenons en quelques uns :
- Recréer les postes supprimés… Certes. Indispensable. Mais est-ce pour « faire de la même chose » ?
- Remettre en place la formation des enseignants… Certes. Mais est-ce la même que celle qui a été supprimée ? Et sinon, quels changements fondamentaux dans les contenus et les méthodes sont-ils prévus ?
- Relancer le travail d’équipe et les projets d’établissement… Certes. Mais, sont-ce les mêmes que ceux qui étaient rangés dans les tiroirs après les réunions, chacun faisant ensuite dans la classe ce qu’il a l’habitude de faire ? Et sinon, comment pense-t-on garantir une coopération authentique et la fin de la souffrance des enseignants trop largement minimisée ?
- Changer l’école… Certes. Mais avec les mêmes vieux programmes fortement marqués par l’idéologie libérale et des principes pédagogiques totalement périmés ? Avec la même évaluationnite négative, la plus anxiogène des pays développés ? Sans analyser les causes de l’ennui croissant des élèves ?
- Changer la gouvernance… Certes. Mais en maintenant la lourdeur de la pyramide, les tuyaux d’orgue et des parapluies, les pratiques d’inspection autoritaires et infantilisantes ?
- Réduire la rupture école / collège… Certes. Mais avec les mêmes incantations vaines depuis 30 ans et quelques mesurettes cosmétiques ?
- Renforcer les relations école / familles … Certes, mais comment ? En maintenant un rapport de domination entre les uns et les autres ? En considérant les parents comme des supplétifs de l’éducation ? En réduisant leur rôle à celui de faiseur de devoirs ?
On ne trouve guère de réponse claire et mobilisatrice, ambitieuse et prospective, prenant en compte vraiment les réalités, les découragements, les démobilisations, la perte d’espoir, le scepticisme, la résistance passive, écoutant la résistance active. Le flou domine.
Il existe pourtant des projets éducatifs neufs, courageux et innovants qui ne demandent qu’à être confortés et généralisés
Il existe pourtant des enseignants qui osent, dans un contexte pourtant défavorable[1] qui s’engagent, qui réussissent. Educavox en présente chaque jour. Ils ont besoin d’analyse, de soutien, d’accompagnement et de vraies réformes qui donnent du sens à leurs efforts.
Loin de l’électoralisme et des corporatismes à courte vue, les mouvements pédagogiques ont des réponses aux problèmes et des propositions lucides pour refonder l’école. On ne les entend pas suffisamment.
L’école de Jules Ferry n’a pas écouté Freinet et son intelligence[2]. L’école du 21ème siècle passera-t-elle à côté, ou à contre sens, des travaux de l’ICEM Freinet, du GFEN, du CRAP, d’Education et devenir, de l’AGEEM ? Entendra-t-on leur petite voix étouffée par les groupes de pression ? Entendra-t-on aussi la Ligue de l’Enseignement qui défend l’école depuis bientôt 150 ans et qui porte un projet global, territorialisé, cohérent, inscrit dans un projet de société profondément démocratique[3] ?
Il n’est peut-être pas trop tard pour aller au-delà des incantations et ne pas se satisfaire des mirages.
Mais vous n’êtes pas obligé d’être d’accord.
[1] C’est une constante dans l’histoire de l’école : les enseignants innovants doivent toujours en faire plus, se justifier plus, prouver plus que leurs collègues conformistes. Depuis 2007, c’est pire. Ils sont souvent considérés comme des résistants et victimes de pressions parfois insupportables.
[2] Avec cette idée toute simple, géniale, qui peut s’appliquer à la lecture/écriture, à la grammaire, à toutes les disciplines et à l’usage des technologies nouvelles : pour apprendre à rouler à vélo, il faut rouler. Il n’est pas utile de démonter le vélo d’abord, de mettre des mots et des définitions sur chaque pièce… Principe totalement dénié par les nouveaux vieux programmes de 2008
[3] Voir le manifeste « Faire société » sur le site de la Ligue.