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Les Franciscaines à Deauville (Calvados) accueille une exposition en lien avec le Journal de Julie Manet et la découverte plus récente d’un autre texte de sa cousine Jeannie Gobillard. Près d’une centaine de tableaux dont certains de Paule Gobillard, de dessins et de photographies permettent une étonnante immersion auprès des héritières de l’Impressionnisme dont la jeunesse a été atypique. La fille et les deux nièces de Berthe Morisot ont vécu ensemble cinq ans et ont été en interaction avec Edgar Degas, Auguste Renoir, Stéphane Mallarmé, Camille Pissarro…

L’escadron volant

Orpheline à 16 ans, Julie Manet (1878-1966) est recommandée par sa mère Berthe Morisot (1841-1895) à sa cousine du même âge Jeannie Gobillard (1877-1970) – également orpheline - née chez sa tante. Yves Gobillard-Morisot (1838-1893) s’était installée chez sa sœur et son beau-frère Eugène Manet (1833-1892) après l’internement psychiatrique de son mari.

Julie et Jeannie ont vécu comme deux sœurs avec Paule Gobillard (1867-1946), l’aînée de dix ans. Toutes trois ont été des modèles de Berthe Morisot et de Renoir (1841-1919), et elles ont bénéficié de leurs conseils en peinture.

La première partie de l’exposition a pour sujet la jeunesse des trois sœurs-cousines et est introduite par le Portrait de Julie Manet dit « au chapeau Liberty » - dernier tableau inachevé de Berthe Morisot représentant sa fille – et des photographies inédites.

De 1895 à 1900, le trio vit dans un appartement parisien légué par Berthe Morisot au 40 de la rue de Villejust, l’actuelle rue Paul-Valéry. Très attachée à sa mère, Julie Manet reconstitue un intérieur avec des œuvres de la peintre impressionniste. Il y a aussi des tableaux de son oncle Edouard Manet (1832-1883).

La « dernière des Manet » est très fortunée – davantage que ses propres parents et qu’Edouard Manet. Très généreuse, ses cousines bénéficient de rentes. Toute sa vie, elle est un soutien pour sa famille, ses neveux dans le besoin comme le peintre Augustin Rouart (1907-1997). Grande mécène et collectionneuse d’art, elle va œuvrer au côté de son mari pour faire reconnaître Berthe Morisot par des dons de tableaux à des musées, participer à la rédaction de son catalogue raisonné, et promouvoir également les peintres impressionnistes.

Avant le tournant du siècle, les trois sœurs-cousines mènent une vie indépendante et très artistique. Elles se rendent dans les salons littéraires, font des copies au Louvre, de la musique et voyagent. Mallarmé (1842-1898) – cotuteur de Julie Manet dès 1889 - les surnomme « l’escadron volant », car elles se déplacent rapidement et sont toujours promptes à apparaître ensemble.

Le premier niveau de l’exposition suit la chronologie du Journal de Julie Manet (1893-1899 ; publié en 1979). Dominique d’Arnoult, commissaire d’exposition, propose des rapprochements entre des photographies, les tableaux et le texte de Julie Manet. Des cartels ont pour extraits son célèbre Journal. Elle écrit comme avec un pinceau et confie son attachement à la peinture : « J’adore cet art qui tient à ceux que j’aimais et qui ne sont plus. »

Le trio est choyé par Renoir, une de ses lettres est reproduite. Il se préoccupe de leur santé et leur conseille la marche, la natation.

Pont dans un paysage de Julie Manet illustre sa leçon de peinture sur la ligne d’horizon. Cette aquarelle renseigne aussi un paysage peint par Renoir, en Champagne où le peintre a une maison. L’exposition réunit pour la première fois les deux œuvres peintes au même endroit.

Un portrait de Renoir récemment authentifié

D’autres écrits de Jeannie Gobillard (1894-1901 ; publication en 2021) sont complémentaires, avec des effets de correspondance entre des événements. Plus intéressée par la musique, Jeannie Gobillard joue du piano. Elle a aussi un talent d’écriture et raconte sa passion naissante pour Paul Valéry (1871-1945).

Un espace est consacré à un séjour en Normandie. Julie Manet est émerveillée par Rouen, sa modernité. Elle consacre une vingtaine de pages à cette ville : « La Seine reflète les lumières et le grand coteau se perd dans la nuit. » Elle éprouve un coup de cœur pour l’architecture médiévale et gothique, les petits tramways jaunes et fait des photographies – tout un matériel photographique avec supports et plaques de verre est présenté sous vitrines.

Les sœurs-cousines admirent le port industriel de leur chambre d’hôtel et de la chambre-atelier de Pissarro (1830-1903). L’un des tableaux sur le pont Boieldieu datant de 1896 est exposé dans cette section.

En 1900, Julie Manet se marie avec Ernest Rouart (1874-1942), fils de l’industriel, collectionneur et peintre Henri Rouart (1833-1912). Elle arrête la rédaction de son Journal et ne montre plus que rarement sa peinture. La particularité de ce mariage est qu’il célèbre le même jour l’union de Jeannie Gobillard et de Paul Valéry. Une photo de cette double cérémonie occupe tout un pan de mur.

Portrait de Julie Manet 1899 Huile sur toile Collection particulière Jean Yves Lacôte

Paule Gobillard restée célibataire mène une carrière de peintre après une formation artistique. Elle expose dans des salons et vend quelques tableaux à des institutions publiques. Elle appartient au groupe Femmes Artistes Modernes (FAM). Ses toiles qu’elle qualifie humblement d’anecdotes ont pour principal sujet des moments partagés en famille et sont exposées à la seconde partie du parcours, qui couvre la période après 1900 jusqu’aux années 1930. A ce niveau, deux grands portraits de Julie Manet sont à découvrir dont un portrait de Renoir récemment authentifié, grâce aux recherches de la commissaire d’exposition.

Fatma Alilate

Exposition Julie Manet et ses cousines, La liberté de créer au féminin
Les Franciscaines – Deauville
Commissaire d’exposition : Dominique d’Arnoult
Jusqu’au 11 mai 2025

Légendes photos : Paule GOBILLARD - Madame Valéry et son fils Claude vers 1910 Huile sur toile, Don Claude et François Valéry et Agathe Rouart-Valéry en 1978 Paris, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Petit-Palais
Pierre-Auguste RENOIR - Portrait de Julie Manet 1899 Huile sur toile, Collection particulière © Jean-Yves Lacôte

 

Dernière modification le mardi, 18 février 2025