Je n’en aurais peut-être pas fait un billet si je n’avais constaté que 4 à 500 enseignants du premier et du second degré avaient répondu à l’invitation. A une époque où, chacun en convient, il est très difficile de les réunir, ce simple fait est remarquable et significatif. Syndicats, mouvements, partis politiques observent depuis quelques années, et plus particulièrement depuis 3 ou 4 ans, leur désaffection pour tous les types de réunions consacrées à l’éducation. Même les réunions d’information syndicale sur le temps de travail ont subi une érosion flagrante. Les taux de syndicalisation, déjà faibles, se sont probablement réduits dans le même temps. Même lors d’une réunion récente organisée par un conseil général innovant sur son projet éducatif global départemental, un mercredi après-midi, on avait compté 5 enseignants sur 300 personnes. Seules les manifestations contre les suppressions de postes ont réussi à mobiliser, laissant dans l’ombre la plupart des autres problèmes qui se posent à l’éducation.
On prétend – et on a raison - que les politiques éducatives mises en œuvre ont créé de la démobilisation, du découragement, de l’amertume et ont accru un sentiment de perte du sens du métier d’enseignant. Une certaine baisse de considération dans la société libérale en marche aurait contribué à cette dégradation. Leur conscience professionnelle, elle, demeure, malgré tout et heureusement, très forte.
Je peux témoigner, en parcourant la France pour animer des conférences-débats, que les enseignants du premier degré sont fatigués, lassés, saturés par la déshumanisation, les consignes qui pleuvent sans cesse, l’évaluationnite et le pilotage par les résultats, l’autoritarisme sans précédent, la profusion de paperasse avec cette prétention de fournir « des outils », oubliant que l’accumulation des ces prétendus « outils », toujours présentés dans le sens descendant, est une forme d’oppression et d’infantilisation insupportable. Ceux du collège ne le sont pas moins, exposés à d’autres contraintes[1].
Il est donc difficile de réunir les enseignants hors temps de travail… Et pourtant, à Lens, un jeudi soir, Eric Debarbieux « fait » 4 à 500 participants ;
C’est que, à l’évidence, la violence est actuellement une grande préoccupation, une inquiétude profonde, un facteur de stress. Les enseignants observent une dégradation de leurs conditions matérielles de travail. Le problème des effectifs avec la suppression massive de postes les contrarie à juste titre, mais on sent bien qu’ils sont lucides. Ils savent que deux ou trois élèves de moins par classe en cas de re-création de postes ne suffiront pas pour résoudre les problèmes. C’est la dégradation du rapport aux élèves qui est au cœur de leurs soucis : la transformation de leurs comportements, leurs exigences et leurs révoltes, qu’ils soient en difficulté ou non.
C’est le sens de leur métier qui est en cause.
On connaît les solutions théoriques qu’Egide Royer, chercheur québécois et membre de l’OIVS présente[2] sous le titre « Les sept piliers de la sagesse » : 1. Une responsabilité de toute l’école 2. Des valeurs communes partagées par les membres de l’équipe-école 3. Valoriser la réussite scolaire 4. La punition n’enseigne rien 5. Un environnement paisible et structuré 6. Une évaluation qui soutient l’intervention 7. La valorisation du sur-mesure.
Passer de la théorie à la mise en œuvre est beaucoup plus compliqué car les incantations ne changent rien et les corrections du système aux marges ne peuvent donner que quelques illusions vite oubliées.
Prenons le pilier 1. Il appelle à relancer le beau concept de projet d’établissement. Le projet n’a pas beaucoup de sens s’il n’implique pas que tous les personnels de l’établissement assument collectivement, solidairement, les objectifs fixés, dans le domaine de la vie de l’établissement, du climat, du respect de l’autre, des règles et des valeurs, du vivre ensemble, dans le domaine de la réussite scolaire, dans le domaine de la culture de la connaissance et de l’ouverture, dans la perspective des apprentissages tout au long de la vie… Or, pour passer - du cloisonnement disciplinaire, - de la juxtaposition de pratiques contradictoires, - des divergences sur les devoirs, les sanctions, l’autorité, le rapport même avec les élèves (politesse, respect réciproque des exigences), - de l’absence d’analyse collective des difficultés d’apprentissage, etc. à un vrai projet, la distance est grande et les obstacles sont nombreux. Le problème est d’autant plus aigu que personne n’a appris à travailler en équipe. La formation, quand elle existait, était individuelle, l’évaluation était strictement individuelle, les stages étaient chez un enseignant, dans une classe, pas dans unétablissement et dans une équipe.
Les valeurs et les finalités font l’objet d’incantations dans les préambules des projets mais ne sont jamais opérationnalisés, les pratiques pour les transmettre ou les construire ne sont jamais analysées. Comme s’il suffisait de le dire et de claquer du doigt. La centration sur les disciplines dans la classe demeure, intangible. Ce qui se passe dans la classe voisine, dans les couloirs, ce qui se passe hors de l’école, la vie réelle, est exclu ou ignoré.
Il est certain que les piliers de la sagesse – on peut tous les prendre[3] – sont une solution pour lutter contre la violence et améliorer fortement le vivre ensemble dans un établissement. Encore faut-il qu’ils soient profondément analysés et opérationnalisés, que l’on ne satisfasse pas de quelques accords formels conventionnels[4].
Mais vous n’êtes pas obligé d’être d’accord.
[1] L’exigence de rendement apparent immédiat fait que dans cette classe de 3ème, on a passé l’année à faire de la grammaire et que l’on annonce une dissertation au brevet blanc alors que l’on n’a pas appris à en faire. Cela me rappelle cette prof qui pestait dans un collège quand j’étais encore en activité : « les élèves des écoles du secteur sont excellents en expression écrite, mais qu’est-ce qu’ils sont mauvais en grammaire ». Des profs de bonne foi. Des réalités qui interpellent et qu’il faudra bien « mettre sur la table » car les élèves ne sont pas bêtes, ils ne peuvent pas comprendre et se rebellent. Quel est le sens du projet dans les deux cas ?
[2] Voir la plaquette « La violence scolaire » éditée par la MAIF
[3] Prenons le pilier 4, la punition. Pensons à Janusz Korczak et au principe de la sanction différée, au tribunal des élèves, à l’idée de prévenir les conflits en annonçant les tensions pour se donner le temps d’en discuter… Nous en sommes loin. Les élèves ne comprennent pas les différences de comportements et de méthodes entre les profs d’une même classe. A quand un projet d’établissement affichant un accord sur de telles questions ?
[4] Qui font que le projet est trop souvent rangé dans un tiroir dès son adoption et qu’il n’impacte pas réellement les pratiques dans la classe