Dans le contexte scolaire en France, ces démarches se sont souvent trouvées entravées par l’appréhension de faire entrer dans l’école des contenus, des dispositifs produits par des industries culturelles, dont la qualité pouvait être contestée et qui, institutionnalisés ainsi, risquaient d’apparaitre comme des modèles aux yeux des apprenants. L’école française, à travers le CLEMI, a longtemps orienté les activités d’éducation aux médias autour de l’information, considérée comme un genre médiatique noble car tourné vers le politique, ouvrant ses portes aux journalistes professionnels et favorisant l’apprentissage de ses codes dans les journaux scolaires.
Depuis 2013, un tournant a été pris, mais celui-ci reste profondément ambivalent.
La loi de refondation de l’école a inscrit dans ses missions fondamentales une éducation aux médias et à l’information en centrant les missions pédagogiques sur les dispositifs numériques de fabrication, de publication et de mise en circulation des contenus médiatiques.
Les attentats contre Charlie Hebdo en 2015 et les difficultés de faire respecter la minute de silence, ont motivé la volonté politique de mettre davantage de ressources à disposition des enseignants pour développer une éducation aux médias, à l’image, à la citoyenneté.
Mais les moyens consacrés à la formation des enseignants restent faibles, centrés sur la formation aux outils ; l’essentiel des efforts a pour l’instant été mis dans l’achat d’équipements comme les tablettes. Un dispositif de consultation, une boite noire mobile et certes fascinante, mais qui verrouille de façon inédite l’accès aux couches logicielles et algorithmiques. Or, cet accès est indispensable pour comprendre comment la machine fonctionne, quelles intentionnalités motivent son fonctionnement et quelles répercussions elles ont sur la production et la réception des discours médiatiques. Une approche critique des dispositifs reste un impensé de l’éducation aux médias.
Un autre impensé concerne la place des logiciels qui formatent les pratiques d’écriture et de lecture médiatiques. Face la signature récente d’un contrat de collaboration entre Microsoft et l’Education nationale, il faut cependant s’interroger sur les conséquences du fait que les élèves vont désormais « co-écrire » avec ce fabricant de logiciels. Sans parler du fait qu’à travers les bureaux virtuels et autres outils de gestion dématérialisés, ce ne sont pas seulement les enseignants et les parents qui surveilleront désormais les pratiques des élèves ; c’est à Microsoft que risquent de revenir ces données précieuses sur les processus d’apprentissage.
Quant à l’analyse des contenus médiatiques et à la lutte contre les discours discriminatoires souhaitée par les pouvoirs publics, particulièrement après les attentats contre Charlie Hebdo et contre l’Hypercacher, atteindre de tels objectifs est beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît dans les directives.
Le repérage des stéréotypes ne garantit pas la prise de distance vis-à-vis des attitudes discriminatoires. La compréhension de la place des stéréotypes dans l’industrie culturelle suppose une compréhension du fonctionnement de cette industrie, mais aussi des conséquences des stéréotypes et de leur lien avec la structure sociale elle-même. Cela suppose une acception de l’éducation aux médias et à l’information qui soit transdisciplinaire, ouverte aussi bien sur la sémiotique, la sociologie, l’économie des médias.
Face à ces enjeux, que pourrait-être une éducation critique aux médias en contexte numérique ?
Les sciences de l’information et de la communication constituent le champ de l’éducation aux médias, en tant qu’elles forment des étudiants à l’analyse des phénomènes de communication, et notamment à celle des médias. Il serait difficile d’en déduire que les étudiants soient pour autant toujours armés d’un esprit critique vis-à-vis des industries médiatiques dans leur contexte numérique actuel, tant la fascination des discours marketing est forte.
Nous chercherons à poser des jalons et à tracer des perspectives que pourrait intégrer une éducation critique aux médias qui ne se réduirait pas à une incantation de l’esprit critique, qui tiendrait compte des difficultés à prendre du recul sur des contenus et des dispositifs du fait à la fois de leur extrême proximité et de la grande opacité de leur fonctionnement.
NB : Toutes les séances ont lieu à l’Université Paris 8 (Métro Saint-Denis-Université, ligne 13), en salle A 329 (troisième étage du bâtiment A).
PROGRAMME DES SÉANCES :
Séance 1 — Introduction
Alexandra Saemmer & Sophie Jehel — 18 mars 2016, 14h-17h ;
Séance 2 — Lecture critique des interfaces
Nicole Pignier et Nolwenn Trehondart — 25 mars 2016, 13h30-16h30 ;
Séance 3 —Déconstruction du mythe des digital natives
Anne Cordier et Divina Frau-Meigs — 1 avril 2016, 9h-12h ;
Séance 4 — Quelle maîtrise de l’identité numérique ?
Louise Merzeau et Sébastien Appiotti — 8 avril 2016, 9h-12h ;
Séance 5 — Art numérique, émancipation et créativité
Emmanuel Guez, Arthur Lefevre, Laurence Corroy — 15 avril 2016, 9h-12h ;
Séance 6 — Décoder les algorithmes
Dominique Cardon et Natalia Calderon — 6 mai 2016, 9h-12h.
Accès au site : http://cemticritic.eu/seminaire-pour-une-education-critique-aux-medias-en-contexte-numerique/
Dernière modification le mardi, 15 mars 2016