Smart City+ propose des solutions innovantes pour répondre aux nouveaux enjeux du « Vivre ensemble » en encourageant les dynamiques d’interactions sociales et d’intercréativité dans les domaines de la culture, de l’éducation, de l’économie, de la solidarité et des initiatives citoyennes. « C’est la nécessité qui nous pousse à réinventer le vivre ensemble et à faire avancer des projets comme Smart City+. C’est de l’adaptation darwinienne… » observe Nils Aziosmanoff, président fondateur du Cube.
Véronique Anger-de Friberg :
Votre société Navidis[1] est Lauréat 2012 du Grand Emprunt « Ville Numérique » pour le projet Smart City+, un « outil unique d’échanges et d’informations personnalisées pour tous les habitants et acteurs de la ville » qui ambitionne de « réinventer le vivre ensemble » peut-on lire sur le site internet de Smart City+. Avec ses 5 millions d’euros de budget alloués par le Grand Emprunt-Investissements d’Avenir, Smart City+ est un projet de grande envergure. Comment cet outil va t-il faciliter la vie des citoyens et réinventer la ville ?
Nils Aziosmanoff : En effet, la ville se renouvelle avec le numérique et ce projet, mené sous l’égide de la Caisse des Dépôts et Consignations[2], en sera l’une des grandes vitrines. La région concernée, Grand Paris Seine Ouest[3] (GPSO), représente 500.000 utilisateurs, dont 25.000 entreprises. La plupart des collectivités et des grandes entreprises s’intéressent déjà à ce qui permet d’optimiser la gestion technique, pratique, de la ville (infrastructures, réseaux…) dans le contexte d’une ville qui se densifie et s’interconnecte au monde entier.
Le numérique abolit totalement les notions de temps, d’espace, et nous rend chacun de nous ubiquitaire et omniscient. L’espèce humaine change, et la ville est une sorte de terreau d’humanité en plein renouvellement. La dimension humaine (interactions sociales, solidarité, concertation citoyenne, mutualisation et valorisation de compétences…) et, plus largement, tout ce qui contribue au « Vivre ensemble » restent pourtant encore peu investis dans le contexte de la smart city.
Le projet a démarré il y a plus d’un an et en est au stade de l’expérimentation. La plateforme[4], évolutive et participative, permettra à tous les acteurs territoriaux (particuliers, entreprises, commerces, services publics, administrations, collectivités, associations…) d’accéder à des services d’hyper-proximité. L’objectif de Smart City+ est de proposer des solutions innovantes pour répondre aux nouveaux enjeux du vivre ensemble en encourageant les dynamiques d’interactions sociales et d’intercréativité dans les domaines de la culture, de l’éducation, de l’économie, de la solidarité et des initiatives citoyennes. Les utilisateurs pourront trouver des services pratiques locaux (transport par covoiturage, urbanisme, sécurité, environnement, énergie…), d’achats groupés, des informations locales personnalisées, des services métiers avec des échanges de compétences entre les habitants, des offres d’emplois, des interactions sociales favorisant l’innovation sociale et les débats avec des acteurs économiques, sociaux ou culturels de la région.
Pour résumer : Smart City+ est une plateforme d’échange et de co-création qui permet de profiter des opportunités offertes autour de soi et de développer la qualité du vivre ensemble en créant de nouveaux liens, de nouvelles créations valeur associant mobilité et proximité.
VA : Le Cube, que vous dirigez, est également associé au projet Smart City+. Quel est son rôle excactement ?
NA : Effectivement, le Cube met son savoir-faire au service des futurs usagers de Smart City+, en proposant des formations, un accompagnement, et en participant à l’animation de la communauté des utilisateurs de la plateforme autour de projets culturels et éducatifs.
En tant que centre de création numérique, pionnier en France et précurseur de la smart city, le Cube est un lieu transdisciplinaire, intergénérationnel, et une vitrine de toutes les formes d’art, de création, d’innovation et d’expression numériques. Il est logique qu’il participe au projet Smart City+.
Depuis 2001, le Cube accueille les publics de tous âges et permet d’appréhender le numérique de façon créative au travers d’initiations, d’ateliers et de résidences de création, du débutant au professionnel confirmé.
Nos équipes mettent en œuvre des concepts initiés il y a vingt ans au MediaLab du MIT à Boston (USA). Le Cube fonctionne comme un vrai laboratoire pluridisciplinaire, associant artistes et chercheurs.
On y explore, crée, mutualise ou transpose ce qui a fonctionné ailleurs. Le Cube mène également des actions scolaires de la maternelle au lycée. Il est engagé dans des projets pilotes éducatifs depuis 13 ans, qui mettent en œuvre les outils numériques et les pratiques multimédias. Ces expériences donnent d’excellents résultats et changent la relation entre élève et professeur. Les élèves sont plus solidaires, moins dans la l’ « égo compétitif », davantage dans l’ « égo coopératif » pour citer le philosophe Patrick Viveret. Ce qui est remarquable par ailleurs, c’est que grâce à ces projets le niveau général de la classe progresse dans toutes les matières nous disent les enseignants.
VA : Vous êtes à la fois musicien et passionné de création numérique, est-ce votre profil atypique qui explique votre curiosité pour des disciplines qui, au départ, n’avaient pas grand chose en commun ?
NA : Je suis guitariste en effet, spécialisé en micro informatique musicale. J’ai dirigé un Conservatoire et enseigné à l’INA. J’ai un parcours de musicien à tête chercheuse… Avec mes amis, nous nous intéressions beaucoup au développement du numérique dans les pratiques artistiques, et à cette époque, il n’existait pas de lieu ou de publication répondant à nos interrogations. Nous étions nombreux à nous demander quels seraient les impacts de l’informatique sur nos métiers, sur les modes de conception, de production ou de diffusion. Nous avions l’intuition que la micro informatique allait révolutionner le monde de la création.
Avec l’informatique, l’artiste ne crée plus une œuvre finale, objet unique, fermé, numéroté, mais il crée le système qui crée l’œuvre, en flux, de manière dynamique, ouverte, participative. On parle d’œuvres génératives et comportementales : l’artiste crée le logiciel qui crée l’œuvre –une œuvre relationnelle dotée d’une vie propre et d’autonomie - qui se crée en temps réel en interagissant avec le spectateur. C’est une expérience à vivre, sensible et évolutive.
Avec des musiciens, des graphistes, des chorégraphes, des metteurs en scène, des auteurs, des designers, des informaticiens et des ingénieurs, nous avons décidé de partager nos expériences et de croiser nos visions de ces évolutions. Nous avons créé l’association ART3000 en plein dans la vague de démocratisation de l’informatique domestique, dans les années 1990. Nous organisions des événements artistiques et éditions Nov’Art, une revue en kiosque. Notre réseau a très vite pris une dimension internationale et regroupé des milliers de membres.
VA : Et puis vous avez rencontré André Santini, maire d’Issy-Les-Moulineaux…
NA : . André Santini est venu participer à ISEA2000 (Symposium International des Arts Electroniques) que nous organisions à Paris, avec 500 artistes et chercheurs venus de 30 pays différents, et il a compris qu’il se passait quelque chose d’important dans cette transition numérique des arts et de la culture. Un an plus tard, Le Cube, premier lieu en France dédié à l’innovation sociale et à la créativité numérique, ouvrait ses portes, géré par l’association ART3000 (cf. encadré sur Le Cube en fin d’article).
Avec Le Cube, nous avons ainsi pu mettre en œuvre à l’étranger, notamment en Asie où le numérique occupe une place importante dans l’espace urbain, des concepts difficilement expérimentables en France.
Nous avons découvert les « villes numériques » de Shangaï et de Séoul en imaginant que ces transformations urbaines arriveraient tôt ou tard dans notre pays. Il fallait donc comprendre, anticiper et avoir une réflexion structurée sur cette ville numérique, dans une vision holistique du changement.
Il ne s’agissait pas de limiter notre vision au seul champ artistique, mais de comprendre en quoi la société toute entière était en train de se métamorphoser avec le numérique. C’était un changement systémique et anthropologique : tout allait être bouleversé…
Depuis treize ans, nous produisons des études, livres blancs, articles, conférences, mais aussi créé des événements de référence tels que le Cube Festival, festival international des arts numériques dans l’espace urbain, ou Le Prix International de la Création Numérique, qui aura cette année un partenariat fort avec la Chine. Avec Le Cube, nous explorons la ville réenchantée grâce au numérique et aux nouvelles formes d’interactions sociales, et nous testons des applicatifs concrets comme par exemple Smart City+, avec toujours en fil rouge : la ville numérique et la « vie » numérique.
VA : On vit cette métamorphose aujourd’hui ! Vous étiez des visionnaires… et des innovateurs de rupture en osant parler d’art « numérique »…
NA : Oui, nous avons un peu bousculé le milieu artistique de l’époque en ouvrant un « centre de création numérique ». Cet « ovni » culturel a heurté une vision alors assez conservatrice du milieu artistique. Il y a 20 ans, nous revendiquions totalement cette association, contre nature pour certains, de « création numérique ». C’était de l’innovation de rupture, vous avez raison. Avec le numérique, nous pouvons raconter le monde différemment, mieux en comprendre la complexité. Même si l’on sent que le monde change, il n’est pas facile d’avoir une vision holistique des interrelations, les artistes et designers sont très forts pour exprimer ces mutations dans des représentations sensibles et partageables.
VA : Mais il faut une vision à 360°…
NA : C’est vrai qu’il faut une vision à 360° ! Personnellement, je crois qu’il y a deux lignes de force très puissantes à l’oeuvre. Elles sont opposées et complémentaires !
La première concerne les machines qui pensent, les robots : les systèmes intelligents... qui vont gérer le monde. Pour vous donner une idée, les serveurs du CEA de Saclay, dont la puissance de calcul est d’un million de milliards d’opérations par seconde, seront dépassés d’ici à trois ans, quand les machines réaliseront un milliard de milliards d’opérations par seconde ! Pour le philosophe Jean-Michel Besnier, l’Homme est en train de se fondre dans la machine à qui il va progressivement tout déléguer. Il parle de société dépressive, qui n’a plus pour projet que de se sublimer dans la puissance technologique, avec le risque de dépendre un jour des machines. Il y a évidemment des côtés attractifs (assistance, disparition des tâches pénibles…) mais aussi négatifs (dépendance, perte de contrôle…).
L’autre force est incarnée par l’intelligence collective, le « ensemble ». Comme le rappelle Joël de Rosnay, l’histoire du vivant démarre quand les cellules ont commencé à se rassembler pour constituer des organismes vivants. Dans Le cerveau planétaire[5], il décrivait déjà des êtres humains interconnectés grâce aux ordinateurs et aux satellites formant un cerveau planétaire. C’est ce qu’on voit apparaître depuis quelques années…
Si nous ne voulons pas d’une société asservie aux machines qui pensent, totalementtaylorisée, il faut replacer l’humain au centre d’une dynamique collective, participative et co-créative. Nous devons nous adapter en nous alliant. C’est, finalement, une jolie promesse… Si nous parvenons à respecter un équilibre entre ces deux forces, nous vivrons peut-être dans le meilleur des mondes ! C’est donc la nécessité qui nous pousse à réinventer le vivre ensemble et à faire avancer des projets comme Smart City+. C’est de l’adaptation darwinienne…
*Nils Aziosmanoff est président fondateur du Cube, centre de création numérique qui compte parmi les plus réputés d’Europe, président fondateur de Navidis, qui développe des solutions numériques pour la smart city (lauréat 2012 du Grand Emprunt « Ville Numérique » pour le projet « Smart City+ »), et président fondateur de Yesday, agence de conseil en projets numériques complexes. Président d’ART3000, association pionnière en France dans le domaine des arts numériques, il a dirigé ISEA2000, le Symposium International des Arts Electroniques, événement de référence de la scène numérique internationale. Musicien, ancien directeur du Conservatoire de musique et de danse de Jouy-en-Josas, il a enseigné la micro informatique musicale à l’Institut National de l’Audiovisuel (INA), ainsi qu’à l’Institut International de l’Image et du Son (IIIS).
Animateur des Rendez-vous du Futur (web TV interactive) il accueille régulièrement des personnalités autour des enjeux de la société numérique : Jacques Attali, Claudie Haigneré, Joël de Rosnay, Bernard Werber, Serge Tisseron, Etienne Klein, Jeremy Rifkin…
Lire sa bio complète :http://www.cuberevue.com/nils-azios...
Dernière modification le jeudi, 07 décembre 2017