Fondateur de l’Institut Pédagogique National créé par l’ordonnance du 23 octobre 1956, Louis Cros avait voulu qu’il soit un Etablissement public d’administration doté d’une personne morale de droit public et d’autonomie financière, ce qui lui conférait une certaine autonomie par rapport à son ministère de tutelle.
Il précise la place occupée par l’IPN dans la réforme de l’éducation nationale : la multiplication « des échanges et des contacts entre les maîtres des divers degrés comme entre l’enseignement et les autres activités nationales ».
Si le Centre national de documentation pédagogique, CNDP, créé en 1932 était un lieu où se font des études pour informer, perfectionner, diffuser, comparer qui, au terme du décret du 6 décembre 1936, « sont à la disposition du Ministre, des administrations et des personnalités accrédités »[1], en 1959 la fonction de l’IPN qui lui succède a vocation d’être un lieu d’échanges entre les maitres, donc de contacts directs entre les acteurs de l’acte d’enseigner ; il doit être aussi un lieu de contacts entre l’enseignement et les autres activités nationales [2].
En 2010, Francine Best, Directrice honoraire de L’INRDP[3], et Annette Bon, Directrice Adjointe de l’INRP, rappelaient l’affirmation de Louis Cros en 1959 :
« L’Institut pédagogique national facilite les études et recherches pédagogiques qu’il appartient aux maitres en exercice de concevoir et d’exécuter… Il doit être l’œuvre du corps enseignant tout entier et c’est pourquoi l’IPN n’a pas été conçu comme une institution autoritaire, appelée à déterminer et imposer une doctrine pédagogique…Il apparait comme un instrument mis à disposition des maitres pour leur permettre de faire entre les diverses doctrines, les méthodes et les outils pédagogiques et didactiques, un choix libre, mais éclairé.[4] »
Pour être au plus proche des « maitres », cet établissement crée des espaces locaux : « des centres régionaux ou départementaux peuvent sur proposition des recteurs et inspecteurs d’Académie être constitués.[5]. Le centre régional ou départemental est administré par le recteur ou l’inspecteur d’académie qui délègue sa responsabilité à un fonctionnaire responsable, il dépend financièrement des services de l’IPN qui a les compétences d’un Etablissement public d’administration avec une ouverture vers d’autres activités nationales.
Un des centres régionaux réalisa ce projet et anima pendant vingt ans 1964/1984 des groupes d’enseignants de l’école élémentaire et de l’enseignement secondaire qui répondaient à un fait social enkystant les apprentissages et les comportements, la place de la culture audio visuelle dans l’éducation et la transmission des connaissances par des techniques matérielles et psychosociales de l’information.
L’étude de ce Centre régional montre les difficultés de mise en œuvre mais aussi la réussite de cette régionalisation. La première difficulté fut d’ordre administrative : faire accepter que des pratiques pédagogiques innovantes non répertoriées mais respectant les contenus des programmes échappent aux évaluations conçues pour la performance du système. En s’appuyant sur des associations existantes proches de son centre d’intérêt[6] et des associations de parents d’élèves, en collaborant à des volontés politiques locales, en créant des événements culturels, en informant les plus hautes assemblées, le centre parvient à obtenir une fragile reconnaissance administrative qui lui permit de se développer.
Dans l’esprit de Louis Cros, le centre régional[7] soutint les acteurs de terrain. Dans le cadre administratif existant, il négocia des dérogations appuyées administrativement, il chercha des ressources propres auprès d’associations et d’entreprises et les mobilisa autour de son projet, il créa des lieux de rencontre entre les acteurs eux-mêmes et les scientifiques qui s’intéressaient à l’expression de leur vécu quotidien et à sa diffusion, il soutint le développement de réseaux d’échange par la publication et les moyens des nouvelles technologies (le modèle de correspondance Freinet[8] était une référence) et porta au plus haut niveau politique les expérimentations en cours. La mise en œuvre de cette finalité demande que l’enseignant et le personnel d’un établissement ait la possibilité de construire un discours argumenté sur son vécu pour avoir une communication horizontale entre collègues, pour débattre des pratiques, pour échanger avec les auteurs des différentes doctrines et méthodes scientifiques.
Si l’origine des pratiques était le local, avec le personnel d’un établissement comme ancrage, l’espace d’influence ne correspondait pas aux territoires administratifs. Les échanges, les analyses faites par les acteurs de terrain eux-mêmes donnèrent une prise de conscience forte de la place de ces moyens d’information souvent à but culturel dans la transmission des connaissances. Ils permirent aux élèves avec leurs maitres d’établir un dialogue entre ce qu’ils savaient par leur pratique des médias et ce que leur apportait la transmission des connaissances enseignées. Ils confortèrent la représentation de ces pratiques multiples en répondant à la performance du système par les réussites scolaires et l’appui des associations de proximité. Ils créèrent des espaces qui se définissaient par des finalités et des affinités.
Pourquoi cette pratique de terrain initié par un établissement public d’administration ne dura que 20 ans ?
La structure de soutien l’IPN devenu CNDP puis INRDP ne pouvait jouer un rôle de régulateur entre l’autorité hiérarchique et les acteurs de terrain car elle conservait malgré les objectifs énoncés par Louis Cros la fonction d’experte apte à fournir de la documentation pour le ministère : Le rapport de Louis Legrand en ait un exemple, le développement progressif de secteurs spécialisés en son sein avec ses spécialités académiques (sociologie, psychologie…) et factuelles ( Télévision, radio, informatique..) faisaient écran à une relation directe avec le terrain comme le font les études commandés à des laboratoires de recherche qui abandonnent leur vocation première, la recherche, pour répondre à des commandes publiques et privées sous forme d’étude.[9]
L’engagement volontaire des acteurs de terrain ne correspondait pas à des statuts administratifs gérés par les corps d’inspection et défendus par les syndicats.
De ce fait, ces novateurs qui ne voyaient pas leur investissement reconnu s’épuisèrent généralement au bout de quatre ans. Ils avaient plusieurs choix. A la suite de la co-formation au cours des rencontres scientifiques, certains acceptèrent en fonction de leur compétences la possibilités d’entrer dans un laboratoire de spécialité, comme psychologie, sociologie, sciences de l’ingénieur, dont l’objectif n’était plus la complexité de l’acte mais une approche de l’acte à partir d’un point de vue disciplinaire, d’autres eurent la possibilités de s’intégrer dans de jeunes équipes universitaires qui considéraient que les propos du praticien sur son vécu [10] étaient un objet de recherche scientifique et qui l’accompagnèrent pour qu’il trouve la meilleure voie pour l’expliquer et en transmettre une formalisation sans renoncer au caractère aléatoire, pluriel de l’action en situation. Devenus universitaires, les uns et les autres utilisèrent leur acquis pour enseigner et accompagner des thésards.
Cependant, le plus grand nombre abandonnèrent les pratiques novatrices et se conformèrent aux directives concernant leur statut : ils vécurent ce moment difficilement en allant même jusqu’à des tentatives de suicide ou en choisissant une autre orientation professionnelle.
Ainsi les établissements où ces novateurs exerçaient virent leur ressources humaines les quitter ou renoncer à l’innovation pédagogique et didactique dans l’établissement.
L’histoire des « rapports entre la recherche dans les collèges et la recherche dans les institutions régionales entre 1953 et 1983 »[11] montre qu’à elle seule la gouvernance administrative ne peut être le seul acteur qui agit sur l’éducation même si les acteurs de terrain ont besoin de cette structure pour exercer.
La tentative de ce centre régional ne put que rester marginal par rapport à la gouvernance administrative, en effet le travail pédagogique et didactique des enseignants ne correspondait pas aux directives administratives bien que répondant à des attentes ministérielles. Ce premier paradoxe vécu par les enseignants eux-mêmes en recelait un second : l’espace géographique d’influence ne correspondait pas à une territorialisation administrative, de ce fait l’évaluation de la performance échappait aux normes de la gestion administrative et au secteur syndical.
Cette marginalisation explique le processus de démobilisation des enseignants répondant à un fait social au sein d’un établissement scolaire.
Pourtant ces actions pédagogiques, didactiques étaient productrices de connaissances cognitives dans une période d’une mutation technique de la transmission des connaissances (la vérité énoncée par le media vaut-elle le contenu d’un enseignement ?) et des comportements (les récits fictionnels violents présentent-ils des comportements acceptables ?).
Résoudre cette fuite de ces praticiens conscients des mutations de leur époque est une priorité pour que l’établissement d’enseignement évolue en fonction de son environnement cognitif sans modifier la finalité humaine de la transmission et de l’éducation.
En prenant deux cadrages simplificateurs, remédier aux causes de cet échec peut être traité dans deux domaines : la formation du personnel et les territoires.
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Pour laisser au lecteur la possibilité de choisir le thème qui l’intéresse en priorité, nous avons divisé l’article, « ils souhaitent : Bonne gouvernance de l’éducation ? », en six thèmes :
1- « Gouvernance publique ? » : une explicitation de cette expression.
2- " Eduquer, Transmettre, enseigner pour qui "?
3- « L’expérience quotidienne des acteurs de terrain et la gouvernance d’une Education Nationale ».
4- « Gouvernance et Expression singulière des acteurs de terrain ».
5- « La gouvernance de la formation des acteurs de terrains »
6- « Le territoire de la gouvernance publique et les territoires des acteurs de terrain.»
Les propositions contenues dans ces textes résultent d’une analyse des interventions des acteurs politiques, des textes législatifs et des circulaires du Ministère de l’Education nationale de 1953 à 2016. Ces références ne sont pas présentées ici, car la finalité de cet article est une synthèse de ces études et d’expériences professionnelles vécues.
[1] Décret du 6 décembre 1936
[2] Jeannel A. La recherche dans les collèges et la recherche dans les institutions régionales entre 1953 et 1983 , Thèse d’Etat Es lettres et sciences humaines, Université de Bordeaux 1985. pp 60 61.
[3] L’INRDP succéda à l’IPN.
[4] Best F. et Bon A. : « L’INRP, un démantèlement scandaleux », L’activité éducative, n°489, 4 décembre 2010
[5] Articles 8, 10, 12, 13 du décret du 18 janvier 1955.
[6] Desvergnes M. Université de la communication, une équipée de 1950- 2015, La ligue de l’enseignement. 2015.
Entretien avec Marcel Desvergne, Délégué général de l’Université d’été de la communication, « 25 ans de l’Université d’été de la communication », Réalisation A. Braun et A Dassé, ligue de l’enseignement, 2015.
[7]La Borderie R. « Objectifs de l’I.C.A.V. » Messages 7-8 CNDP crdp Bordeaux, 1975, pp.5 à 10
[8] La Gerbe revue créée par Celestin Freinet en 1927
[9] Jeannel A. La recherche dans les collèges et la recherche dans les institutions régionales entre 1953 et 1983 , Thèse d’Etat Es lettres et sciences humaines, Université de Bordeaux 1985. pp 62 64 et pp267 274.
[10] Jeannel A. « Hommage à Jacques Wittwer » Educavox 2015.
[11] Jeannel A. La recherche dans les collèges et la recherche dans les institutions régionales entre 1953 et 1983, Thèse d’Etat Es lettres et sciences humaines, Université de Bordeaux 1985.
Dernière modification le mercredi, 04 janvier 2017