Pourtant, cette apparente facilité à gouverner achoppe sur des tensions qui se créent entre les différents partenaires concernés par ces choix. La rationalité du programme académique tient au fait d’une volonté politique qui décide de la finalité de l’éducation et de l’enseignement et qui s’appuie sur des résultats de la recherche scientifique et d’études commandées à des laboratoires.
Ces choix politiques mettent en tension les milieux scientifiques du fait qu’au sein du monde universitaire des débats contradictoires existent et que privilégier une tendance au profit d’une autre est créateur de conflits. Par ailleurs, le passage de la donnée scientifique à une norme administrative oblitère la dimension de sa genèse pour en donner une application normative. Cet effet de réduction de la connaissance est illustré par deux exemples qui ont agité le siècle précédent, celui de la méthode globale et celui de la mathématique dite moderne.
Ils créent une zone d’incompréhension au sein des générations, plus particulièrement celle des parents des élèves, qui ont une représentation bâtie au cours des politiques précédentes de la fonction des institutions d’éducation et d’enseignement.
Ils font partie d’une politique gouvernementale marquée par des tendances idéologiques qui marquent de leur sceau les différents secteurs de l’activité de l’Etat, comme celui de l’économie dont les entrepreneurs ont des demandes en matière de qualification et de compétence pour leurs futurs collaborateurs.
Cet état de fait peut se régler par une décision autoritaire qui génère « l’école buissonnière » dans son sens historique[1]. Si une autre voie est choisie, se pose la question de la gouvernance : comment le pouvoir politique et les autres pouvoirs vont-ils collaborer ?
Il s’agit bien d’une question de gouvernance publique; un organisme doit évaluer les enjeux de chaque protagoniste pour les rendre intelligibles et proposer une inter compréhension de leur rôle. Cet organisme indépendant a un rôle de conseil de surveillance du bien fondé de chacune des parties en présence : il fait partie de l’apport du concept de gouvernance publique dans une éducation nationale. A une époque où la demande politique est de territorialiser les choix éducatifs et cognitifs en en donnant la compétence à des assemblées régionales délibérantes, cet organisme de régulation conserve tout son intérêt quand le mode électif demeure le même au niveau national et au niveau territorial.
Dans l’espace éducatif, la donnée du programme académique est un point de vue disciplinaire de l’objet traité. Dans la relation pédagogique et la transmission didactique, cette réduction de la complexité de la « réa-lité »[2] est un point d’ancrage qui provoque chez les apprenants de multiples interprétations. Celles-ci prises en compte permettent la découverte de la place de la proposition du programme parmi un tout et de l’utilité de la réduction proposée par une notion attachée à un domaine disciplinaire.
La formation de l’éducateur de terrain nécessite que soit mise en situation l’articulation entre la relation humaine partagée avec les apprenants et les directives du gouvernement, notions à transmettre et sélection de comportements. Comprendre cette finalité, c’est mettre en synergie deux éléments constitutifs de l’éducation nationale, d’une part un cadrage univoque résultat de la gouvernance du ministère prenant en compte des éléments institutionnels formels et des ressources informelles instituées, d’autre part une pratique aléatoire, autonome[3] et multi-référentielle, celle de la relation pédagogique et de la transmission didactique dans la réalité des espaces d’apprentissage.
Cet éducateur en a eu déjà l’expérience : la plus évidente est celle de sa propre expérience quand élève, apprenti, étudiant, il était dans la situation de l’apprenant. L’analyse de ce récit lui permet de saisir les enjeux qu’il mettait en actes à cette époque. Ce travail sur les vécus d’élève, d’apprenti, d’étudiant fait prendre conscience de la tâche à assumer ; il traite des moments d’émerveillement devant la connaissance acquise et des souvenirs douloureux des dérives constatées.
Pour éviter ces dérives propres à l’isolement des praticiens et à l’autonomie des acteurs de terrain, la compréhension et la pratique de l’éthique de l’altérité[4] sont nécessaires. Cependant elles ne sont pas suffisantes si les contextes ne sont pas assimilés : compréhension du système de la gouvernance qui leur donne cette autonomie, apprentissage des notions juridiques qui font l’Etat de droit, méthodes et pratiques de la vie collective appliquées plus particulièrement aux dynamiques des groupes qui créent solidarité entre les membres du personnel et régulent les déviances toujours possibles quand le praticien demeure solitaire.
L’acquisition de la synergie de ces domaines permet que la régulation des pratiques appartienne aux acteurs de terrain puisqu’ils sont eux-mêmes en permanence les décideurs du choix de la conduite à avoir au sein des situations aléatoires de l’éducation et de l’enseignement. Elle complète la formation académique nécessaire mais non suffisante de l’ensemble d’un personnel d’un établissement d’enseignement.
Ces différents aspects de la formation font partie de la gouvernance publique puisqu’il s’agit de donner les cadres qui en rendent possible la mise en œuvre quand les différents groupes de pression agissant sur la décision publique ont été évalués par un conseil indépendant. Mais cette gouvernance ne saurait régir les espaces relationnelles de la transmission comportementale et cognitive pour les raisons qui viennent d’être exposées.
Cette tension entre ces deux postures explique les difficultés rencontrées pour une définition de la finalité des Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education en France qui est tributaire de l’histoire politique créant une éducation nationale pour institutionnaliser une cohérence nationale univoque qui avait remplacé une instruction faite pour conforter un régime monarchique.
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Pour laisser au lecteur la possibilité de choisir le thème qui l’intéresse en priorité, nous avons divisé l’article, « ils souhaitent : Bonne gouvernance de l’éducation ? », en six thèmes :
1- « Gouvernance publique ? » : une explicitation de cette expression.
2- " Eduquer, Transmettre, enseigner pour qui "?
3- « L’expérience quotidienne des acteurs de terrain et la gouvernance d’une Education Nationale ».
4- « Gouvernance et Expression singulière des acteurs de terrain ».
5- « La gouvernance de la formation des acteurs de terrains »
6- « Le territoire de la gouvernance publique et les territoires des acteurs de terrain.»
Les propositions contenues dans ces textes résultent d’une analyse des interventions des acteurs politiques, des textes législatifs et des circulaires du Ministère de l’Education nationale de 1953 à 2016. Ces références ne sont pas présentées ici, car la finalité de cet article est une synthèse de ces études et d’expériences professionnelles vécues.
[1] Lamarana Petty Diallo M., Enjeux et avatars de l’enseignement du français en république de Guinée : contexte historique, aspects pédagogiques, perspectives de rénovation, Atelier national de la reproduction des thèses, Bordeaux 1991 : l’auteur y décrit une pratique rappelant les écoles luthériennes du 16ème siècle, en Guinée pendant la période 1968-1984 avec « l’école sur les balcons ».pp 357 361.
[2] Morin Ed, l’ère planétaire, la pensée complexe comme méthode d’apprentissage dans l’erreur et l’incertitude humaine (avec Raul Motta, Émilio-Roger Ciurana), Balland, 2003, p.58
[3] Autonome opposé à hétéronome.
[4] Jeannel A. « Quel recrutement pour les ressources humaines de l’Education Nationale ? », Educavox septembre 2016
Dernière modification le mardi, 10 janvier 2017