Année | Taux de retour |
2012 | 58 % |
2014 | 58 % |
2016 | 36 % |
Il est donc nécessaire de prendre conscience que des réponses n’ont été recueillies que provenant d’un peu plus d’un tiers des personnels sondés et qu’il paraît donc impossible d’en tirer des leçons définitives. Il y a fort à parier, en effet, que les deux tiers restants ne constituent pas, c’est un truisme, le bataillon des plus enthousiastes à l’observation du changement de l’école avec le numérique.
Comme en 2014, le ministère met en avant les statistiques valorisantes, celles qui vont dans le sens de l’action publique. Une iconographie nous présente tout cela, voir ci-contre, qui ne met en avant que des considérations assez vagues et évidentes — 70 % des sondés constatent (sic) par exemple que le numérique permet une meilleure scolarisation des élèves malades ou handicapés. De même, nous indique-t-on, 70 % (en fait, 69 %) des sondés sont d’accord avec le fait que le numérique dans les pratiques pédagogiques induit des changements dans la manière d’interagir avec les élèves.
Il aurait été intéressant de savoir quels sont ces changements, on ne le saura pas. Déjà, en 2014, j’avais noté :
« On peut s’étonner que les maîtres volontaires pour répondre ne soient pas questionnés, ou alors de manière très indirecte, sur les modifications posturales qui peuvent naître du choix d’une pédagogie numérique et de nouvelles modalités pour enseigner. »
Je m’arrêterai là pour revenir plus loin sur une observation déjà notée il y a deux ans en rapport avec le titre de ce billet. Soyez patients.
Le toujours curieux vocabulaire
Une curiosité bienvenue peut être notée : les enquêteurs, bien conseillés, ont enfin réussi à se débarrasser des acronymes abscons Tic et Tice (à la notable exception du dispositif PrimTice et du nom même de l’enquête Profetic). Il n’était pas trop tôt, réjouissons-nous !
Pour le reste, j’ai noté qu’on s’essayait enfin à modifier sensiblement le vocabulaire convenu et à parler de pratiques (de classe, pédagogiques, du numérique, avec les élèves…) à la place de l’insignifiant « usages » mis parfois à toutes les sauces. Mais les corsets ne sont pas aisés à délacer et on peut encore lire les habituels clichés du discours institutionnel sur le numérique. Ce dernier est d’emblée compris comme matériel, outillage, informatique (!), équipements qualifiés d’usuels… On interroge pour savoir si on utilise ou pas, si les élèves utilisent ou pas… Le numérique n’est jamais là, présent, il reste à distance, comme quelque chose d’étrange ou d’étranger à l’école, on l’intègre ou pas, on l’introduit (!), on en fait usage (ne jamais oublier, c’est une base !), on en tire des bénéfices mais jamais on ne se l’approprie. Dommage !
Le recours à autrui
La question qui est posée ci-dessous est bien celle du recours à autrui pour ce qui concerne la pédagogie. Les aspects techniques — je ne suis pas certain qu’il faille les séparer des aspects pédagogiques, mais bon… — ont fait l’objet d’une question préalable.
Les chiffres ci-dessus ne sont guère différents de ceux observés il y a deux ans. Deux nouveautés cependant : les sites ou blogs personnels ou associatifs (soudain, le ministère s’aperçoit qu’ils existent alors que ça fait presque vingt ans qu’ils rendent d’inestimables services) avec un score très honorable, d’une part, le réseau Viaéduc d’autre part. Que dire à propos de ce dernier sinon que, plus de deux ans après sa création, on n’est pas très loin du formidable et retentissant échec ? Sans professionnel capable de prendre en charge l’animation des communautés d’enseignants pionniers, sans aucune réactivité lors des grands événements d’actualité, sans la capacité à valoriser les contenus qui y sont produits, pouvait-on attendre mieux ?
Mais le pire est juste au-dessus, la deuxième ligne à partir du bas. J’avais déjà noté cela il y a deux ans (1) en parlant des inspecteurs et rien n’a changé depuis :
« Seuls 2 % des professeurs interrogés font appel à leurs corps d’inspection pour des problèmes pédagogiques ! C’est dire le peu de confiance dont ils bénéficient… »
C’est tout de même la leçon principale de l’ensemble de cette enquête : on y apprend tout de go que, concernant la manière dont « l’école change avec le numérique », les corps d’inspection du second degré, en charge de mettre en œuvre la politique éducative du pays, d’évaluer les personnels et la manière dont cette politique change le système éducatif, ne servent strictement à rien. Ou presque !
Ce n’est pas compliqué, les personnels, concernant la mise en œuvre de la pédagogie, la manière dont cette dernière peut s’imprégner du numérique, les modifications substantielles des postures et des apprentissages, ne font rigoureusement aucune confiance à leurs inspecteurs, ne leur accordent aucun crédit et préfèrent s’adresser à leurs pairs ou même au réseau Canopé, dont l’influence grandit, à n’en pas douter. Quelle gifle ! Incapables de se transformer, à l’heure du numérique, en animateurs de communautés d’enseignants en ligne (2), incapables, tels des chefs d’orchestre, d’animer la réflexion pédagogique autour des pratiques professionnelles nouvelles induites par le numérique, incapables donc d’apparaître comme d’utiles et pertinents conseils ou recours, ils continuent à travailler comme au millénaire dernier, distillant à l’occasion de trop rares rencontres ou réunions un discours vertical et institutionnel décalé, à des années-lumière des préoccupations du terrain.
J’avais tenté, dans le billet déjà cité en référence, de lister les raisons qui peuvent expliquer un tel dysfonctionnement du système. Je ne souhaite rappeler que ce qui me semble être la raison principale de ce manque absolu de confiance :
« [Pour un professeur] demander des conseils à son inspecteur, c’est à la fois se placer dans une posture difficile et, quand il s’agit du numérique, porteur d’innovation, c’est prendre un risque considérable à la fois pour la mise en œuvre de son projet comme pour la poursuite de sa carrière. »
On leur avait pourtant dit, aux cadres pédagogiques, que l’école changeait avec le numérique. S’en sont-ils aperçus ? L’ont-ils vu ? On peut sérieusement en douter.
Les enjeux sont absents
Il convient, pour terminer, de faire rapidement un point sur la formation. On n’apprend pas grand chose qu’on ne savait déjà :
- l’auto-formation est la règle ;
- la formation initiale est… affligeante ;
- la réflexion sur les enjeux, pourtant centrale, est absente.
Pour l’essentiel, en effet, ces formations, qu’elles se déroulent en établissement ou dans des stages dits académiques, consistent à apprendre à maîtriser les techniques, les outils ou les ressources qui sont présentés. C’est bien mais très largement insuffisant, tant en volume qu’en qualité. Sans doute, là encore, l’absence d’impulsion de la part des corps d’inspection y est-elle pour quelque chose, ces derniers concentrant généralement leur action sur des formations strictement disciplinaires dont le numérique est délibérément exclu.
Bien entendu, cette enquête, si elle aborde les problèmes de certification, ce dont tout le monde se fiche un peu, ne pose aucune question sur la manière dont sont recrutés ou formés les formateurs ou référents numériques (3).
Rendez-vous en 2018. Ou en 2017 pour parler premier degré.
Michel Guillou @michelguillou
Michel Guillou, « École et numérique : mais… à quoi peuvent donc bien servir les inspecteurs ? » in Culture numérique, 16 novembre 2016, https://www.culture-numerique.fr/?p=55
Dernière modification le jeudi, 05 janvier 2017