Certes la question de cette institution dans la Nation a été posée à propos des remous suscités par les refus ou les remous autour de la minute de silence. Toutefois, on a minimisé la question.
Progressivement on est passé de 70 cas à 300 cas actuellement. Ils sont graves ; dans une école élémentaire de Seine-Saint-Denis, 80 % des élèves d’une classe ont refusé cette minute de silence. A ces refus, il faut ajouter les insultes et les passages à tabac qui continuent avec la sortie du numéro de « Charlie Hebdo des survivants » ou ces jeunes qui ont fait le V de la Victoire dans nombre de quartiers ainsi que les apologies recensées sur Facebook. « Ils n'ont pas le droit de se moquer du prophète », écrit l'un. « Ils n'avaient pas qu'à se moquer de notre religion », enchaîne une autre. «Ils l’ont bien cherché, on récolte ce que l’on sème à force de provoquer…» ajoute un troisième. « Tant pis pour eux, comme ça, ils n'écriront plus c'est dur d'être aimé par des cons! », en référence à une Une de Charlie de 2006 caricaturant Mahomet « débordé par les intégristes ».
Nombre d’élèves ne se reconnaissent plus actuellement dans les valeurs de la République.
Même si on peut être conscient que ces jeunes ne font que répéter ce qu'ils entendent par ailleurs, cela signifie qu’ils n'ont pas acquis à l’école le respect de la liberté d’expression ou plus simplement le respect de l'autre qu’on ne tue pas parce qu’on n’est pas d’accord. Cette question n’est pas récente, depuis plusieurs années nous mettons en avant les difficultés que rencontrent enseignants et directions d’établissement, impuissants, car laissés trop seuls jusqu’à présent, pour faire face : refus d’aborder la Shoa en histoire, récusation de la théorie de l’évolution en SVT ou encore rejet de participer à des activités de groupe mixte. Dans plusieurs évaluations effectuées en collège ou lycée, nous avons plusieurs fois soulevé les menaces ou les insultes que rencontrent des élèves de la part d’une petite minorité très agissante qui tente d’imposer d’autres valeurs.
L’école, en première ligne.
Sans dire que l'école est coupable car on est face à une minorité, les réactions observées ci-avant et le parcours des trois criminels montrent que l'école a failli ; en tout cas elle est fortement impliquée. Ces barbares assassins ne sont pas venus d’ailleurs cette fois, ils sont passés par notre école. Celle-ci les a exclue, or l’exclusion est le terreau de la désespérance ; surtout elle ne leur a pas transmis ni les valeurs de notre République, ni le moindre esprit critique. Certes, ils ne sont jusqu’à présent que trois… Mais combien d’autres –on dit plus d’un millier- sont partis faire le Djihad en Afghanistan, en Syrie et en Irak.
Le ministère a enfin pris conscience de la gravité du problème. Toutefois, il ne sert à rien que la Ministre fasse des annonces qui ne sont pas suivies par une mise en place sur le terrain ou que nos politiques continuent à répéter « laïcité, laïcité, laïcité » au point d’en faire un mot valise… Certes les nouveaux programmes d'enseignement moral et civique (ECM) peuvent être renforcés, mais pas seulement par des textes en sus... C’est une autre culture de l’école qu’il nous faut insuffler. Les savoirs citoyens ne devraient pas être cantonnés dans la seule sphère de l’histoire-géo que les profs. abordent souvent de façon secondaire quand ils ont bien avancé les autres programmes. Le « vivre ensemble » est l’affaire de toutes les disciplines ; dans notre société contemporaine mondialisée traversée par l’individualisme et la consommation, il est à promouvoir avant les maths…
De plus, arrêtons d’aborder l’ECM de façon éthérée ; cette éducation se doit d’être en prise directe avec le vécu des élèves. Elle doit les mobiliser dans des pratiques au sein des quartiers ou dans des actions humanitaires de part le monde, et pour commencer dans un engagement, dans des responsabilités au niveau de l’école. Oui ! Il existe un Parlement d’enfants, des Conseils municipaux de jeunes, des prix contre le harcèlement, l’égalité des sexes ou des fondations pour la philanthropie, ce sont des opérations « bonne conscience » qui ne touchent qu’un nombre restreint de classe ou d’élèves. Les questions de tolérance, d'égalité, de violence, d’intégrisme doivent être abordées au quotidien. L'école se doit de se saisir en permanence de l’actualité, elle ne doit pas rester frileuse par rapport aux médias ou aux réseaux sociaux.
Nombre d’expériences sur le terrain ont déjà été tentées, elles s’avèrent plus pertinentes quand elles existent dans la durée, quand elle font partie du quotidien de l’école : conseil de classe type Freinet, actions de médiation, éducation à la gestion de conflits, échanges réciproques de savoirs, etc.. Pourquoi ne pas mieux les partager pour les généraliser ?
Toutefois, on est là dans un premier pas. L’éthique, c’est-à-dire un travail de clarification des valeurs, notamment des valeurs de la République, est à introduire dans les programmes dès l’école maternelle… Par exemple, la liberté d’expression n’est pas absolue, elle est limitée par la loi… Nombre d’enseignants hésitent à aborder ces questions car la discipline n’est programmée qu’en terminale ou à cause d’une certaine conception de l’éducation –elle est affaire de la famille[1]- et même de la laïcité qui renvoie à la neutralité.
La fonction implicite de l’école
Mais encore faut-il s’interroger sur la fonction réelle de l’école actuelle, sur la place faite à l’élève et les effets collatéraux de certaines pratiques habituelles. Au delà des beaux discours, il nous faut prendre conscience que notre école est actuellement très inégalitaire, comme l’ont démontré les évaluations PISA. Sans doute la moins inclusive en Europe. Elle produit de l’ennui, du désintérêt ; surtout et c’est cela qui est dramatique, elle fait perdre la confiance et l’estime de soi à nombre d’enfants, d’adolescents qu’elle finit par exclure du système scolaire, et par là de toute vie sociale.
L’école globalement n’a toujours pas su réagir ; seuls quelques enseignants ou quelques directeurs bien isolés y parviennent. Ces jeunes en déshérence, ces « laisser pour compte »[2] sont prêts à suivre n’importe quel gourou ou prédicateur. Car on ne peut pas dire que la pédagogie islamiste soit très attirante par rapport à celle de l’école. Elle est encore plus archaïque et frontale, mais elle sait créer l’illusion chez ces jeunes « paumés » de rencontrer des certitudes, d’aller se battre pour une cause, et par là de (re)trouver identité, confiance en soi et projet de vie.
Il y a là un point fondamental à discuter de façon objective et apaisé ; il demeure tabou parce que l’école malgré la mise en place d’un « Ministère de l’Education Nationale » reste toujours inféodée à un Ministère de l’Instruction. On n’ose toujours pas explicitement permettre à chaque élève de « travailler sa propre personnalité », de faire émerger sa propre identité au sein de la Nation. Une pédagogie humaniste doit désormais aller résolument dans ce sens, nombre de propositions et de documents pour la classe ont déjà été produit pour y parvenir[3].
Un tel projet éducatif renvoie à la connaissance de soi, à la prise de conscience et à la valorisation de son potentiel, à l'amélioration de sa qualité de vie et à la réalisation de ses aspirations et de ses passions, etc. Il comprend un « travail » sur soi pour améliorer ses performances scolaires (apprendre à apprendre pour mieux mémoriser, communiquer, s’organiser, gérer son temps,..), une prise de conscience de son rapport au Savoir, à l’école ou à la culture, et une transformation de soi, à la fois pour se défaire de certains aspects négatifs (phobie, anxiété, timidité,..) et aller vers de meilleures confiance et estime de soi et vers une clarification des valeurs que l’on souhaite porter.
Sur tous ces plans, se pose en premier la question de la formation des enseignants et des cadres de l’éducation (directeurs, conseillers, inspecteurs..). Rien ne peut se faire si ceux-ci ne s'approprient pas une ECM vivante, si les valeurs -celles de la république, celles de la démocratie, celles du vivre ensemble- ne font pas explicitement partie de la culture de l’école, encore moins s’ils ne sont pas formés à accompagner l’émergence d’une personne. Ce sont ces questions « vives » que devrait traiter en priorité une Commission de l’Education.
[1] Bien sûr l’éducation reste l’apanage des familles. Toutefois dans une société complexe où la famille est souvent dépassée, on ne peut plus faire l’impasse d’une synergie famille-école.
[2] N’oublions pas qu’ils sont plus de 150 000 par an. Heureusement que tous ne sombrent pas dans la délinquance ou l’intégrisme.
[3] Voir par exemple le site Ecole changer de cap : http://www.ecolechangerdecap.net