1- Zone de non droit
Avec les vestiaires d’EPS, les toilettes sont le lieu privilégié du harcèlement scolaire ou des règlements de compte entre élèves. A l’abri du regard des adultes, la plupart du temps, ils constituent un ensemble de lieux cachés propices à ces infractions aux règlements intérieurs et à la citoyenneté. Certains ou certaines, vont même jusqu’à essayer de regarder des camarades sur le trône, non pas pour louer le roi ou la reine mais bien pour l’humilier. D’autres, vont se réunir pour se moquer d’un ou une élève, à plusieurs, dans une mise en scène de RDV secrets et scénarisés.
C’est également le lieu préféré pour les bêtises sans être vu, juste pour le plaisir de les faire et d’embêter la communauté : laisser couler les robinets, boucher les cuvettes avec du papier toilette, faire des graffitis, cacher des objets, fumer…
Idéal lieu de triche aux contrôles et aux examens, le WC est préférable à la « bidoche » cachée dans la trousse ou dans la manche. Combien d’élèves auront tenté de dissimuler cahier ou manuel, voire une simple feuille roulée façon parchemin, derrières les canalisations ou les faux plafonds, tout cela afin d’assurer une note correcte à son évaluation ? Les élèves peuvent être de fins stratèges et sont très créatifs, de quoi rendre jaloux les anciens Est-allemands qui tentaient de rejoindre l’Ouest. Lors des épreuves du DNB, les sorties aux toilettes sont réglementées, hautement surveillées, vérifiées par des personnels munis de talkies Walkies, verrouillées, voici bien la preuve que l’endroit n’est pas neutre.
2- Zone d’angoisses
Les toilettes sont sources d’angoisses multiples pour nos élèves. Entre les verrous qui ne fonctionnent pas, les portes qui ferment mal, le papier toilette manquant, le savon parfois inexistant et les papiers absorbants qui sortent par paquets de 12 feuilles, les élèves peuvent s’y rendre avec une certaine angoisse.
De plus, et encore à cause de cette fichue pandémie, la règlementation a l’accès à ce trône usuel s’est durcie. L’entrée y est limitée à une quantité raisonnable d’enfants, les autres faisant la queue en se tortillant, tout cela en 10 ou 15 minutes, soit le temps d’une récréation qu’ils passent à penser à leur vessie. Certains établissements, ont déposé les papiers toilettes à la vie scolaire, afin de limiter les flux (d’élèves évidemment). Aussi, à chaque besoin, les élèves doivent-ils aller réclamer le précieux papier aux surveillants. Une angoisse de plus pour l’élève qui se voit offert deux frêles feuilles roses alors que son envie du moment nécessite le double, d’où un sourire gêné en attente d’un petit surplus.
3- Zone de confidences
Parfois, les élèves s’y retrouvent, copains et copines s’associent pour échanger sur leurs amours ou leurs peines de cœurs. Encore, lorsque les émotions les submergent, pour une raison ou pour une autre, c’est bien naturellement que les élèves se précipitent aux toilettes, pour se cacher des yeux des autres, vider ce trop-plein d’émotions et en confier l’objet à l’ami.e qui accompagne alors. Ces confidences de tracas familiaux, sociaux, financiers, perturbant l’élève, passent par l’oreille de l’ami confident et terminent bien souvent dans l’oreille du CPE, de l’Infirmière scolaire et du chef d’établissement. Mieux qu’un confessionnal ou qu’un canapé de psychologue, le WC est le réceptacle de la merde qui vient salir leurs vies et leur bien-être scolaire et personnel.
4- Zone de chantage éducatif
Lorsque l’on est professeur, et je l’ai été, on ne voit pas d’un très bon œil, l’élève qui demande à sortir du cours pour aller aux toilettes. Pourquoi ? Parce que cela dérange le déroulement du cours, que l’enseignant soupçonne parfois un prétexte fallacieux pour faire autre chose, parce que la responsabilité de l’enseignant est engagée et que ce départ le met en danger. Nous sommes toujours dans la crainte que l’élève s’échappe et sorte du collège, qu’il fasse une bêtise, qu’il essaye de communiquer via son portable, qu’il se fasse du mal…
Ce sont toutes ces craintes qui font que l’enseignant peut être amené à refuser la sortie de l’élève. Pour se protéger et le protéger.
Oui mais, l’élève qui a réellement besoin de sortir pour uriner ou autre et qui n’en n’a pas le droit, est alors obsédé par ce besoin naturel (idem pour les jeunes filles qui subissent leurs menstruations et qui craignent les fuites), il ne pense plus qu’à cela, il prépare alors mentalement sa stratégie pour accéder rapidement aux toilettes à l’intercours, soit en 5 minutes chrono, afin de ne pas être en retard au cours suivant et donc de se faire réprimander à nouveau ou être exclus du cours pour retard injustifié. Il n’a donc pas du tout la tête à son apprentissage pendant toute cette attente douloureuse. Aussi, l’argument du « tu perturbes le cours et tu vas louper 5 minutes » n’est pas viable puisque l’enfant ne sera pas présent mentalement au dit cours.
Depuis quelque temps, l’état d’hygiène des toilettes scolaires est un objet de réunions d’équipes, de conciliabules et de prise en compte du climat scolaire. Ce lieu doit être propre et agréable mais également sécuritaire car il répond aux « besoins » fondamentaux des élèves et contribue à son bien-être et ainsi qu’à l’image qu’il a de son collège et de ceux qui le dirigent. Autant de problématiques qui concernent chaque membre de la communauté éducative et dont on parle peu car taboues et secondaires. Et pourtant…
Delphine Roux