Un flux constant d’informations brèves et de débats aux explicitations limitées par l’horloge rend difficile une écoute réellement active. Les propos tenus sur les chaines de télévision et de radio donnent alors libre cours à toutes interprétations auxquelles les habitudes culturelles et les réactions personnelles suggèrent un sens. Ces interprétations évoquent des acquis, elles ravivent la résonance de passés tragiques. Elles créent un malaise quand elles apportent la conviction que le propos tenu fait fi des leçons des historiens, des sociologues, des psychologues et des philosophes.
La solution à toute crise serait la relance économique ?
Cet objectif a un coût humain et nécessite l’exploitation de nouvelles richesses minières. Il serait nécessaire d’en faire une évaluation en analysant les conséquences des systèmes économiques et géopolitiques mis en place.
Cette relance correspond à une conception de l’homme et de la femme, elle implique aujourd’hui des notions morales, éthiques, scientifiques, juridiques et environnementales et elle ne peut éviter de poser les questions de la protection juridique et sociale de l’ensemble des populations et de la reconnaissance des différences multi factorielles.
Quand il est question d’une scolarité débutant à trois ans et allant jusqu’à l’âge de seize ans, la réponse du système d’enseignement n’est-elle pas de donner à l’adolescent au cours de sa scolarité les enseignements et la formation qui lui permettent de pouvoir répondre à cette question ?
La réponse, par exemple dans le domaine industriel des technologies numériques, nécessite d’étudier du point de vue éthique la relation entre les dirigeants des groupes de production, les employés de ces groupes, les exécutants de la sous-traitance et les utilisateurs consommateurs à partir de la documentation existante qui est riche quand elle n’est pas censurée.
Une relance par une économie liée à une certaine idéologie qui exclut tout débat avec d’autres modèles amène à entendre des propos tel que celui qui suit.
« il faudrait un plan Marshall pour relancer la construction, etc … ».
Nous sommes en droit de nous demander si ces propos ignorent le contenu du plan Marshall. Leur auteur n’envisage pas les conséquences perceptibles presque trois quart de siècle plus tard du modèle qu’il imposa à l’Europe. Il est même possible de constater une « servitude volontaire » aux choix qu’il imposa. Si Jean Fourastié a considéré que ce plan donna à la France une période qu’il appela « les trente glorieuses », il s’interrogea cependant sur de possibles conséquences négatives.
Le mal viendrait-il des idéologies portées par l’enseignement universitaire basé sur la controverse ?
Le bien serait-il alors avec les classes préparatoires à vocation univoque et basées sur la compétition ?
Ce thème qui concerne l’ensemble des curricula devrait analyser les histoires de vie des hommes et les femmes qui ont suivi l’un ou l’autre des cursus, les types d’apport des uns et des autres pour les générations présentes et futures, les réalisations des uns et des autres en fonction de leurs conséquences sociétales, les différents apprentissages du vivre ensemble qui oppose la confiance et l’altérité à la concurrence et à la défiance épistémique et stratégique.
Il faut s’interroger sur des choix politiques qui favorisent la préparation à ces écoles plutôt qu’à l’Université.
Rabelais a déjà abordé ce thème dans son œuvre. Mais a t on encore le temps de lire ou relire Rabelais ?
Le choix d’un régime autoritaire à parti unique, voire totalitaire, réussirait-il mieux en temps de crise qu’un régime démocratique ?
Cette question qui fait suite à certains propos entendus dans les média, rappelle toutes les catastrophes engendrées par les régimes totalitaires, catastrophes humaines avec les génocides, sociétales avec la destruction des liens sociaux allant jusqu’à la disparition d’ethnies, destruction des ressources de la terre. Il suffit de lire les historiens.
La décision politique prise dans un cabinet sans témoin et sans publicité se limitant à informer sur les procédures décidées correspondrait-elle à la méthode la plus efficace en temps de crise ?
Dans l’espace public (1978) Jürgens Habermas a parfaitement explicité les changements de la politique anglaise à partir de la fin du 17ème siècle quand les processus décisionnels furent publiés par des témoins, la décision devint plus efficace car elle fut mise en débat au sein de la société civile : un réel contre pouvoir se créait alors et les régimes totalitaires étaient évités.
Une priorisation en fonction de l’âge serait-elle nécessaire en matière d’accès à la prévention, exemple à la vaccination, une priorisation serait-elle nécessaire en matière de recours aux soins de réanimation ?
Ce tri au sein d’une population pourrait rappeler l’eugénisme, ensemble des méthodes et pratiques visant à sélectionner les individus en se basant sur leur patrimoine génétique, leurs particularités, leurs potentialités. A l’opposé de cette démarche sélective on pourrait relire utilement les travaux se référant aux apports de l’intergénérationnel et de l’enrichissement par les différences.
Autre question émergeant en temps de crise : Une industrie pharmaceutique privée concurrentielle et un recours à des spécialistes cooptés dans des comités ad hoc serait elle la réponse la plus efficiente ?
Ce serait oublier le rôle de la sécurité sociale qui était la base de notre système de santé au 20ème siècle. Elle fut l’œuvre des membres du Conseil National de la Résistance (1943-1945) et d’un ministre du travail Ambroise Croizat, issu du mouvement syndical de la métallurgie CGTU (1945-1947). Le développement de « l’accouchement sans douleur » par exemple, qui se détache des pratiques médicalisées est l’œuvre de praticiens gynécologues et du soutien de la maison des métallurgistes qui aboutit à la création de la maternité des Bleuets en 1950.
La volonté de contextualiser les quelques questions citées ci-dessus, parmi des centaines d’autres, ne doit pas occulter la vie que fut ce temps de pandémie où les peurs et les informations hors d’une communication humaine développèrent angoisse et doute.
Dans cette période, il apparaît plus que jamais nécessaire de s’interroger sur l’histoire de la démographie médicale et la progression des zones de « désert médical ».
Il faut s’interroger sur les conséquences du numérus clausus des facultés de médecine basé sur un concours dont les modalités sont largement contestées. La pénurie des médecins de premier recours est particulièrement préjudiciable dans le traitement de cette pandémie où il importe de se préoccuper de « l’Humain » et non de se limiter à de simples actes de technique spécialisée.
Les approches intégrées en médecine, coordonnées et pluri- professionnelles ne peuvent avoir pour modèle les méthodes sectorisées rappelant celle de la production industrielle du 19ème siècle.
Les choix politiques tels que la mise en œuvre de la tarification à l’activité T2A (2005), le plan Hôpital (2007) et la loi HPST « Hôpital, Patients, Santé, Territoires » (dite loi Bachelot, 2009) ont été largement assimilés par la plus grande partie des acteurs de la santé comme une consécration de « l’ Hôpital Entreprise ».
Ces réformes successives ne sont pas sans conséquences sur le traitement de la pandémie.
Une mise en perspective du rapport sur l’Assurance Maladie d’Olivier Véran, commandé en 2015 et publié en 2017 avec l’article « Une autre histoire de la Sécurité Sociale » des sociologues Bernard Friot et Christine Jakse parue la même année en 2015 dans Le Monde diplomatique permet de dégager les lignes du débat sur les différentes orientations.
Cette période de pandémie a introduit de nouveaux questionnements et un panel de réactions de différente nature. Pour intégrer ces phénomènes dans une pratique démocratique, il est nécessaire de disposer de temps à la fois pour acquérir des connaissances, se documenter, et conduire une analyse dans des débats contradictoires et pluriels.
Les implications en sont importantes dans le domaine de la programmation des enseignements puisqu’elle prépare l’avenir de la population.
Ces réactions à des interrogations entendues doivent-elles être considérées comme des élucubrations ? Résultent-elles d’une éducation dont les maîtres ont toujours réfuté la pensée unique en exposant leurs controverses pour faire progresser la science tout en contestant les « recherches de diversion »?
Ces enseignants avaient le souci de considérer la connaissance scientifique comme réfutable, ils confrontaient le résultat à la possibilité d’un retour à la situation initiale et prenaient en compte les effets de résilience de l’acte lui-même. Ils avaient le souci que les écarts épistémiques ne se creusent pas au sein d’une population, et militaient pour que les savoirs de chacun soient reconnus.
Mais faut-il prendre tout cela au sérieux ?
Certains penseront qu’il s’agit de mauvaises réponses qui risqueraient de diffuser de fausses nouvelles. Cependant, les historiens nous apprennent que sans réflexion sur les déontologies des acteurs et sans ouverture vers les controverses sur l’éthique, les états totalitaires naissent et les démocraties disparaissent.
Alain Jeannel
Dernière modification le samedi, 03 avril 2021