Des évaluations du système
La table des matières est d’abord un listage systématique des objets d’évaluation au sein d’un système scolaire. Bien sûr cette liste s’ouvre par l’évaluation des élèves. C’est sans doute la première et la plus ancienne pratique évaluative au sein de l’école. Vient ensuite l’évaluation des enseignants, celle des établissements, celle des systèmes éducatifs, celle des politiques publiques. L’examen des objets d’évaluation se termine par celle des dispositifs. On n’est plus ici sur une globalité, un niveau du fonctionnement du système, mais sur une partie. Depuis les années 80, à partir du ministère Savary, des « réformes » passent non pas par des modifications générales, mais par des « expérimentations », ou des « exceptions », un autre fonctionnement admis par rapport au fonctionnement ordinaire.
En complément, un portrait des évaluateurs, inspecteurs et surtout des différents organismes produisant de l’évaluation du système au sens large. Et enfin une longue et passionnante analyse de ce qu’est ou ce que sont les évaluations.
Un modèle d’interrogation
Pour chacun de ces chapitres on retrouve un même modèle d’interrogation. L’auteur commence par définir l’objet en question, et souvent par l’histoire sémantique d’un des termes importants du sujet. Concernant l’évaluation de l’élève, il s’agira de « noter ». Et donc dès l’entrée on a la liaison avec l’histoire des pratiques, et toutes les ambiguïtés du mot, une bonne réserve d’interrogations. Ensuite on a l’entrée historique, avec les recherches de l’origine historique de cette évaluation, ce qui peut faire bouger quelques certitudes concernant quelques évidences partagées. Puis vient l’étude des différentes formes, les tentatives, les ratées. Ainsi pour l’évaluation des élèves, Dominique Odry évoque la naissance en France de la docimologie, et des tentatives de remplacer les épreuves scolaires par des tests. Et le chapitre se clos sur l’état actuel des débats et des connaissances sur cette question.
Ce procédé est en soi très intéressant, mais il permet également de voir comment les différents objets se sont succédés historiquement, et comment ils s’articulent entre eux, ou dépendent au moins en partie les uns des autres.
A quoi sert l’évaluation ?
Question classique, mais aussi bien utile.
Sans doute que la première réponse, y compris historique est celle du contrôle de l’autre. Evaluer c’est se donner une emprise sur l’autre. La notation est un exemple frappant. La note permet de juger, de séparer les uns des autres, de prendre des décisions concernant la circulation dans le système (l’orientation scolaire). Mais si l’on prend les tests, l’origine du premier test d’intelligence, le Binet-Simon, répond à la question d’une commission de l’éducation nationale : comment distinguer facilement les enfants capables de suivre un enseignement scolaire et ceux qui ne le sont pas ? L’évaluation, c’est ce qui permet, ce qui autorise, ce qui fonde une décision sur l’autre.
Mais vient un autre sens, un peu plus tard. L’évaluation est un retour d’informations pour soi-même et qui permet d’ajuster son action. C’est la notion de feed-back qui fera fureur avec la cybernétique puis l’analyse de système. On retrouve cette idée dans la notion d’évaluation formative, qui ne rentre pas dans la préoccupation du classement, mais dans celle de l’apprentissage. Et on voit qu’au fur et à mesure de l’évolution du système scolaire et de sa complexification, les unités, à la fois dépendent de plus en plus les unes des autres, mais développent également des capacités à agir indépendamment. La notion de projet peut alors se développer. Si bien sûr le système central a besoin de les évaluer pour les « contrôler », il a aussi besoin que les pilotes de projet soient en capacité de prendre des décisions. Aussi le pilote (au sens général) a besoin d’avoir accès à des évaluations, mais aussi d’en produire afin d’ajuster le développement du projet.
Dans la conclusion de ce livre riche, apparait il me semble une troisième réponse : la recherche du sens. Cette troisième interrogation est produite par l’introduction du public. L’auteur rappelle le slogan de la CFDT : « L’école, c’est l’affaire de tous » qui cherchait alors à sortir des questionnements syndicaux, et pas seulement, de l’enfermement institutionnel. Pour ce qui nous préoccupe ici dans ce livre, l’école concerne tout le monde.
Et l’auteur interroge en concluant son livre :
« L’évaluation doit-elle être l’affaire de tous ?
On a vu que les pratiques évaluatives sont d’une variété considérable, de l’utilisation d’outils d’évaluation formative par un enseignant à l’analyse comparative de l’efficacité des systèmes éducatifs, si ce n’est le questionnement du sens même de notre école. Ces pratiques prennent comme objet soit les personnes, les individus, soit les actions, les dispositifs, les politiques, bref ce qui a trait au collectif. Alors que l’on soit professionnel de l’éducation, enseignant ou cadre, usager, ou même simple citoyen, il faut s’en emparer. Et cela ne peut se faire que si on n’identifie pas l’évaluation au simple contrôle, mais bien plutôt à la recherche de sens. Dit autrement, il ne faut pas laisser l’évaluation aux évaluateurs ! » (pp. 301-302)
Tertiariser le questionnement : en sortant du duel institutionnel on ouvre au questionnement infini du pourquoi et du pour quoi.
[1] https://www.editionsmardaga.com/catalogue/levaluation-systeme-educatif/
Bernard Desclaux
Article publié sur le site : http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2020/09/03/levaluation-un-analyseur-de-systeme/