Le collège comme lutte des corps
Le collège transforme l’enfance en adolescence. Les corps se transforment avec des phases différentes entre garçons et filles. C’est la lutte des corps, silencieuse et parfois bruyante et violente. Mais il ne s’agira pas ici de celle-ci.
L’aile gauche de la macronie[2] lance un thème scolaire pour la présidentielle avec la tribune dans Le Monde : Anne-Christine Lang : « La réforme du collège est un enjeu de société majeur »[3]. Paul Devin, actuellement le président de l’Institut de Recherches de la FSU, a réagit par une autre tribune cette fois-ci sur Médiapart[4].
Évitons pour commencer de reprendre le constat d’échec du collège dressé par Anne-Christine Lang, mais relevons que cet échec serait dû à une absence d’intervention sur ce chainon du système qui se serait centré sur les deux bouts, le primaire d’un côté et le lycée de l’autre. Amusant que tout le travail de détricotage, réalisé par Jean-Michel Blanquer, de la réforme du collège lancée sous le ministère de Najat Vallaud-Belkacem soit ainsi totalement oublié, à moins que cet oubli ne le dédouane de cet échec. Cet « échec » n’est pas aussi soudain comme nous le verrons.
Voyons les remèdes évoqués.
Anne-Christine Lang affirme : « Les difficultés sont identifiées depuis longtemps : elles sont dues à une erreur dans la conception même du collège, construit dès l’origine comme un petit lycée dont il a calqué le fonctionnement et l’organisation, alors qu’il aurait dû être pensé comme le prolongement naturel de l’école primaire. » Pour proposer une solution il faut d’abord identifier une cause, et la voilà en toute simplicité, c’est la « fragmentation des horaires et des disciplines ».
Dès lors on peut « procéder à une réforme structurelle majeure, en repensant le collège en profondeur. Notre proposition consiste à prolonger au collège le fonctionnement de l’école primaire, à mettre en place une transition graduée vers le lycée, à créer un corps unique d’enseignants de l’« école du socle », (…). » Le collège devient une grande école, et surtout on crée un nouveau corps enseignant englobant les professeurs des écoles et les enseignants du collège, amputant ainsi le corps des PLC.
D’où une réaction de Paul Devin, ancien inspecteur de l’Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU, actuellement président de l’Institut de Recherches de la FSU qui publie un billet sur son blog de Médiapart, qu’il intitule : « Réforme du collège : toujours les mêmes lubies ! »[5]
Paul Devin le dit sans ambages : « En fait, ressurgit dans cette tribune un vieux projet, maintes fois énoncé par les Républicains qui voudrait fondre en un seul corps les professeurs des écoles et les professeurs de collège. » La défense s’organise donc autour des disciplines essentielles, de leur différenciation, mais aussi autour du temps de travail. Le temps de travail serait accru par des missions d’éducations réclamée par Madame Lang, et Paul Devin s’y oppose par un argument … : « Entendons-nous bien, nous ne refusons évidemment pas une dimension éducative de l’école mais nous faisons le choix de la construire au travers des connaissances et non pas par une éducation comportementale. »
Un vieux champ de bataille syndicale
En faisant quelques recherches on retrouve quelques traces dont on ne retiendra qu’un exemple. D’enquêtes en enquêtes, les résultats de PISA tombent, et ceux-ci sont catastrophiques pour la France. En 2014, Terra Nova un think tank proche du PS publie un rapport[6] qui part du constat : « l’écart s’accroît entre les élèves les plus faibles, de plus en plus nombreux, et les meilleurs, dont l’importance numérique tend à se réduire. » Parmi ses propositions, il y a la « fusion des corps » qui va déclencher de multiples réactions[7]. Nous n’en retiendrons que quelques-unes.
Le Café pédagogique propose un énorme dossier titré « L’offensive Terra Nova »[8] qu’il présente ainsi : « Ce texte recommande la fusion des corps de professeurs des écoles et de certifiés et la création d’une « école commune » regroupant école primaire et collège. Une formule qui rappelle « l’école du socle » que les auteurs soutiennent avec une argumentation vigoureuse au nom de la démocratisation du système éducatif. »
Dans l’Express, Claude Lelièvre prend l’occasion « de revenir sur les péripéties de l’histoire éducative en la matière »[9]. Il rappelle que depuis la création du collège d’enseignement secondaire par Charles de Gaulle en 1963, la bataille syndicale s’est jouée autour de la création d’un corps unique rassemblant les instituteurs et les professeurs de collège, ou de créer un corps unique de professeurs de collège et de lycée. Jusqu’à présent, c’est la deuxième solution qui l’a emporté, ce qui correspond à maintenir la vieille différence des deux ordres, primaire et secondaire.
La loi de Refondation de l’Ecole[10], est votée en juillet 2013 après un long débat notamment autour d’une forte liaison entre école et collège. Vincent Peillon, le ministre de l’époque, se trouve en grande difficulté avec la mise en œuvre de la réforme des rythmes scolaires et va être remplacé. Terra nova relance donc le débat avec son rapport.
Mais est-ce le bon champ de bataille ?
A l’occasion de ce rapport j’avais publié un article sur mon blog au titre clair : « L’orientation, terra incognita de Terra Nova »[11] Il s’agissait pour moi de relever un point aveugle des propositions du think-tank : le silence sur l’orientation. Et la même surdité est à pointée concernant la tribune de Territoires de progrès.
En 2009, François Dubet et Christophe Paris avaient publié une tribune pour Le Monde[12]. Ils écrivaient :
« Nous ne sauverons pas le collège unique si nous n’avons pas le courage politique de nous attaquer à la contradiction dans laquelle il se trouve aujourd’hui : celui d’être à la fois un lieu d’accueil pour tous les publics, avec une grande hétérogénéité sociale et scolaire, et un lieu de sélection chargé de faire émerger une élite, qui suivra ensuite les meilleures filières du lycée et de l’enseignement supérieur. Un lieu où chaque enfant est censé trouver sa place, mais où il fait l’expérience de la compétition. » Ils engageaient à une réflexion sur deux axes. Dans la réflexion sur l’organisation du collège, il s’agit d’imaginer « que chaque professeur enseigne plusieurs matières, ce qui aurait notamment pour effet de donner aux enseignants plus de temps avec chaque élève et de repenser profondément la manière d’enseigner ? » L’autre piste concerne « l’obsession évaluative ». Mais on reste encore sur une dimension pédagogique. Comme si les enseignants pouvaient modifier d’eux-mêmes leur pratique pédagogique dans un système qui leur impose de participer à la sélection-orientation des élèves.
Dans mon dernier post[13] j’évoquais la distinction de Henri-Wallon entre une démocratisation individualiste et une démocratisation par l’élévation de tous. Le débat pour le collège n’est toujours pas tranché, et les enseignants se trouve toujours coincés dans un paradoxe pragmatique, faire acquérir le socle commun à tous les élèves et en même temps les différencier pour justifier la répartition-orientation à la fin du collège.
Que ce soit le corps primaire ou le corps secondaire qui l’emporte, si rien n’est remis en cause pour ce qui concerne la fonction du collège et non simplement son organisation, ce corps sera toujours soumis à la tension du paradoxe entre unir et différencier.
Bernard Desclaux
http://blog.educpros.fr/bernard-desclaux/2022/02/23/le-college-loublie-du-systeme/
Dernière modification le jeudi, 03 novembre 2022