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Le baccalauréat nouveau est annoncé. Sa première session débutera en 2020, lorsque les actuels élèves de troisième seront scolarisés en première et se présenteront aux épreuves anticipés de français, puis, en 2021, avec celles de fin de "classe de maturité" (puisque c'est ainsi que dans le lycée également réformé on se propose de nommer les actuelles classes terminales).

Voilà plus d'un demi siècle qu'on dénonce les effets néfastes du baccalauréat : un coût exorbitant, une lourdeur excessive due au trop grand nombre d'épreuves externes que les candidats doivent subir, un mois de juin largement amputé du fait de la mobilisation de personnes et locaux qu'il provoque... et tout cela pour un diplôme dont il est fort peu tenu compte pour le passage dans l'enseignement supérieur, la majeure partie des décisions d'orientation étant prises avant la publication des résultats du baccalauréat. Ajoutons qu'en passant progressivement à 80% d'une tranche d'âge parvenant à s'en doter, et compte tenu du taux annuel de réussite qui est désormais supérieur à 90%, la valeur individuelle de ce diplôme s'est progressivement amoindrie.

Force est cependant de constater que, depuis les années 1960, chaque fois qu'un Ministre de l'Education nationale à osé se lancer dans un projet de réforme en profondeur de ce monument historique, il a au mieux accouché d'une "réformette", certains y ayant même payé le prix fort d'une carrière politique brisée.

Loin de nous l'idée de considérer la réforme qui vient d'être présentée comme étant négligeable.

C'est indéniablement la plus importante qui ait été produite depuis plus d'un demi siècle. Nous ne reviendrons pas sur ses grandes caractéristiques, désormais largement connues. Notons cependant qu'en ramenant le nombre des épreuves externes à quatre au lieu de douze en moyenne aujourd'hui, en installant le contrôle en cours de formation à hauteur de 40% de l'évaluation globale et donc en remplaçant en grande partie l'aspect "couperet" final de l'actuel baccalauréat par une évaluation plus soucieuse de juger les candidats sur la durée de leurs apprentissages au lycée, en redonnant du sens à cet examen par rapport aux modalités de passage dans le supérieur puisque désormais près de 80% de l'évaluation globale au baccalauréat seront inscrits dans les dossiers de candidatures, en créant une épreuve dite de "grand oral" qui vient opportunément rééquilibrer le jugement porté sur les candidats dans un système jusque... Tout ceci est la marque d'une forte et très significative évolution qu'il convient selon nous de saluer.

Par contre, nous souhaitons dans le présent article mettre le doigt sur deux questions, fondamentales à nos yeux, que cette réforme n'aborde pas :

1. Celle - très sensible - du statut du baccalauréat. 

Ce grade doit-il continuer d'être porteur d'un droit automatique de poursuivre ses études dans une filière universitaire, ou convient-il de réduire ce positionnement à celui d' un simple certificat de fin de scolarité secondaire, a l'instar de ce qu'est devenu le brevet délivré au terme des années collège ?

2. Pourquoi ne pas dépasser ce débat ultra sensible en le recentrant sur le débat beaucoup plus consensuel concernant la mise en œuvre d'un véritable continuum bac- 3/+3 ?

  1. La double fonction contradictoire du baccalauréat d'aujourd'hui :

Le baccalauréat d'aujourd'hui remplit une double fonction progressivement devenue contradictoire : accompagner la massification de l'enseignement secondaire, tout en sauvegardant l'image d'un diplôme élitiste qu'il fut jusqu'aux années 1960, mais a cessé d'être depuis plusieurs années.

Longtemps en effet, le baccaureat moderne - créé par Napoléon Ier en 1808 - fut à juste titre un grade de haut niveau, dont seule une petite minorité de personnes parvenaient à se doter. Ils ne furent que trente et un (aucune femme) à l'obtenir lors de la première session de 1809, et pendant un siècle et demi, il ne fut délivré que parcimonieusement : 10000 nouveaux bacheliers par an seulement à l'issue de son premier siècle d'existence, moins de 60000 (on était alors à 11% de bacheliers dans une tranche d'âge) en 1950... 

Ce n'est qu'à partir des années 1960, l'arrivée à l'âge du lycée des générations du "baby boom" de l'après seconde guerre mondiale, et la décision de rendre la scolarité obligatoire en France jusqu' 16 ans, que l'on commença à assister à une croissance exponentielle du nombre des bacheliers, liée au phénomène de démocratisation de l'enseignement secondaire francais. C'est ainsi qu'on en est progressivement arrivé au chiffre de 642000 bacheliers nouveaux a l'issue de la session de 2017 (et à 80% d'une tranche d'âge atteignant le niveau baccalauréat ). Voilà pourquoi ce diplôme, longtemps réservé à une élite, est devenu un titre très largement diffusé.

Aujourd'hui, le baccalauréat est le produit de cette double fonction : former à haut niveau d'exigence le vivier duquel émergeront plus tard les élites de la Nation, tout en étant un des instruments de la démocratisation de l'enseignement secondaire.

C'est la une position pour le moins contradictoire, pour ne pas dire qu'elle est de nature schizophrénique. Comment pourrait-on à la fois tendre vers "un baccalauréat pour presque tous" et continuer de maintenir un niveau d'exigence Serait proche de celui de l'époque où il ne se délivrait qu'à une élite ?

2. Cette contradiction se retrouve dans le statut du baccalauréat, tel qu'inscrit dans le Code de l'éducation :

En l'état actuel du Code de l'éducation, héritier du Code Napoleon, le baccalauréat remplit une double mission de certification (il "certifié" au nom de l'Etat que son porteur est doté des connaissances et compétences de base susceptibles d'être acquises au lycée), et d'orientation (il donne droit d'accés à une place en premier cycle universitaire non sélectif). Cette double mission est clairement mise en avant dans le Code de l'éducation actuellement en vigueur. Or, l'addition de ces deux missions ne va pas sans poser problème, chacune étant progressivement devenue contradictoire par rapport à l'autre.

La mission de certification repose sur la situation qui prévalait jusqu'aux années 1960 : un examen sélectif, ne délivrant le diplôme qu' à un petit nombre de personnes chaque année, appelées ensuite à faire des études supérieures conduisant la plupart d'entre elles vers les plus hautes responsabilites, publiques ou privées. Le baccalauréat fut longtemps la marque de l'appartenance à une élite produite par ce qu'il convenait de nommer le "mérite républicain".

Est-il besoin de préciser qu'on en est loin aujourd'hui, ainsi que nous l'avons démontré et expliqué dans le chapitre précédent ?

Reste cependant la mission d'orientation. Malgré sa lente et progressive perte de valeur individuelle, le baccalauréat continue, et ce depuis plus de deux siècles, d'octroyer à celles et ceux qui parviennent à s'en doter le droit d'entrer en première année d'une filière universitaire non sélective. Bien plus, il est écrit dans le Code de l'éducation que le baccalauréat n'est pas un simple certificat de fin de scolarité au lycée (ce qu'est le brevet delivrable a l'issue des années collège), mais le premier des grades universitaires, donc une sanctification par l'Etat.

C'est ce qui explique qu'aujourd'hui encore, les présidents des jurys de baccalauréat sont obligatoirement des universitaires, et que ce diplôme est délivré sous le sceau de l'université. Conséquence logique : le baccalauréat procure un droit automatique d'accès à une filière universitaire. Ce droit est inscrit clairement dans le Code de l'éducation qui, en son article 612-3, stipule que "le premier cycle (des études supérieures) est ouvert à tous les titulaires du baccalauréat".

Cependant, ce texte comprend une clause restrictive qui dit qu' "une sélection peut être opérée pour l'accès aux sections de techniciens supérieurs, instituts, écoles et préparations à celles-ci, grands établissements (...) et tous établissements où l'admission est subordonnée a un concours ". Ainsi, en France, tout bachelier a droit à une place en première année d'un premier cycle universitaire non sélectif.

3. Faut-il supprimer cette disposition ou doit-on la préserver ?

Faites un test : lancez une discussion sur ce thème, et vous verrez très vite les esprits s'échauffer, et la division s'installer. Se permettre de simplement poser la question semble chose inacceptable aux yeux de certains, quand d'autres - de plus en plus nombreux - considèrent que ce droit d'accès automatique aux études universitaires est devenu fort contestable.

Notre opinion personnelle sur ce sujet n'a guère d'importance. Cependant, nous dirons qu' il nous semble difficile de conserver en 2018 un droit qui a été conçu au regard de la situation de ..1808 ! Si on décide de ne pas le remettre fondamentalement en cause (ce qui est la position du gouvernement), le moins que l'on puisse faire est de l'adapter aux réalités d'aujourd'hui.

On ne peut en effet pas accepter plus longtemps que, faute de régulation plus ferme à l'entrée des premiers cycles universitaires, le taux d'échec y soit en moyenne de 60% (ce chiffre est cependant à relativiser tant il est vrai qu'environ la moitié de ces étudiants en situation d'échec parviennent à se réorienter vers d'autres filières dans lesquelles ils finissent par réussir). Il n'empêche : cela revient à confier aux universitaires le soin de faire le "ménage" qui n'a pas été fait au niveau secondaire où, tel Ponce Pilate, "on s'en lave les mains".

C'est donc à une très difficile question qu'est confronté le Gouvernement : comment ne pas trop bousculer le statut du baccalauréat (et donc maintenir ce droit de passage en première année d'un premier cycle universitaire), tout en organisant plus rationnellement l'orientation des bacheliers vers l'enseignement supérieur et donc parvenir à améliorer significativement les taux de réussite ? Plusieurs mesures ont été prises qui visent à rendre compatible ce double objectif.

C'est d'abord la décision d'introduire des "attendus" pour chaque formation post baccalauréat. Rappelons qu'il s'agit d'une liste de connaissances, compétences et qualités personnelles dont il est bon d'être doté si on veut avoir des chances raisonnables de réussir. Un tel affichage devrait conduire les lycéens (et leurs parents) à plus se responsabiliser au moment du choix des études supérieures, les professeurs et chefs d'établissements à émettre des avis plus éclairés... On en attend une répartition plus rationnelle des flux de lycéens vers les diverses filières d'études supérieures, et par voie de conséquence, un relèvement significatif des taux de réussite en premier cycle.

Encore faudra-t-il veiller à ce que cette mission officielle dévolue aux "attendus" ne soit pas dévoyée en se transformant en instrument de systématisation de la sélection. Cette réserve est d'autant plus fondée que l'on a observé dans plusieurs universités la volonté de faire de certaines licences jusque là non sélectives des formations sélectives, se donnant la possibilité d'écarter de tout droit d'admission ceux qui ne présentent pas un profil conforme aux "attendus".

Autre disposition que nous considérons comme allant dans le bon sens : le droit d'imposer un dispositif de remise à niveau aux candidats fragiles à l'entrée en filière universitaire non sélective. Pour ceux-là, il a été décidé qu'ils pourront passer outre un avis défavorable et donc entrer malgré tout dans une telle formation, mais qu'en contre partie, ils seront obligés de passer par une année entière de remise à niveau (cas les plus lourds) ou de suivre des enseignements de soutien pour autant que de besoin. Là encore, le principe nous semble indiscutablement positif, sous réserve que les moyens soient donnés aux universités afin de leur permettre de véritablement mettre en œuvre de tels dispositifs. Or, tel ne semble pas être le cas dans un trop grand nombre d'universités qui continueront donc de fonctionner "comme avant" les actuelles réformes.

Troisieme volet de cette politique de l'Etat : on va continuer de laisser se créer en université des filières de premier cycle sélectives telles nombre de bi-licences, classes préparatoires universitaires, et autres "filières d'excellence " qui sont d'ores et déjà en place, et plusieurs dizaines d'autres qui pourraient voir le jour dans le futur. Ainsi, l'université francaise pourra remplir sa double mission de démocratisation de l'accès aux études des supérieures, tout en offrant des parcours plus élitistes aux meilleurs bacheliers. Nous avons conscience que cela revient à laisser se développer une "université à deux vitesses", mais outre que c'est déjà le cas dans le système d'enseignement supérieur français, du fait de l'existence d'un très important secteur sélectif, nous ne voyons pas au nom de quoi l'université francaise devrait se consacrer aux seuls élèves les plus fragiles, laissant aux formations traditionnellement sélectives (non universitaires pour la plupart) le soin de s'occuper des meilleurs élèves.

4. Et si l'on dépassait la question du statut du baccalauréat en la rendant soluble dans une reflexion plus large sur le "continuum bac - 3/+ 3" ?

Depuis plusieurs années, la France s'est engagée dans une politique européenne qui vise à amener 50% d'une tranche d'âge au niveau bac + 3. De plus, la mise en place d'une architecture commune des études supérieures (le désormais bien connu "L/M/D"), conduit à positionner à bac + 3 la plupart des diplômes précédemment situés à bac + 2 : les anciens DEUG universitaires ont cede la place aux licences, la plupart des écoles en deux ans sont passées à bac + 3, les "bachelors" anglo-saxons ont fait une entrée remarquée sur le marché des formations professionnelles post bac en trois ans, les IUT viennent de se voir proposé de créer des licences technologiques qui seront appelées à remplacer progressivement les actuels DUT... Et on ne pourra sans doute pas échapper à une reflexion sur l'avenir des BTS, qui sont actuellement des diplômes de niveau bac + 2, mais qu'il faudra bien positionner en partie à bac + 3 si on ne veut pas courir le risque de voir les familles s'en détourner de plus en plus.

Tout cela milite en faveur d'une reflexion sur la possible création d'établissements d'un type tout à fait nouveau, qui intégreraient des cursus de niveau lycée et des formations à des diplômes de niveau bac + 3, prenant au mot le concept de "continuum bac - 3/+3". Cela serait particulierement opportun concernant l'enseignement professionnel : intégrer dans une même sorte d'établissement (que je nomme provisoirement "ecole sec/sup"), certaines filières secondaires conduisant aux baccalauréats professionnels, et des formations supérieures conduisant à des licences technologiques, aurait du sens... et de l'allure. Ce serait en outre d'un effet très attractif pour la voie professionnelle secondaire qui en a bien besoin.

On ne manquera pas de me faire remarquer que de tels établissements existent dans la mesure où certains lycées intègrent d'ores et déjà des filières professionnelles secondaires et des BTS, voire des DCG (diplôme de comptabilité et gestion, de niveau Bac + 3), des licences professionnelles en partenariat avec dès universités ou parfois des programmes bachelor. C'est vrai, mais outre leur très petit nombre, ce ne sont pas des établissements "purs", car s'y ajoutent le plus souvent des filières secondaires générales et/ou technologiques. Ce que nous proposons, c'est d'expérimenter un premier réseau de super "lycées des métiers" sur le modèle bac - 3/+3.

Au sein d'un tel dispositif, le baccalauréat serait automatiquement relégué au rang de simple diplôme intermédiaire, ce qui permettrait de faire l'économie d'un débat sur son statut qui ne manquerait pas d'être explosif, et déchirerait la communauté scolaire.

Conclusion :

La réforme du baccalauréat francais qui vient d'être promulguée constitue sans aucun doute la plus en profondeur qui ait été présentée depuis un bon demi siècle. Cependant, elle ne règle en rien la très sensible question du statut du baccalauréat. De plus, on n'y évoque strictement pas la beaucoup plus consensuelle question du "continuum bac-3/+3", dont on parle beaucoup, mais qui a beaucoup de mal à prendre forme.

Sauvegarder le statut du baccalauréat, et notamment le droit qu'il procure de se faire admettre dans le premier cycle universitaire non sélectif de son choix, tout en rationalisant les procédures d'admission afin de mieux aiguiller les lycéens et soutenir les plus fragiles d'entre eux par une offre de dispositifs de remise à niveau et soutien de qualité , est un choix qui a du sens. Il faut cependant aller plus loin.

Et si la question du statut du baccalauréat est jugée comme étant trop sensible, alors dépassons la en nous attaquant au beaucoup plus consensuel chantier de la mise en place d'un véritable "continuum bac -3/+3". La modification du statut du baccalauréat se fera alors quasi automatiquement, et on aura fait l'économie d'un psychodrame national.

 Bruno Magliulo

Inspecteur d'académie honoraire

Auteur, dans la collection L'Etudiant, de "Pour quelles études (supérieures) êtes-vous fait ?"

Article initialement publié ici: https://www.linkedin.com/pulse/le-nouveau-baccalaur%C3%A9at-est-annonc%C3%A9-mais-des-de-fond-bruno-magliulo/

Dernière modification le mercredi, 14 mars 2018
Magliulo Bruno

Inspecteur d’académie honoraire -Agrégé de sciences économiques et sociales - Docteur en sociologie de l’éducation - Formateur/conférencier -

(brunomagliulo@gmail.com)

Auteur, dans la collection L’Etudiant (diffusion par les éditions de l’Opportun : www.editionsopportun.com ) :

  • SOS Parcoursup
  • Parcoursup : les 50 questions que vous devez absolument vous poser avant de choisir votre orientation post baccalauréat
  • Quelles études (supérieures) sont vraiment faites pour vous ?
  • SOS Le nouveau lycée (avec en particulier toute une partie consacrée aux liens entre les choix d’enseignements de spécialité et d’option facultative, et le règles de passage dans le supérieur)
  • Aux éditions Fabert : Les grandes écoles : une fabrique des meilleurs, mode d’emploi pour y accéder

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