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Le Palais des Beaux-Arts de Lille propose actuellement une exposition exceptionnelle autour de l'impressionnisme, intitulée "Monet à Vetheuil : les saisons d'une vie", au travers de 6 tableaux représentatifs de sa vision du village où il passa de nombreuses années. L'exposition permet de découvrir sa relation avec ce dernier et les méthodes utilisées pour figurer les différentes saisons.

 

En parallèle sont exposées plusieurs œuvres de Joann Mitchell, artiste contemporaine américaine, ayant passé une large partie de sa vie en France en particulier à Vetheuil.

Deux artistes, deux courants différents dont, rappelons le, le premier fut largement décrié avant d'être célébré. Le terme "Impressionnisme" est d'ailleurs à l'origine une insulte, une expression ironique utilisée par le journaliste satirique Louis Leroy en référence au tableau Impression Soleil Levant de Monet.

Amateur d'art contemporain, j'ai passé peut-être plus de temps durant ma visite dans la galerie contemporaine que dans celle consacrée à Monet. Sacrilège ? Possible... Si j'en crois les fatigants commentaires que ne manquaient pas de lâcher certains visiteurs : "gribouillis", "ça, je te le fais en 5 minutes", "ça, moi aussi je peux le faire"... Face à l'art contemporain, le visiteur est malheureusement souvent dédaigneux.

Bien que grand amateur d'œuvres à caractère expérimental et donc d'art abstrait, j'avoue avoir moi-même parfois un regard critique sur des oeuvres qui poussent le bouchon un tantinet trop loin.

Je me souviens par exemple de 6 cubes de bois disposés à même le sol, ayant valeur d'œuvre car, l'artiste n'ayant donné aucune consigne quant à leur disposition, celle-ci changeait dans chaque lieu. Quand le concept tue l'oeuvre... Ou bien ces deux couvertures négligemment posées au milieu d'autres oeuvres particulièrement intéressantes, couvertures que j'ai d'abord prises pour des éléments fonctionnels. Que nenni ! Pire encore, souvenir cuisant de la déception qui me saisit récemment quand, à l'évocation d'une œuvre précieuse représentant une tortue et à la vue des gants et précautions déployées par la médiatrice d'un musée, je me trouvais en face non d'un objet en métaux précieux mais d'une simple capsule de bouchon de champagne et son muselet plié en forme de tortue. J'en ai fait des dizaines lors de soirées et d'apéros pour amuser la galerie mais n'ai nullement ressenti le besoin de les exposer.

Il y a donc des moments où l'art tue l'art, débordé par trop de concept. Mais tout jeter en bloc serait une grave erreur.

Premier procès fait à l'art contemporain : il n'y aurait d'art et d'oeuvre que quand "cela représente quelque chose". Combien de fois n'ai-je pas entendu "on ne voit pas ce que cela représente" ??? Qui a dit que l'art ne devait être que représentatif ou figuratif ? On peut représenter, transcrire une émotion par exemple sans verser dans le portrait ou le paysage. Un grande partie de l'oeuvre de Sonia Delaunay est ainsi basée sur le mouvement, sur le rythme, sur le dialogue entre les couleurs sans qu'elle ait eu besoin de se baser sur un paysage ou toute autre forme facilement identifiable.

Parfois c'est la technique, la fabrication et donc la performance qui fait l'oeuvre. Je me souviens d'un volant exposé à la Condition Publique à Roubaix. Il n'avait honnêtement en soi rien d'exceptionnel à un détail près, particulièrement important : l'artiste avait en effet utilisé pour sa fabrication des méthodes anciennes, issues d'une époque où l'automatisation n'était pas encore connue. Pourquoi ce choix ? Simplement pour se rapprocher des ouvriers de l'époque, de la pénibilité de leur travail mais aussi de l'importance de leur savoir-faire. L'art était dans la performance plus que dans l'oeuvre.

J'adore Monet mais je ne peux pas exercer mon imagination de la même manière qu'avec les oeuvres de Joan Mitchell. Monet m'enchante mais m'impose sa vision de Vétheuil. Dans les "infâmes gribouillis" dixit un visiteur, je peux laisser mon imagination vagabonder, y voir le Vétheuil de Joan Mitchell, celui de Monet, le mien et des millions de variations de ces visions.

Dans un monde où tout semble exploré, il me paraît important de sensibiliser tout un chacun et en particulier les enfants, les jeunes à l'art contemporain, à la possibilité de ressentir, faire ressentir et laisser imaginer.

Que représente donc l'art contemporain ? Rien...? Pas vraiment. Qui plus est Raymond Devos dans une tirade célèbre a démontré qu'il existait moins que rien et que donc rien valait quelque chose et que d'ailleurs on pouvait s'acheter quelque chose avec trois fois rien. Si l'on en reste à rien, ce n'est déjà pas si mal avant de laisser fonctionner notre imagination.

Par ailleurs, la lecture d'un ouvrage consacré à Sonia Delaunay me rappelait récemment l'appellation "art dégénéré" que les nazis avaient appliqué aux oeuvres réalisées par des artistes étrangers, en grande partie juifs, et à celles "qui ne ressemblaient à rien" (et non aryen)... La subjectivité, quand elle devient idéologique et dogmatique, peut représenter un réel danger.

(initialement publié sur upcyclecommons.com)

Dernière modification le mercredi, 10 juillet 2024
Cauche Jean-François

Docteur en Histoire Médiévale et Sciences de l’Information. Consultant-formateur-animateur en usages innovants. Membre du Conseil d'Administration de l'An@é.