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Article initialement publié le 24 novembre sur le site"Veille et analyses" - Les cadeaux de fin d’année sont en train de s’installer sur les rayons des commerçants et les relais médiatiques se mettent en place. Ainsi en est-il des tablettes numériques qui, au vu des souhaits exprimés par les « consommateurs », vont continuer de s’étaler au pied des sapins ou à l’entrée des cheminées…
 Evidemment, la campagne médiatique cible, période de marronniers oblige, les enfants en particulier en bas âge. C’est le cas de la revue 01.net, qui n’évite pas ce sujet et propose un comparatif. Le principal problème posé par ce type d’article c’est qu’il considère cette catégorie comme homogène en oubliant de les mettre en perspective avec l’ensemble du marché. Pourquoi cela fait-il problème ? Parce que, ce type de tablettes, comme jadis les ordinateurs spécialisés pour les enfants est tous des sous produits. Autrement dit il s’agit d’un dérivé des produits adultes auxquels une couche « éducative » a été ajoutée. Cette couche éducative se compose le plus souvent d’un contrôle parental, d’un ensemble d’applications et d’une interface « enfantine ». Ces tablettes sont toutes développées sur une base Androïd et certaines permettent, selon le mode d’usage choisi, de fonctionner comme une tablette classique. Cela rappelle les « bundle » des années 1980, habillage scolaire des ordinateurs individuels. Mais à l’époque il y avait en parallèle des sous-ordinateurs qui n’en portaient que l’apparence mais qui étaient simplement des produits pour séduire les acheteurs de cadeaux de Noël.
 
L’argumentaire des tablettes indique « pour des enfants de 3 ans et plus », se conformant ainsi au conseil ambiant (académie des sciences…). L’argument sécuritaire vient accompagner et rassurer le parent soucieux de ce que son enfant pourrait faire sur Internet. L’interface enfantine vient conforter l’idée selon laquelle il faudrait préserver à tout prix l’enfant du monde des adultes. En face de cela les pratiques sociales donnent à penser qu’il y a un décalage entre cet univers rassurant et la « vrai vie » et que les enfants, même tous petits, y sont bien plus confrontés qu’on ne le croit. On comprend aisément l’envie d’un parent de maintenir un climat protégé autour de l’enfant. On comprend moins le même parent qui fait vivre dans le même temps les situations réelles aussi bien au travers d’autres écrans du quotidien que, et c’est parfois beaucoup plus important, dans des scènes de la vie quotidienne à la maison ou dans la vie familiale en général qui ont un potentiel émotionnel et traumatisant bien plus important. Regardons certains journaux télévisés ou encore certaines émissions ou films diffusés en flux continu, et l’on verra combien cela peut s’avérer « impressionnant » au sens premier du terme. Ecoutons le récit de certaines scènes d’enfance vécues dans la vie quotidienne pour mesurer combien cela peut marques un petit. Les écrans posent davantage problème par les usages qui en sont fait et les contenus qui les traversent que par l’objet lui-même et l’attirance qu’il suscite.
 
L’arrivée des tablettes consacre un autre aspect troublant du développement des technologies : l’individualisation de plus en plus grande de l’objet numérique. C’est « ma » tablette dira-t-on. Autrement dit, tout petit, l’espace-temps cognitif ludique et social est marqué par un écran personnel. Les caractéristiques de cet écran en font d’ailleurs un objet distinct de celui des adultes, maîtrisé par les adultes, choisi par les adultes. Mais c’est aussi un objet personnel qui libère aussi celui des adultes qu’ils ont souvent déjà colonisé. Quand on regarde les enfants s’emparer des smartphones ou des tablettes de leurs parents, on comprend assez vite les raisons qui les poussent à aller dans cette direction, même tout petit. Or ce qui fait question, c’est la valeur éducative de l’achat et des conséquences en termes d’usage et d’éducation. Evoquer, comme le propose Serge Tisseron la règle du 3 – 6 – 9, est en soi une bonne chose, mais cela ne doit pas effacer une question fondamentale : celle de la relation éducative intrafamiliale. Comment l’enfant se construit dans cette relation, dès lors qu’un objet devient ou s’ajoute comme médiateur socio-affectif de cette relation. Car l’enjeu des écrans est davantage dans ce qu’ils déconstruisent ou construisent que dans le seul effet de leur visionnement et de leurs contenus (ce qu’il ne faut pas négliger bien sûr). Or l’une des clés éducative c’est ce que chacun fait de l’idée de l’individualisme en éducation.
Si la réussite de l’individu passe avant le souci de bien commun, on voit que les objets numériques personnels sont un formidable vecteur de promotion de cette idée. On atténuera cette idée en se disant qu’il y a les réseaux sociaux qui génèrent des interactions humaines qui compensent cette individualisation. Cela rassurera sûrement le parent, mais pas l’observateur attentif des comportements sociaux. En effet, on observe, dans le fonctionnement induit par leurs algorithmes des réseaux sociaux numériques, une tendance à renvoyer à l’individu sa propre image : soit au travers de la valorisation des propos des amis avec lesquels il construit sa personnalité, soit au travers des recommandations individualisées faites par le moteur de recherche ou encore le site de vente en ligne. En d’autres termes tout converge vers l’individu au centre de l’activité. Or cette activité s’inscrit dans un contexte marchand dans lequel la recherche effrénée du « modèle économique » qui marche amène certains « commerçants » à en oublier le bien commun.
 
L’arrivée, envisagée, d’une tablette de Noël dans le foyer devrait être l’occasion d’un échange, d’une réflexion, d’un débat sur ce que cela induit. Les enseignants de primaire seront surement interrogés par des parents d’élèves soucieux de la réussite de leurs enfants sur la pertinence de tel ou tel objet. Les élus locaux ont déjà vus dans cet objet un vecteur formidable de leur propre image, mais laquelle. Souhaitons que tous ceux qui prescrivent des tablettes ou smartphone pour les enfants, quelqu’en soit l’âge, prennent le temps de penser en amont leurs choix éducatifs. Sinon on risque de voir se multiplier ces « semaines de sevrage » dont la presse se plaît à montrer le spectacle, oubliant que c’est bien avant que se posent les problèmes. A moins que, et ce serait beaucoup plus inquiétant, que nous ne sachions plus « éduquer », sans l’aide de l’extérieur, c’est à dire l’aide des prescripteurs….
A suivre et à débattre
Bruno Devauchelle
 
Photo Credit : Mukumbura via Compfight cc
Dernière modification le jeudi, 16 octobre 2014
Devauchelle B

Chargé de mission TICE à l’université catholique de Lyon et professeur associé à l’université de Poitiers, département IME.